Tate Britain présente jusqu’au 6 Janvier une exposition consacrée au Prix Turner depuis ses débuts. C’est l’occasion de voir quelles oeuvres ont été sélectionnées et couronnées au cours des 22 années du Prix, ce qui donne une vision assez complète de l’art britannique contemporain.
Mais c’est aussi une excellente introduction aux mécanismes du milieu de l’art, tels que l’évolution du prix et les réactions des médias et du public les traduisent. Il y a en fait trois débats sous-jacents particulièrement intéressants:
- qui est éligible ? au début, à côté des artistes, il y avait aussi des commissaires et des critiques. Assez rapidement, le Turner devient fort heureusement un prix pour les seuls artistes. Mais ce sont des artistes britanniques : cela veut-il dire qu’ils sont sujets de Sa Majesté, qu’ils sont nés en Grande Bretagne, qu’ils y ont étudié, qu’ils y résident ? C’est bien sûr un outil de promotion nationale, mais de manière assez lâche. Le premier lauréat, en 1984, Malcolm Morley, vivait aux Etats-Unis depuis plus de vingt ans (en bas Day Fishing in Heraklion, et Craddle of Civilization with American Woman). En 2000, trois des quatre artistes sélectionnés pouvaient être considérés comme étrangers (Raedecker, Takahashi et le lauréat Tillmans). Le “nationalisme” du prix est un sujet débattu chaque année. Son “sexisme” l’est aussi (29% des sélectionnés sont des femmes, et trois lauréates seulement; mais, en 1997, tous les sélectionnés étaient des femmes et Gillian Wearing obtient le Prix, pour la vidéo, fixe ou presque, de 60 Minute silence, ci-contre). Et les amis des animaux protestent contre le prix 1995 attribué à Damien Hirst pour Mother and Child, Divided (en haut).
- quel type d’art met-on en avant ? Des artistes confirmés ou des jeunes talents émergents ? Des découvertes ou des célébrités ? La peinture ou des nouveaux médias ? Le premier vidéaste est primé en 1996 (Douglas Gordon); en 1998, pour la première fois en dix ans, un peintre (Chris Ofili) gagne le prix, et, en 2006, une peintre très “classique” (Tomma Abts). En 2001, l’oeuvre conceptuelle de Martin Creed (The lights going on and off) et en 2005 Shedboatshed (cabanebateaucabane, ci-dessus) de Simon Starling entraînent évidemment la question “mais est-ce de l’art ?”.
- dans quelle mesure l’attribution du prix tient-elle compte des médias et du public ? Dès le début, les médias grand public, de droite ou de gauche, manifestent plutôt fréquemment incompréhension, sarcasme et nationalisme. Peu à peu, le Prix se fait une place, et certains médias, the Guardian en particulier, s’engagent intelligemment dans le débat. En 2002, le Ministre de la Culture laisse négligemment un commentaire dans le livre d’or de l’exposition : “cold mechanical conceptual bullshit”, qui fait scandale. Cette même année, le public est invité à s’exprimer largement : il ne vote pas à proprement parler, mais sondages et opinions sont examinés par le jury.
Au final, un prix qui a réussi, je trouve, en s’affranchissant de critères trop étriqués et en étant un peu en avance sur les goûts communs; un peu, mais pas trop. Que nous manque-t-il pour que le Prix Marcel Duchamp fasse aussi bien ? Une différence qui saute aux yeux, outre l’ancienneté du prix, est que le jury du Turner Prize (cinq personnes) n’a qu’un seul membre permanent, Nicholas Serota, qui dirige la Tate; les quatre autres membres changent tous les ans. Mais je laisse de plus savants que moi mieux analyser la situation.
Les artistes sélectionnés pour le Prix 2007 sont exposés à Liverpool, où je n’ai pu aller, et le lauréat sera annoncé le 3 Décembre. Ma préférence irait à Nathan Coley, ci-contre.
Photos provenant du site de la Tate.