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Décroissance : le mot honni qui fait peur !

Publié le 23 avril 2010 par Gezale
Décroissance : le mot honni qui fait peur !Jacques Généreux (photo JCH)
« Sorte d’institution, donc par définition intangible, l’émission « Rue des entrepreneurs » diffuse depuis des années sur France Inter sa messe hebdomadaire du samedi matin. Son credo libéral repose sur le dogme de l’infaillibilité du Marché et sur la foi inébranlable en la Sainte Trinité : Capitalisme, Croissance, Compétitivité.
Or, en ce samedi matin, errement de l’esprit de ses producteurs ou désespoir des forces du Medef affolées par l’image pathétique que renvoie son dernier avatar, la créature Foutriquet – devenue incontrôlable depuis qu’elle a échappé à son maître Alain Minc –, et ne sachant plus à quel saint se vouer, le sermon hebdomadaire, inspiré à l’évidence par le Diable en personne, avait pour sujet l’entreprise et la décroissance.

Décroissance : le blasphème

La décroissance ! Le mot fut lâché qui claqua comme la foudre de la colère divine. Ce mot blasphématoire fut prononcé dans le Saint des saints. Ce mot honni, abject, fait se dresser les cheveux sur la tête de ceux qui tiennent le monde en laisse : tous ces marchands du Temple de la finance internationale et des sociétés transcontinentales. Didier Adès et Dominique Dambert se signèrent d’effroi. Trop tard hélas ! Le mal était fait.
Le Malin, en ce jour de saint Anicet, patron des fabricants de pastis, avait emprunté la figure la plus affable qui puisse être : celle de l’économiste Jacques Généreux. Ils auraient pourtant dû se méfier car le nom même de Généreux est à lui seul éminemment suspect dans leur monde individualiste où la valeur suprême se nomme Profit. Docteur en économie, professeur à Sciences-Po, Jacques Généreux est un de ces esprits trop rares aujourd’hui, empêcheur de penser en rond. Donc, il sent forcément le soufre. Qualifié par d’aucuns d’économiste hétérodoxe, il s’oppose à ce que l’immense majorité de ses collègues, orthodoxes, impose depuis des lustres comme une vérité révélée : le Marché est la solution de tous les problèmes. Las de prêcher, tel saint Antoine le Grand, dans le désert socialiste, Jacques Généreux, engagé politiquement à gauche, a quitté il y a deux ans ledit parti pour fonder avec Jean-Luc Mélenchon le Parti de Gauche.
L’homme est intelligent, supérieurement intelligent même. Il sait à merveille parler avec des mots simples, par tous compréhensibles et rendre accessibles au néophyte les mécanismes souvent complexes qui régissent l’économie. Pour ses contradicteurs, il est donc inutile d’user avec lui des vieilles ficelles qu’utilise le maire de Louviers avec son opposition consistant à qualifier tous ceux qui ne se rallient pas au discours libéral dominant – dont les tenants devraient pourtant faire profil bas –, de ringards, d’attardés, d’obscurantistes, de communistes, voire même, suprême insulte, de collectivistes. Jacques Généreux refuse d’emblée la vision simpliste et manichéenne qu’on nous propose : le choix entre capitalisme et communisme comme étant la seule alternative possible. « Est-il indispensable de nationaliser les coiffeurs ? » déclarait-il récemment en forme de boutade.
Non au grand soir
Voici quel fut en substance son discours iconoclaste : « Je ne souscris nullement à l’idée révolutionnaire du grand soir qui ressemblerait tout au plus à une grande catastrophe. La vraie révolution se fait par le débat et la prise de conscience. Une vraie révolution, ce serait par exemple que ceux qui détiennent l’argent ne soient plus les maîtres du monde et n’aient plus tout pouvoir pour diriger les entreprises. Et pour cela, une simple loi parlementaire suffit sans qu’il soit nécessaire de faire couler le sang et de mettre à bas la démocratie. Une vraie révolution, ce serait de réfléchir enfin au droit de l’entreprise, lequel n’existe pas. Dans notre droit français n’existe qu’un droit des sociétés commerciales.
N’importe quel économiste sait qu’une entreprise n’est pas seulement une société de capitaux. Mettez des capitaux ou encore des gens au milieu de nulle part, cela ne fera pas une entreprise. L’entreprise, c’est la conjonction d’investisseurs, d’entrepreneurs, de travailleurs, et des collectivités publiques sans lesquelles il n’existe ni routes, ni voies ferrées, ni ports, ni éducation et formation des travailleurs, ni systèmes de télécommunications. L’entreprise qui existe économiquement est donc le produit de la combinaison de l’ensemble de ces acteurs.
