Bouclier fiscal : non à la chasse aux riches !

Publié le 23 avril 2010 par Lecriducontribuable

Article paru le vendredi 23 avril dans Le Figaro.


Jacques Garello, professeur ­d’économie et président fondateur de l’Aleps, stigmatise la diabolisation des hauts revenus, une spécificité bien française.

La mode est à la diabolisation des riches. Bouclier fiscal, bonus des traders, rémunérations des patrons : les médias et les hommes politiques entretiennent un sentiment de plus en plus répandu dans notre pays : le rejet du riche, la ploutophobie, pour ne pas dire la haine des riches.

L’étude de l’Insee sur les écarts de revenus vient renforcer la thèse d’un enrichissement permanent d’une minorité, tandis que les pauvres seraient de plus en plus nombreux. L’opinion publique est ainsi invitée à s’émouvoir de l’excès de richesse de quelques-uns, forme d’injustice à l’égard de ceux qui sont victimes de la crise.

L’épée de Bercy est suspendue sur la tête des riches : imposons plus fortement les hauts revenus et les grandes fortunes. On pourrait diminuer ainsi le déficit budgétaire, la dette publique et même les trous des régimes de retraites et de maladie. En fait, la surtaxation représenterait une goutte d’eau dans l’océan des déficits publics, à supposer qu’elle ne déclenche aucune fuite. Mais elle s’abrite aussi derrière un argument ­moral : dans une période difficile, il est naturel que ceux qui continuent à bien vivre fassent preuve de solidarité avec les déshérités de la nation.

Je propose trois explications à cette ploutophobie. La première tient à la place séculaire de l’État dans la société française. Frédéric Bastiat affirmait : «Je ne crois pas que le monde ait tort d’honorer le riche ; son tort est d’honorer indistinctement le riche honnête homme et le riche fripon.» Or, le propre de l’étatisme est de créer beaucoup de riches fripons, c’est-à-dire de personnes qui vivent bien grâce aux seules largesses de la puissance publique. Cela n’est pas nouveau : la monarchie absolue a établi la tradition de la Cour, de l’enrichissement essentiellement dû à la proximité et à la bienveillance du roi. À la différence de la noblesse anglaise qui s’était alliée avec les marchands pour redorer son blason, la noblesse française a cherché sa fortune dans les allées des palais royaux.

Distribuer des privilèges, assurer des rentes, accorder des passe-droits : la méthode est toujours à l’œuvre aujourd’hui. Beaucoup de riches ne doivent leur fortune qu’aux marchés publics, aux finances publiques, aux réglementations publiques, aux entreprises publiques, etc. Par contraste, le riche «honnête homme» est celui qui ne doit sa réussite qu’à son initiative, à son travail, à sa créativité, à son sens du service. Il devrait avoir reconnaissance et faire des émules. Mais aussi assumer ses responsabilités : richesse oblige. Pourtant, au prix d’un amalgame pas toujours innocent, on mêle les genres et toute richesse devient suspecte. La ploutophobie va donc de pair avec la ploutocratie, ­alliance du pouvoir et de la richesse.

La deuxième explication s’articule avec la précédente. Par tradition, la France n’a pas l’esprit marchand. Pour son bonheur notre pays a été durant des siècles le plus opulent d’Europe. «Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France.» Mais, pour son malheur, il s’est cloisonné dans son agriculture et son artisanat, manquant le train du commerce et de la finance au XVIIe siècle. Il en résulte une ignorance, toujours durable, des mécanismes élémentaires du marché. Commerçants, banquiers, intermédiaires, voire prestataires de service, passent pour des parasites, une «classe stérile», disaient les physiocrates du XVIIIe siècle. Tous ces gens sont supposés s’être enrichis au détriment de la vraie population laborieuse, celle des paysans, artisans et (plus tard) industriels et ouvriers. Devoir sa réussite au capital et au marché, c’est aux yeux du plus grand nombre bâtir une richesse immorale.

La troisième explication est l’égalitarisme, que l’on devrait appeler «jalousie». Au XIXe siècle, Alexis de Tocqueville décrivait le contraste entre les mœurs françaises et américaines. Les Américains cherchaient des formules consensuelles, et la réussite était considérée comme un don de Dieu (le calvinisme était passé par là), le pouvoir politique n’avait rien à voir dans les métiers et les carrières. Les Français préféraient les succès individuels, se tournaient toujours vers la puissance publique et cultivaient l’envie. Jean Fourastié avait écrit un ouvrage au titre significatif : Le Jardin du voisin. On jalouse ce que l’autre peut avoir. Un dessin célèbre représentait un gros monsieur avec un gros cigare au volant d’une grosse voiture. Réaction de l’Américain : «Je veux un jour avoir la même voiture» ; celle du Français : «Je prendrai la place de ce bonhomme.» Cet égalitarisme revient à «couper tout ce qui dépasse» : «les ratés ne vous rateront pas», disait Céline.

Je conclurai mes propos peu politiquement corrects par une note d’optimisme, car je crois qu’il est simple de changer les mentalités, et d’aider les Français à guérir de cette maladie propre à l’économie mixte et aux sociétés ambiguës. Il faut d’abord en finir avec le tout-État, le tout-politique, qui multiplie les cadeaux royaux, les privilèges, les régimes «spéciaux», les niches, les subventions et autres sources d’enrichissement sans cause.

Il faut ensuite remettre en honneur les valeurs morales et civiques indispensables que sont le mérite, la création, le service des autres, l’esprit d’équipe et de compétition ; ces valeurs ont été désapprises dans notre système niveleur et massifiant d’Éducation nationale. Il faut encore restaurer l’État de droit et soumettre toutes les personnes aux mêmes règles. Il faut enfin se guérir de la maladie de la lutte des classes, déclinée à tous propos : les riches et les pauvres, le Nord et le Sud, le propriétaire et le locataire, le maître et les élèves, voire les parents et les enfants. La ploutophobie, ça se soigne.

(*) Aleps : Association pour la liberté économique et le progrès social.