Championnat du monde d’échecs : présentation

Publié le 23 avril 2010 par Vinz

Samedi débutera à Sofia -et jusqu’au 12 mai- le Championnat du monde d’Echecs 2010 entre le tenant du titre, l’Indien Viswanathan Anand et son challenger, le Bulgare Veselin Topalov. Ce match tant attendu est toujours l’événement majeur du monde des Echecs. Voici une présentation du match et des deux champions.

Affiche officielle du Championnat du Monde 2010.

Le match

Depuis l’arrivée à la tête de la FIDE du milliardaire russe Iloumjinov, le championnat du monde d’Echecs a multiplié les versions : format classique en 1996 (20 parties), format coupe lors des quatre éditions suivantes (1998,2000,2002 et 2004), puis un format tournoi en 2005, un format match en 12 parties en 2006, puis encore un tournoi en 2007 et un match sur 12 parties en 2008. La multiplication des formules est liée à la difficulté d’obtenir l’adhésion des joueurs tout en tenant compte des exigences modernes : les formats en 24 parties étaient désuets. Le système coupe n’a pas obtenu le soutien des champions car celui-ci ne favorisait pas le meilleur intrinsèquement mais celui qui était le plus fort en parties rapides.

D’autre part, ces formules ont changé en raison également de la scission entre Kasparov d’un côté et la FIDE de l’autre. Kasparov ayant renoncé, Kramnik lui a succédé et n’a pas changé de ligne. En 2005, un processus de réunification a été aménagé, pas toujours simplement et s’est définitivement concrétisé en 2008 avec le match entre Kramnik et Anand.

Le match se déroule à Sofia, capitale de la Bulgarie, pays d’origine de Veselin Topalov. La Bulgarie était quasiment le seul candidat crédible, d’autant plus qu’elle demandait à organiser le championnat du monde depuis que Topalov était devenu le numéro un mondial en 2005, après la retraite de Kasparov.

Le format est de douze parties. Il limite à un peu moins de trois semaines la durée du match. Pourtant, nombreux sont ceux qui espèrent qu’on ira à une formule à 16 parties, comme le propose Anatoli Karpov.

Le vainqueur est le premier joueur à atteindre 6,5 points. En cas d’égalité 6-6, des parties rapides de départage sont prévues. Finie la règle stipulant que le champion conservait son titre en cas d’égalité : Lasker en 1910, Botvinnik en 1951 et 1954 et même Garri Kasparov en 1987 avaient bénéficié de cette clause.

Pour équilibrer les chances, on a décidé que les deux joueurs inverseraient l’ordre des couleurs à partir de la 7ème partie. En effet, les jours de repos ont lieu après les parties 2,4,6,8,10 et 11. Pour ne pas favoriser le joueur qui a les Blancs systématiquement dans les parties impaires, on a décidé d’alterner. Ainsi Topalov, qui aura les Blancs dans la première partie, jouera en premier dans les parties 1,3,5 et les parties 7,9,11 seront débutées par Anand (dans les parties paires c’est évidemment le contraire). Le tirage au sort des couleurs s’est déroulé mercredi, lors de la cérémonie d’ouverture qui marque le début officiel du match.

Le match se déroule au Club Militaire Central de Sofia, un haut lieu culturel de la capitale. Les deux joueurs seront séparés du public par un « rideau invisible » qui leur permettra de ne pas voir le public pendant que celui-ci pourra observer les deux joueurs. Notons que ce championnat du monde est le premier qui oblige les deux protagonistes à être présents au début de la partie (un règlement de la FIDE l’impose). Cela évite les retards et des attitudes comme celles de Bobby Fischer qui, exécrant les photographes, arrivait systématiquement après le gong pour éviter les flashes.

Le Club Militaire Central de Sofia, lieu du match.

Les deux adversaires

Viswanathan Anand

Né le 11 décembre  1969  à Madras (Chennai aujourd’hui), Anand Viswanathan devient champion du monde junior en 1987, étant le premier joueur asiatique à le devenir.Il devient grand-maître en 1988.