L'entreprise n'existe pas
Or, l’entreprise n’existe pas juridiquement. Voilà une réponse nouvelle à apporter : reconnaître la personnalité juridique de l’entreprise, en faire une personne morale cogérée par les travailleurs, les investisseurs qui apportent les capitaux, l’entrepreneur, les collectivités publiques. Et cela, c’est la sortie du capitalisme, car alors, les entreprises devront par nécessité rechercher un intérêt général.
Il s’agit, à côté de ce qui existe déjà : coopératives, mutuelles, toutes formes d’entreprises non capitalistes, de favoriser la socio-diversité par l’avènement de nouvelles formes d’entreprises.
Ce qui est essentiel, c’est que dans aucune de ces formes nouvelles on doit se trouver en situation où un seul des acteurs qui contribue à la richesse de l’entreprise soit en mesure d’imposer sa volonté à tous les autres. Ainsi, si vous donnez tout le pouvoir à l’État – on a connu cela dans certains systèmes – cela aboutit au totalitarisme et à l’émergence d’une nomenklatura qui met la société sous sa coupe. Si vous ne donnez le pouvoir qu’aux travailleurs, sans aucune participation ni droit de regard à ceux qui apportent les capitaux, il ne pourra pas y avoir d’entreprise. Mais si vous donnez – ce qui est le cas actuellement – tout pouvoir à ceux qui apportent le capital, cela aboutit à toutes les dérives catastrophiques du capitalisme d’aujourd’hui.
Consensus
Si vous obligez les quatre acteurs à œuvrer ensemble, il se dégagera nécessairement un consensus allant dans le sens de l’intérêt général. C’est une révolution, parce que c’est une proposition de gauche, et radicale (NdR : et non radicale de gauche…).
Il est cependant des domaines d’intérêt général dans lesquels il faut rétablir la propriété publique, chaque fois qu’on a affaire à des biens publics : l’eau, l’énergie, les transports collectifs, les télécommunications. On voit bien la série de catastrophes qu’a engendrées en Europe l’ouverture au privé de ces services : accidents, flambée des prix, réduction du service aux usagers, etc.
Et dans nombre d’activités, le problème n’est pas tant de savoir qui est propriétaire du capital que de savoir quels droits et obligations sont associés à la détention du capital. Quelle part revient aux travailleurs ? C’est là toute la question de la démocratie économique. Et cela se situe radicalement à gauche dans la mesure où il s’agit de la remise en cause absolue du pouvoir lié à la détention du capital. »
Progrès humains
À propos de la décroissance, Jacques Généreux préfère parler de « progrès humain », terme qu’il juge plus positif, car dit-il « vous ne mobiliserez pas les citoyens et les gens en leur disant : on va décroître ». Ce mot et cette thématique de la décroissance ont été choisis par ceux qui la prônent, par opposition, parce que dit-il encore : « Nous sommes dans une culture de la croissance à tout prix, ravageuse pour la qualité de notre vie et pour l’écosystème. Ce mot de décroissance a donc été choisi pour frapper les esprits. Le mot décroissance choque parce qu’il oblige à regarder en face la réalité selon laquelle il faudrait entre trois et cinq planètes pour assurer notre standard de vie à la totalité de la population mondiale. Et cela va imposer au cours des prochaines décennies des révisions déchirantes dans les modes de vie des sociétés occidentales. »
Il dit cela et bien d’autres choses encore qui mériteraient qu’on s’y attarde.
Propos inacceptables, intolérables même et qui dérangent tellement l’ordre économique établi ! Pour se faire pardonner cette faute inexpiable que d’avoir donné la parole à Lucifer, péché qui même confessé ne saurait être absous, Didier Adès, en postface de l’émission se crut obligé de faire la déclaration suivante : « Attention, que personne ne voie ici une prise de position de notre part. Il nous fallait faire des choix ou bien éviter les vrais sujets, ou bien paraître parfois partiels. C’est ce que nous avons préféré… ». Pathétiques ! Jouaient-ils à se faire peur ? Nul ne doute en tout cas que le patronat va bientôt leur faire payer cette infamie ! »
Reynald Harlaut

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