Sale temps pour le voile intégral… En cette époque où le bio et la diététique sont en vogue, on prise l'intégral (farine intégrale, sucre de canne complet, etc.), mais pas pour le voile. Bon, rien n'est certes fait tant que le Parlement n'aura pas voté, or les divisions sont grandes y compris au sein de la majorité, et que le Conseil constitutionnel n'aura pas agi. Mais les chances sont fortes que la loi finisse par interdire, ou par restreindre, le port du voile intégral dans les lieux publics. Cela laisse perplexe et l'on sent bien l'embarras démesuré qu'il y a à justifier une telle loi.
C'est que la France, théoriquement, reconnaît les libertés individuelles, que l'État a pour mission de protéger. Ainsi, se vêtir librement, y compris pour manifester une appartenance religieuse, est un droit que la loi se devrait de respecter. Alors, comment faire pour justifier une interdiction du voile intégral ?
Notre bien aimé président a envisagé plusieurs justifications possibles. Il y eut d'abord la laïcité. Mais cette dernière à un sens bien précis : la neutralité de l'État en matière de religion. Ce n'est donc pas au gouvernement de dire aux gens quelles croyances ils doivent suivre ni comment ils doivent les suivre…
On a ensuite envisagé la question de la sureté publique. En se voilant le visage, les femmes représenteraient une menace suffisante de l'ordre public pour justifier l'interdiction. Il est bien évident que cela ne tient pas la route deux secondes ! Aussi, le Conseil d'État l'a clairement dit : le motif de la sécurité publique ne pourrait justifier qu'une interdiction partielle du voile intégral, cantonnée à certains lieux ou à certaines situations.
Mais notre président ne s'avoue pas vaincu. Il tire de son chapeau le principe de la dignité de la femme. Seul petit hic, ce n'est pas un principe constitutionnel. Le mot même ne figure pas dans la Constitution et, en 2008, un comité dirigée par Simone Veil s'est même prononcé contre son introduction. En effet, estimait Simone Veil, on ne peut décider a priori ce qui est digne ou pas pour un adulte. Sauf à prétendre que le gouvernement sait mieux que les femmes voilées ce qu'est leur dignité. Mais alors là, je vous laisse imaginer le boulevard vers l'arbitraire que la confirmation d'une telle position ouvrirait…
Finalement, tous ces débats sont fort passionnants car ils montrent si une société, la notre en l'occurrence, est réellement attachée aux principes libéraux qui, normalement, la fondent. C'est assez amusant de lire les arguments des uns des autres pour l'interdiction. Il y a ceux qui invoquent une sorte de savoir vivre que le fait de se mouvoir totalement voilé dans l'espace public violerait. Guy Carcassonne a ainsi déclaré « En France, on cache son sexe et on montre son visage ». Le voile serait donc une espèce d'attentat à la pudeur. C'est assez curieux comme idée, car la pudeur oblige bien à masquer son corps… D'autres crient à la fin de la tradition républicaine, comme le centriste Maurice Leroy pour qui il faut « faire respecter le modèle républicain ». Mais si le modèle républicain c'est précisément la liberté religieuse, on voit mal comment Maurice Leroy pourrait en confisquer la signification… La plus cocasse, c'est Nadine Morano qui pérore que « cette prison de tissus pour les femmes n'est pas une question cultuelle mais culturelle ». Mais enfin, le culte ne fonde-t-il pas une culture ?
Bref, tous ces gens semblent oublier la véritable signification de la tolérance telle que portée par les principes libéraux. Être tolérant, c'est accepter pour les autres ce qu'on n'accepte pas pour soi, à la condition suprême qu'aucun droit fondamental n'ait été violé. Or, ici, on s'évertue à vouloir imposer un modèle ou une tradition par un biais légal alors même que les institutions ne le permettent pas. Chacun fait assaut de sa petite opinion pour imposer l'ordre qui lui semble le meilleur. Belle démonstration de ce que la démocratie peut avoir d'antilibéral. Finalement, seul le Conseil d'État, en proposant de s'en prendre aux maris qui forceraient leur femme à se voiler, est conséquent avec la protection des libertés. Mais on serait tenté de dire bon courage !
On pourrait aussi se demander si la question vaut réellement toute la peine qu'elle suscite, vu le nombre de femmes portant le voile intégral. Ailleurs en Europe, il n'y a guère que la Belgique pour s'enferrer, comme la France, dans l'idée d'une interdiction générale… Le Sénat, dans un récent rapport, reconnaît qu' « Aucun pays ne s'est doté de règles nationales sur le port de la burqa dans les lieux publics », et que « Dans tous les pays européens, le port de la burqa dans les lieux publics suscite des controverses en général limitées ». La liberté serait-elle mieux loin de la Patrie des droits de l'Homme ?
Article repris avec l'aimable autorisation de l'auteur. Illustration : femme portant le Niqab au Yemen, auteur Steve Evans, licence CC Paternité.