Magazine Politique
Ségolène Royal est confrontée à la définition de l'espace pour son courant Désirs d'Avenir. Un défi qui montre combien les ancrages des formations politiques évoluent actuellement.
L'opinion publique française attend des partis politiques davantage de renouvellement de l'offre mais aussi davantage d'harmonie au sein même de chacun des partis politiques.
Pour expliquer, voire justifier, une partie de l'actuelle désaffection qui frappe les partis politiques, il est de bon ton de les présenter comme des lieux de discordes généralisées. Est-ce ce climat de discorde qui discrédite les partis politiques ou l'organisation actuelle des partis qui explique ce climat de discorde ?
La 1ère question, et probablement la question centrale, est la suivante : est ce que les actuelles étiquettes politiques reflètent une réalité de classification d'opinions ?
La distinction droite-gauche est née en France le 11 septembre 1789.
Ce jour là, les partisans d'un pouvoir monarchique fort se groupèrent à la droite du Président de l'Assemblée Constituante. Par la suite, les tenants d'une " idéologie conservatrice " seront qualifiés de " droite ".
La gauche de 1789 est révolutionnaire. Elle triomphe de l'ancien régime et porte la bourgeoisie au pouvoir. Contre ce nouveau pouvoir, en 1848, une " nouvelle gauche " de plus en plus socialiste vient apporter la contestation.
En 1871, les querelles politiques opposent alors trois courants :
- un courant monarchiste,
- un courant bonapartiste,
- un courant républicain.
Avec la révolution russe en 1917, des " idées neuves " élargissent le débat.
Une nouvelle ligne de fracture apparaît.
Pour les uns, il est hors de question d‘importer une " révolution étrangère " qui viendrait bouleverser les acquis de la " révolution française ".
Pour d'autres l'approche internationale doit emporter ces barrières " conservatrices ".
A cette époque, l'internationalisme réorganise donc les clivages.
Quelques années plus tard, la " révolution nationale " de Vichy va à son tour structurer durablement l'échiquier politique.
Puis c'est au tour du gaullisme de marquer les positions avec une logique d'action et d'homme providentiel.
Au début des années 1970, c'est la question du " programme commun de Gouvernement " qui entraîne les nouveaux positionnements.
Ces exemples précis montrent qu'à chaque époque un thème structurant a redistribué les forces politiques.
Qu'est ce qui structure actuellement la vie politique française ?
Il importe d'abord d'observer que des courants anciens de pensées ont connu des évolutions profondes.
Il y a des courants qui ont disparu et d'autres qui sont en voie de marginalisation.
Pour évoquer ceux qui ont disparu de la scène politique française, c'est le cas du mouvement royaliste.
Son dernier candidat significatif fut M. Tixier Vignancour dans les années 1960. Le mouvement royaliste n'est plus une composante active de la vie politique française.
A l'extrême gauche, le courant anarchiste a disparu. C'était pourtant un courant très ancien en France. Les " situationnistes " ont joué un rôle très important en 1968. Dans les années 60, des organisations comme l'Organisation Révolutionnaire Anarchiste née de la pensée autogestionnaire ou l'Organisation Communiste Libertaire animée par Daniel Guerin interviennent dans le débat politique. C'est désormais " inconcevable ".
D'autres courants ont connu des marginalisations certaines même si cette évolution a parfois frappé davantage les structures politiques que les idéaux proprement dits.
C'est le cas du " mouvement des radicaux ". Ce parti ne s'est jamais réellement remis de la scission intervenue au début des années 70 quand Jean Jacques Servan Schreiber a signifié des suspensions d'adhésions.
Aucune personnalité n'oserait aujourd'hui défendre l'approche selon laquelle le représentant du MRG participe aux discussions de la " gauche plurielle " avec un poids politique comparable à celui de Robert Fabre lors des accords de l'union de la gauche.
Il en est de même pour le Parti Radical dans les négociations politiques avec l'UMP ou l'UDF.
Ce mot de marginalisation peut-il s'appliquer au PCF ?
Le PCF s'est progressivement placé dans une sorte de ghetto. Il ne peut se positionner en représentant porte parole d'une " classe ouvrière " qui n'est plus une " classe motrice ". Comment sortir d'une logique de rupture sans tomber dans une nature purement " réformiste " qui ne permet qu'une différenciation très modérée du Parti Socialiste ?