Il fait parler de lui en raison de la rapidité de son jeu. Très intuitif, l’Indien expédie ses parties en une demi-heure quand un joueur la joue en deux heures. On le surnomme alors « Lucky Luke ».

C’est en 1990 qu’il atteint les sommets. Il se qualifie pour le tournoi des Candidats. Il expédie le Soviétique Dreev puis pousse dans ses retranchements Anatoli Karpov qui le bat dans la dernière partie. Quelques semaines plus tard à Tilburg, il devient le deuxième joueur de l’Histoire à battre Kasparov et Karpov dans un même tournoi. En 1992, il remporte son premier grand succès à Reggio Emilia où il devance tous les ex-soviétiques, les deux K compris (il bat Kasparov avec les Noirs). Le voilà installé dans le gotha qu’il n’a plus quitté depuis.

Anand participe aux deux cycles rivaux pour le championnat du monde. En 1995, il affronte Garri Kasparov au sommet d’une des tours du World Trade Center à New York. Après 8 nulles, il bat le champion russe mais ce dernier le punit dans les parties suivantes (4 gains sur les 6 parties) et remporte le match 10,5 à 7,5. En 1998, il participe au premier championnat du monde style coupe voulue par la FIDE. Sortant vainqueur d’un marathon de près d’un mois, il affronte à Lausanne, au siège du CIO, Anatoli Karpov, frais et dispos mais ne s’incline qu’en prolongation.

En 2000, Anand devient champion du monde FIDE en battant l’Espagnol Alexeï Chirov en finale, à Téhéran. La même année, il avait participé avec ce dernier à une exhibition pendant les Olympiades de Sydney, dans le but de convaincre le CIO d’intégrer les Echecs dans le programme olympique.

En 2005, il termine deuxième ex-æquo du championnat du monde en Argentine, gagné par Topalov.

En 2007, Anand redevient champion du monde, unifié cette fois, en gagnant le tournoi de Mexico devant Kramnik. Les deux hommes s’affrontent à l’automne 2008 à Bonn. Supérieurement préparé, l’Indien surclasse le Russe dans la première moitié du match (3 victoires et 3 nulles) et gère tranquillement la suite (1 défaite et 4 nulles) pour l’emporter 6,5 à 4,5.

Le palmarès de ‘Vishy’ est impressionnant :  grand spécialiste du jeu rapide, ses succès sont nombreux. Il détient aussi le record de victoires dans le tournoi Corus, organisé aux Pays-Bas, un des tournois majeurs de la saison (5 succès). Il a aussi gagné trois fois Linarès, le « Wimbledon des Echecs » et est vice-champion du monde de blitz. Anand est une star dans son pays : il a été le premier récipiendaire du trophée Rajiv-Gandhi, récompensant le meilleur sportif. Sa popularité est à élever au niveau des stars du cricket. Il a beaucoup fait pour que le jeu soit soutenu par de grandes firmes (comme Tata qui possède le groupe Corus qui organise le tournoi aux Pays-Bas).

Son style a évolué avec le temps. Anand jouait agressivement avec les Blancs et les Noirs à ses débuts mais son jeu est devenu plus solide et plus mature. Difficile à jouer quand il a les Blancs, car il a un sens profond de l’initiative, il joue plutôt la solidité avec les Noirs. Il est néanmoins capable de choisir des lignes agressives, qui correspondent davantage à son tempérament. La psychologie risque bien d’être un de ses points forts dans ce match : en 2008, il avait surpris Kramnik en changeant son répertoire d’ouvertures. Le Russe, mal préparé, avait cédé deux fois avec les Blancs. En fera-t-il autant contre Topalov ? Son côté trop gestionnaire risque bien de le piéger.

Aujourd’hui, Anand vit en Espagne, depuis de nombreuses années d’ailleurs. Au dernier classement Elo, Anand est au quatrième rang mondial avec 2787 points.

Veselin Topalov

Né le 15 mars 1975 à Rousse en Bulgarie, Veselin Topalov fait parler de lui pour la première fois en 1989, lors du championnat d’Europe junior, où il mène la vie dure aux Soviétiques. La même année, il décroche le titre chez les cadets.

