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Jean Le Bitoux nous a quitté cette semaine, emporté à 62 ans par la maladie. Personnage phare des luttes LGBT depuis quarante ans, il a joué un rôle décisif dans l'histoire de nos libertés.
Sans doute notre quotidien gay de 2010 ne serait-il pas aussi enviable sans l'action médiatique, politique, associative, personnelle, militante qui fut la sienne depuis mai 68. Jean à consacré sa vie à nos libertés.
Il se trouvait à l'amphithéâtre des Beaux Arts, au FHAR, (Front homosexuel d'action révolutionnaire -1968-73) dans les mois qui ont suivi mai 68. C'est là que je l'ai remarqué: ses prises de position, ses déclarations, ses idées en feu d'artifice éclairaient un monde militant balbutiant qui avait tendance à se perdre dans une immensité libertaire associative où tout était à inventer. Et en plus, il avait un charme fou...
Les associations de l'époque, que ce soit le FHAR ou les GLH se noyaient dans le paradoxe de la nécessité d'une organisation au service du libertaire. Le FHAR a été chassé de la rue Bonaparte par les CRS au moment où il allait exploser. Sa qualification de révolutionnaire ne faisait pas l'unanimité, et déjà, on se bousculait pour en prendre la tête et y imposer ses idées. Il en résulta les GLH (Groupe de libération homosexuelle), institutions locales, qui portèrent la bonne parole hors de Paris et brisèrent pour la première fois l'isolement des homos de province en essaimant dans quelques grandes villes. Mais il en fut des GLH comme de bien des associations à but ouvert: elles ne tardèrent pas à se diviser en plusieurs tendances qui délayèrent leur action dans des querelles internes.
Jean le Bitoux était partout, de tous les combats, sur tous les fronts, rassemblant, unifiant inlassablement un tissu associatif qui se liquéfiait pourtant au fur et à mesure entre ses doigts. Là où j'étais soldat, il était capitaine, là où je peignais des banderoles, il organisait les manifs. Jean avait toujours le regard synthétique, le talent d'organisateur, l'autorité naturelle qui lui faisait peur à lui-même, la vision globale qui rassemblait les actions et les bonnes volontés.
Lorsque je publiai timidement un livre, en 1979, il fonda une revue! Gai Pied. La première revue gay européenne d'après guerre, qui devait durer treize ans, et même continuer sans lui après 1984, préférant le consumérisme au militantisme à une époque où il restait encore tant à faire....
Nous devons à Têtu une page rassemblant l'essentiel du contenu du numéro un de Gai Pied. La première page, à côté de l'éditorial, rappelle les triangles roses et la déportation, suivi d'un article de Michel Foucault!
Déjà les gay paraissaient sur les listes électorales des écolos, on y trouve une critique du Tricks de Renaud Camus, et on salue la sortie de l'Ile Atlantique, de Tony Duvert, avec la seule photo de Duvert souriant que je n'ai jamais vue. A voir aussi page 12 une caricature de mollah, passée inaperçue à l'époque!
Tony Duvert à qui j'ai rendu hommage sur ce blog à son décès en août 2008...
Après Gay Pied, Jean Le Bitoux participa activement à Aides, puis s'investit dans la création d'un centre d'archives gay, avec le soutien de la Mairie de Paris.
On le retrouve partout, dans l'organisation de la Gay Pride, à Aides où il fonde « Le journal du Sida » dont il sera le premier rédacteur en chef, il participe à l'association « Les oubliés de la mémoire » - - auxquels il consacre un livre, qui perpétue le souvenir des déportés au triangle rose. Il est président-fondateur du Mémorial de la Déportation homosexuelle. - - A ce titre, il co-écrit avec Pierre Seel « Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel ».
Lorsque j'étais adolescent, le seul adulte de ma vie de jeune homo était précisément un rescapé de Flossenbourg, un homme dont la vie avait été brisée à 20 ans par la déportation pour homosexualité et qui ne pouvait, après son retour dans un état de santé pourtant précaire, réclamer à aucun titre le moindre dédommagement, la plus petite réparation. C'est à cet homme, le seul plus âgé que moi que j'aie jamais aimé, que je dois d'être devenu... l'homme que je suis. Mais un blog qui parle de son auteur est un blog raté. C'est la société et les hommes qui la font qui est intéressante, pas ma petite existence.
J'ai revu Jean Le Bitoux de loin en loin aux détours de la vie militante, et pour la dernière fois il y a quelques mois au dîner d'une association où je m'active et dont il était l'invité. Je l'avais trouvé brutalement vieilli, même s'il n'avait rien perdu de son humour, de sa joie de vivre communicative et de sa vivacité. Se sachant certainement condamné à courte échéance, il nous avait néanmoins exhorté avec fougue à la poursuite d'une bataille contre l'obscurantisme et la réaction, une bataille dont il a toujours su qu'il ne verrait pas la fin.
Voici une petite vidéo qui relate les conditions de la situation des homos en 1979 et de la militance de l'époque. A la fin passe un couple d'amants.. Le plus petit des deux garçons, celui tout en noir. c'est Jean. Jean à l'époque où je l'ai connu.
1979 Jean Rossignol Antenne 2 "ces hommes qui s'aiment" avec
envoyé par jeanrossignol. - Les dernières bandes annonces en ligne.
A cette époque, l'homosexualité était un sujet de faits divers. Grâce à quelques hommes comme lui, les droits des gays sont devenus un enjeu politique. Merci, Jean.
Pour terminer ce billet comme Jean aurait aimé, en rigolant, permettez moi de vous suggérer une lecture pas sérieuse. Une fantaisie pornographique dont quelques pages (72 et suiv, 199 et suivantes), sont des pamphlets antisarkoziques hautement corrosifs. Ça se laisse lire... Certains même le liront d'une main.
Harry Poppers et le secret de l'arôme interdit
d'un certain AS Steelcock, aux éditions H&O, en vente dans toutes les bonnes librairies, dont les Mots à la bouche, et même peut-être aussi dans quelques mauvaises.
Dernière minute: Amis de la "racaille sodomite", si vous voulez savoir à quoi les militants LGBT doivent faire face quotidiennement, prenez une bonne bouffée d'oxygène et allez lire ça... jusqu'au bout!
La dernière goutte est la meilleure!
Harry Poppers et ses dragons, à côté, c'est de la gnognote! Ce sont eux qui nous traitent d'extrémistes et de lobbyistes! Ce doit être chez eux comme chez les vampires: il n'y a pas de miroir!
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 24 avril à 09:04
Merci pour ce témoignage. Je dois toutefois te signaler une grosse erreur: Jean n'a jamais participé à l'association les oubliés de la mémoire, et le livre du même nom ne parle pas de cette association mais bien de la déportation pour motif d'homosexualité. Cette association a été fondée après la publication du livre en reprenant le titre sans l'autorisation de Jean et contre sa volonté puisqu'il avait lui même fondé l'association Memorial de la Deportation Homosexuelle en 1989.