Il s'agit d'enjeux difficiles et majeurs.
Ce tour d'horizon montre donc que des courants de pensées ont disparu. D'autres sont dans des perspectives de réelle fragilité qui ressortent davantage de la préservation d'acquis que de la mise en place de conquêtes.
Ceux qui ont échappé à ces difficultés recouvrent quatre courants de pensées :
- le " parti de l'autorité ",
- les libéraux,
- les sociaux-démocrates,
- l'extrême gauche d'origine trotskiste.
Le " parti de l'autorité " a vocation à regrouper tous ceux dont l'analyse politique est guidée par une logique simple : l'histoire est la rencontre entre des évènements et une volonté. Plus précisément, cette philosophie s'est souvent associée à une logique du refus qui trouve son acte fondateur emblématique dans le refus de l'occupant de 1940-44.
Cette philosophie porte le thème de l'ambition nationale, la " grandeur " de la France. Cette approche recouvre les partis politiques actuels UMP, MPF, RPF, voire certaines composantes du FN.
Le Mouvement de Dominique de Villepin trouve son ancrage intellectuel dans cette famille de pensée.
Les libéraux se retrouvent derrière une philosophie qui n'est pas celle de " l'homme providentiel " qui incarne la " réaction nationale " mais ils aspirent au " contrat ".
Leur philosophie est plus relativiste, tolérante, mesurée. Elle fait l'éloge de la mesure, de la légalité, du parlementarisme. Cette analyse regroupe des membres de l'UMP, de l'UDF.
C'est le creuset de pensée du Président de la République.
Les sociaux-démocrates sont les héritiers d'une approche initiale de " front de classes " mais refusant de céder à un ouvriérisme et préférant choisir des concepts plus modérés empruntant à divers modèles d'un changement progressif de société inspiré d'une égalité renforcée mais respectueux des libertés et ce sans mettre en oeuvre un modèle bureaucratique unique. Le gros des rangs se retrouve dans le PS mais certains sont aussi à l'UDF, voire même à l'UMP.
Enfin, quant à l'extrême gauche issue du courant trotskiste, elle reste sur ses scissions des années 60 avec le " ticket " Lutte Ouvrière (Arlette Laguiller) et la LCR (Alain Krivine et Olivier Besancenot).
Ce panorama montre que la vie publique française ne connaît, et ce de façon généralisée, aucun recoupement cohérent et rigoureux entre les courants de pensées et les structures politiques censées représenter ces courants de pensées.
Dans ces conditions, sans même ouvrir la question de lutte d'ambitions personnelles, les partis politiques français ne peuvent :
- qu'éprouver des difficultés à faire émerger des bases programmatiques claires sans encourir le risque d'implosion,
- qu'être le lieu de débats permanents entre des composantes que beaucoup d'éléments séparent objectivement.
Il s'agit d'un décalage très préoccupant pour la qualité de la vie politique française.
En principe, chaque parti politique a vocation à rassembler d'abord celles et ceux qui se reconnaissent dans une certaine " culture du pouvoir ". Sans parler d'idéologie, un parti politique doit être un support culturel qui définit un mode de pensée susceptible d'imprégner une organisation politique, économique et sociale.
C'est cette fonction explicative globale qui est l'une des raisons d'être des partis politiques et l'une des fondations de la démocratie.
Sans présence idéologique, sans cohérence conceptuelle efficace, que peut recouvrir l'existence même d'un parti politique ?
Faute d'un cadrage conceptuel, chaque parti porte une menace permanente d'atomisation ou de paralysie.
La clarification de la vie politique française passe par l'adaptation des partis politiques aux vrais enjeux modernes et non pas des structures qui sont les survivantes des anciens clivages ponctuels successifs.
Ce constat montre toutes les difficultés qui attendent des initiateurs de démarches hors les actuels partis. Ségolène Royal ou Dominique de Villepin peuvent-ils faire naitre de "nouveaux rassemblements" et si oui sur la base de quels critères distinctifs ?
Quels peuvent être les sujets de nature à réunir sur des socles nouveaux ?
Les partis politiques classiques sont usés, démonétisés mais ils structurent toujours la vie publique comme des fondamentaux incontournables. Peuvent-ils être contournés ? Et si oui sur quelles bases ?
C'est l'actuelle question de fond posée par les démarches de plusieurs présidentiables à l'exemple de Ségolène Royal.