Topalov fait son entrée dans le gotha échiquéen à partir de 1993. Les résultats sont inconstants mais après avoir travaillé avec Mark Dvoretzky (considéré comme le meilleur entraineur du monde), ceux-ci sont plus stables. En 1996, il remporte le tournoi d’Amsterdam, devant Kasparov qu’il bat. C’est une de ses meilleures années. Les suivantes le voient se maintenir à haut niveau mais il n’est pas vraiment un candidat au titre mondial du même calibre qu’Anand.

En 2004, il est demi-finaliste du controversé championnat du monde (qui s’est déroulé en Libye et dont les organisateurs avaient exclu d’emblée les Israéliens).

L’année 2005 voit Topalov arriver au sommet : il remporte Linarès avec Garri Kasparov. D’ailleurs, il le bat à la dernière ronde, la dernière partie du champion russe. Comme une passation de pouvoir car Topalov devient numéro un mondial après la retraite de Kasparov. Il remporte le premier M-Tel Masters de Sofia (qu’il gagne en 2006 et 2007) organisé pour lui. En septembre, il est littéralement injouable au championnat du monde de San Luis en Argentine : il gagne 6 des 7 premières parties et se contente d’annuler les 7 autres, le titre étant joué.

En 2006, il dispute le championnat réunifié contre Vladimir Kramnik à Elista en Russie. C’est alors que l’image du champion bulgare s’écorne. Lui-même accusé de tricherie, il accuse Kramnik de tricher en dissimulant un petit ordinateur avec un logiciel dans les toilettes. Le Toiletgate empoisonne le match : Kramnik refuse l’inspection des toilettes incriminées et perd une partie par forfait. Dans une ambiance totalement délétère, Topalov perd le match en prolongation (8,5 à 7,5). Il a l’image d’un mauvais perdant. Mais il a été dans un premier temps exclu de l’actuel cycle malgré un accord qui prévoyait qu’un match revanche était possible s’il avait le soutien financier pour l’organiser. La FIDE voulant lui faire payer son attitude (la Fédération Russe en fait), elle rejeta ce projet pour finalement arranger un match de candidats entre Topalov et l’Américain Kamsky. Ce match, qui a eu lieu en février 2009, a été gagné par le Bulgare 4,5 à 2,5.

Après quelques mois difficiles, Topalov se remet à gagner et redevient numéro un mondial après sa victoire à Shanghai en décembre 2008. Cette place, il doit l’abandonner au profit de Magnus Carlsen au 1er janvier dernier.

Le style de Topalov est très spectaculaire. Son jeu est sans compromis : il joue pour le gain avec les Blancs comme avec les Noirs. Le risque fait partie du jeu, sans atteindre les excès d’un Mikhail Tal. Ces risques sont à la fois stratégiques et tactiques : il est capable d’assumer des faiblesses majeures dans sa position s’il peut trouver des chances d’attaque ailleurs. De même, ses parties sont souvent tendues, une seule faute peut la faire basculer. Ce jeu lui vaut des défaites mais aussi et souvent de nombreuses victoires. Cela lui a valu aussi de réaliser quelques retours impressionnants après de mauvais départs. Topalov ne joue pas dans la demi-mesure et une défaite ne l’abat pas. Mais un style pareil nécessite beaucoup de confiance : Topalov peut être injouable quand il l’a et la réussite aussi, mais il peut totalement s’écrouler. Cela peut être une arme à double tranchant contre un Anand plus placide.

Le point fort de Topalov reste la préparation dans les ouvertures. A l’instar de Kasparov, il arrive à imposer des lignes qu’il a soigneusement étudié, et qui sont souvent très tranchantes. S’il parvient à jouer ses préparations à Anand, il prendra un avantage psychologique. D’autre part, Topalov est capable de tout jouer ou presque : ce qui est un bien et un mal en même temps. De même, c’est plutôt un bon joueur de finales, ce qui est normal à ce niveau. Cette capacité à se relever et à aborder une partie sans penser à la précédente peut déstabiliser Anand.

