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"Mélancolie française" d'Eric Zemmour

Publié le 23 avril 2010 par Francisrichard @francisrichard

Le dernier livre d'Eric Zemmour porte un bandeau qui reflète bien l'intention de l'auteur : L'histoire de France racontée par Eric Zemmour. L'histoire de France qu'Eric Zemmour nous raconte n'est donc pas celle que nous avons apprise sur les bancs de l'école. Et c'est tant mieux. Cela nous change des Malet et Isaac de notre enfance. 

Eric Zemmour voit les évènements à travers une grille très personnelle. La France, quel que soit son régime, aurait la nostalgie de l'empire romain perdu. Cet empire rêvé ne serait devenu réalité qu'épisodiquement. Il serait définitivement évanoui. Ce dont la France ne se remettrait pas.

Après l'éclatement de l'empire de Charlemagne, déterminé par le traité de Verdun, la monarchie capétienne aurait recherché inconsciemment à le reconstituer et, en quelque sorte, à redevenir Rome. Elle aurait au moins voulu étendre le pays jusqu'à ses frontières naturelles, qui comprennent la rive gauche du Rhin, ce qui aurait résolu le problème belge qui ressurgit aujourd'hui.

Napoléon, héritier de la Révolution française, mais aussi de cette nostalgie romaine, aurait presque réussi à rassembler derrière lui tout le continent européen. 1815, Waterloo, serait malheureusement le tournant fatal de cette quête multiséculaire. Après cette défaite, rien ne serait plus comme avant :

"Une souffrance, une tristesse, une mélancolie française commence en effet à imprégner notre pays. Les esprits les plus avisés, les plus fins ont tout senti. L'impasse stratégique de la monarchie capétienne; les enthousiasmes révolutionnaires sans lendemain; la gloire impériale ternie par les défaites finales. L'Europe continentale sous domination française est une chimère qui s'éloigne."

Eric Zemmour oppose l'insulaire Angleterre au continent. L'Angleterre, Carthage, aurait tout fait pour qu'aucune puissance ne surgisse sur le continent et ne rétablisse Rome. Elle aurait affaibli la France, mais lui aurait subtilement laissé suffisamment de forces pour qu'aucune autre puissance ne prenne sa place, suivez mon regard du côté de l'Allemagne.

Eric Zemmour oppose le libre-échange au protectionnisme. Le libre-échange serait le destructeur des richesses continentales, qui autrement se seraient développées bien à l'abri des frontières de l'Europe... continentale. Le commerce mondialisé des anglo-saxons - de l'Angleterre, puis des Etats-Unis -, aurait eu raison de l'industrie... continentale.

Le dernier rêve impérial français aurait été colonial, mais il a échoué comme les précédents. Il s'agissait de civiliser les "barbares", ce qui reste profondément ancré dans la mentalité hexagonale :

"Le Français pense que tout étranger, quelles que soient son origine, sa race, sa religion, peut accéder au nirvana de la civilisation française. Attitude un brin arrogante, xénophobe même, mais aucunement raciste."

On sent bien qu'Eric Zemmour fait sienne cette mélancolie française du rêve impérial fracassé, qu'il est réellement triste que la France ait renoncé à sa domination sur l'Europe et qu'ayant perdu son âme elle ait renoncé à assimiler les étrangers et préféré les intégrer. L'idée nationale, à laquelle il paraît adhérer, s'est pervertie :

"[Elle] continue à faire tourner la roue de l'histoire; mais elle descend désormais au niveau de l'ethnie et risque de détruire les Etats-nations édifiés au fil des siècles".

De même l'Europe telle qu'elle se construit, à la fois technocratique et libre-échangiste, ouverte sur le monde, ne peut recueillir ses suffrages :

"L'Europe n'est alors plus un but en soi, mais une première étape sur le chemin grandiose de l'unité mondiale".

Toujours est-il que le résultat aux yeux d'Eric Zemmour est désastreux. L'enterrement progressif de la langue française en témoigne, signe qui ne trompe pas sur la perte d'influence de la France sur son propre sol :

"Elites mondialisées parlant, pensant en anglais, et lumpenprolétariat islamisé forgeant un créole banlieusard : une double sécession linguistique mine silencieusement notre pays qui avait pris l'habitude séculaire d'associer unité politique et linguistique, et qui fit même pendant longtemps rimer les progrès de la francisation avec ceux des Lumières".

Il est difficile de suivre Eric Zemmour dans ce rêve impérial français. Une nation n'est pas seulement grande par son étendue géographique; elle peut l'être par son envie de vivre, par son dynamisme, par sa volonté de concurrencer les autres. Or ce n'est pas à l'abri de frontières, qu'elles soient françaises ou européennes, que la France peut retrouver son éclat. Au contraire c'est l'assurance qu'elle continuera de s'étioler parce qu'elle refuse de relever les défis d'aujourd'hui. Eric Zemmour relève bien que les fonctionnaires sont une spécialité française, mais il n'en tire pas les justes conséquences...

Il est plus facile de suivre Eric Zemmour quand il regrette que la démographie française ne se maintienne que grâce à l'apport d'étrangers qui ne partagent pas les valeurs qui ont fait la France et qui vivent de plus en confinés dans leur manière de vivre originelle.

Les lecteurs du Figaro Magazine ou du Spectacle du Monde, les auditeurs de RTL, les téléspectateurs de l'émission On n'est pas couché de Laurent Ruquier, retrouveront dans ce livre, où plane l'ombre de Bonaparte, le ton volontiers goguenard, impertinent d'Eric Zemmour. Ils passeront un bon moment avec cet érudit qui est loin d'adopter la pensée unique du moment, qui bouscule les habitudes de pensée et qui, même si l'on n'est pas d'accord avec lui, suscite la réflexion sur le destin d'un pays merveilleux, où j'ai vécu le plus clair de mon âge.

Francis Richard

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