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L’esquif

Par Montaigne0860

J’aimerais revenir sur mon ancre, là où la barque dérivante se pose un jour à jamais. Évoquer l’esquif c’est dire la mort que nul n’esquive… pauvre jeu de mots, comme si le mutisme caché derrière le ‘mot’ annonçait le silence qui me prendra un jour au collet. La barque va de-ci de-là sous les saules qui saluent bien bas jusqu’à effleurer mon corps embarqué sans nul retour, passage cher à Montaigne souriant et lucide. Une voix suggère qu’on n’évoque pas impunément la faux cafardeuse ; qu’on le fasse ou non ne change rien et si l’envie me prend de le faire, toi qui es sans doute immortel dans ton présent, passe ton chemin ou plutôt laisse passer la barque ; sache cependant mon ami que la paix fatale te viendra aussi bien qu’à ma voix. La gorge se serre de songer à bientôt et la gorge se dénoue de goûter ce tantôt où la tiédeur d’avril inonde les yeux et les eaux, elles qui roulent imperturbables sous le premier soleil. Ce petit rien de temps, ce léger de l’instant lesté de ma présence a des silences secrètement entretenus par les mots que je jette comme galets précieux, m’essayant pour sourire aux ricochets menteurs (puisqu’aucune pierre jamais ne flottera de même que toute vie, tu l’as compris, ne se conçoit sans la compagnie-gravité de la mort). Ainsi la barque va-t-elle d’un bord à l’autre ; de la lumière du ciel au gris tranquille de la pierre sur laquelle on grave discret le nom de qui fut vivant et quelques chiffres nets pour dire la seule chose sûre que l’on saura de toi, de moi ; mais là encore ce n’est qu’apparence car les dates relèvent d’une convention qu’ailleurs on peut bien lire autrement. Je ferais mieux de goûter l’autre bord où le soleil donne à plein sur les eaux, miroitements peut-être, apparences encore, mais que le régal des yeux soit notre viatique et si je me lasse, je peux fermer les paupières, oiseaux, clapotis, frissons et parfois cette voix remontent de loin, ma mémoire de toi, ta mémoire de moi, et soudain quelque chose s’ancre en plein midi, verticalité de l’instant où nous cessâmes d’être seuls dans l’esquif. Cela seul demeure.


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