Avec 2805 points, Topalov occupe le deuxième rang mondial.

Même s’il joue à domicile, même s’il est mieux classé, Topalov n’est pas le favori. Le format match convient moins à son style car Anand peut s’y adapter. L’expérience du champion du monde en match pourrait faire la différence, d’autant plus qu’on présume qu’il s’est préparé pour déjouer les surprises concoctées par Topalov dans les débuts de partie.

Les statistiques : en comptant toutes les parties dans toutes les cadences, Anand a le meilleur bilan (87 parties : 23 victoires à 14 et 50 nulles) mais en partie classique c’est le Bulgare qui mène pour le moment (45 parties : 11 victoires à 10 et 24 nulles). Une donnée importante : en cas d’égalité, Anand sera favori en départage dans une cadence où il est nettement meilleur dans le face-à-face.

L’ « Ashegate »

Avant le match, la préparation psychologique à l’affrontement a été bien lancée. Ainsi Silvo Danailov, le manager de Topalov, déclara que Topalov ne proposera jamais la nulle et qu’il ne discutera pas avec le champion du monde après la partie. Topalov se serait décidé d’appliquer à lui-même la « règle de Sofia », autrement dit l’interdiction de proposer la partie nulle à son adversaire, qui n’existe pas en championnat du monde. De fait, Topalov veut certainement imposer un duel physique à Anand, en jouant aussi le match sur la longueur des parties.

Mais surtout la polémique est venue il y a quelques jours. Coincé à Francfort alors qu’il était en transit d’Espagne vers Sofia, Anand ne pouvait prendre l’avion en raison des interdictions de vol liées à la présence d’un nuage de cendres venu d’Islande. Certaines langues humoristiques y ont vu le dernier geste de Bobby Fischer mais surtout l’Indien, qui devait arriver vendredi dernier, risquait de ne pas être présent à la cérémonie d’ouverture mercredi et pas en état de disputer la première partie qui devait se dérouler vendredi 23 avril.

Anand demanda au comité d’organisation et à la FIDE de reporter la première partie de trois jours (du 23 au 26 avril). Après discussions et refus initial des organisateurs bulgares qui invoquaient des problèmes d’organisation, la FIDE décida que la première partie serait reportée de 24 heures, au 24 avril. Il faut savoir qu’Anand avait déjà demandé et obtenu un recul de la date du  match qui aurait dû commencer le 5 avril et qui a finalement été repoussé au 23 après accord des parties lors de la signature du contrat.

Du coup, bloqué dans l’aéroport allemand, l’Indien a dû faire le trajet en voiture entre Francfort et Sofia, soit environ 40 heures de voyage (Il n’y a pas que les Lyonnais et les Barcelonais qui ont le droit de chouiner). Lundi soir, Anand était bien arrivé et il a assisté, fatigué par le voyage, à la cérémonie d’ouverture mercredi. Ce que j’appelle l’ »Ashegate » (Ashes pour cendres, les amateurs de cricket le savent bien et Anand est indien).

En tout cas, on attend un beau match, le premier qui n’implique ni un Russe, ni un Soviétique depuis… 1921 (Capablanca contre Lasker) ! Si on considère qu’Alekhine, bien que Français, était d’origine russe, sinon on remontera à … 1937 (Alekhine contre Euwe). Depuis, un Soviétique (ex ou pas) ou un Russe a toujours disputé un championnat du monde, même au temps de la scission.

Une dernière chose : la dotation du match est de 2 millions d’€ dont 1,2 viendra au vainqueur. Mais la FIDE prélèvera 20% des gains (ce qui fait que le vainqueur et le vaincu empocheront respectivement 960 000 et 640 000 €). On reste quand même assez loin des gains des tennismen ou des golfeurs.

Timbre spécialement édité pour le match Anand-Topalov. Le match est un véritable événement en Bulgarie. Le président de la République s'est investi dans les négociations et le Premier Ministre est un des parrains du match.

Photos.

Source : Site officiel du championnat du monde : http://www.anand-topalov.com/

Chessbase. http://www.chessbase.com