(Suite de la scène 5)
LE PRESIDENT
Prononcer son beau nom ! Amusant. Et facile.
Comment voulez-vous donc qu'en un souffle on enfile
Un nom comme cela ?
CUNEGONDE
Mais il faut essayer.
Je l'ai d'ailleurs noté, de peur de l'oublier.
(Elle fouille une poche de sa combinaison de protection, en sort un papier.)
Ah zut ! Il fait trop noir. Je ne peux pas le lire.
Avez-vous une lampe ?
FEFE DE BROADWAY
Non.
LE PRESIDENT
Non.
DAKTARI
Eh, à vrai dire
Notre hâte à partir nous a fait oublier
De prendre l'essentiel, de quoi nous éclairer.
CUNEGONDE (Dépitée)
Comme c'est ennuyeux ! Et pas même un briquet ?
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Oh que vous êtes sots, que vous êtes benêts !
Ce n'est pas compliqué pourtant de l'appeler !
Hjkkksiidddjhljljjfd, es-tu donc réveillé ?
(Grand silence stupéfait. Fifi cesse de jouer de la trompette.)
Pourquoi vous taisez-vous ? N'est-ce pas le moment
De joindre votre voix à mon appel ardent ?
LA MADONE (Sonnée)
Tu parles l'islandais ?
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Mais pas du tout. Pourquoi ?
LA MADONE
Ce mot bizarroïde est donc de l'iroquois ?
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Nullement. C'est le nom, tu dois le reconnaître,
Du volcan en question.
LE PRESIDENT
Elle nous prend en traître.
Personne ne savait qu'elle était si capable
De prononcer un mot aussi imprononçable.
LA LANGOUREUSE ARIELLE (Se trémoussant)
Il m'arrive quelquefois d'être un peu surdouée*
ROSIE LA TERREUR
Ce qu'on n'entendra pas !
LE PRESIDENT
Fort bien, belle poupée.
Vous allez donc encor crier ce joli nom
Et comme une chorale avec vous nous suivrons.
LA LANGOUREUSE ARIELLE (Docile)
Hjkkksiidddjhljljjfd ! Hjkkksiidddjhljljjfd !
LES AUTRES
Hrjscidousoiufyd ! Hrosjfdlnvdoulgdg !
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Mais ça va pas du tout ! C'est du n'importe quoi !
Vous estropiez son nom ! Mais écoutez donc moi !
Hjkkksiidddjhljljjfd ! Hjkkksiidddjhljljjfd !
CUNEGONDE (Prêtant l'oreille)
Elle a certes raison. Nous mettons des voyelles
Or les consonnes là forment une kyrielle.
Rajoutons quelques K, enlevons tous les OU
Scandons bien le refrain, car nous sommes trop mous.
TOUS
Hjkkksiidddjhljljjfd ! Hjkkksiidddjhljljjfd !
Hjkkksiidddjhljljjfd ! Hjkkksiidddjhljljjfd !
(Grand silence. Rien ne se passe.)
LA MADONE
Ta scansion, ma chérie, n'a pas donné grand-chose.
Ou ce volcan est sourd, ou bien on l'indispose.
SCARLATINA
J'accorde ma guitare et nous chantons le nom.
LA MADONE
Rengaine donc ta scie, il n'en est pas question.
CUNEGONDE (Têtue)
Recommençons.
FEFE DE BROADWAY
Ah non ! J'ai la voix en compote.
LE PRESIDENT (menaçant, la main en l'air)
Crie ou par Saint Nico, tu prends une calotte !
TOUS
Hjkkksiidddjhljljjfd ! Hjkkksiidddjhljljjfd !
Hjkkksiidddjhljljjfd ! Hjkkksiidddjhljljjfd !
(Séisme. La terre se soulève, tangue, nuage de cendres, quelques silhouettes à terre.)
Scène 6
LES MEMES, LA VOIX DU VOLCAN
LA MADONE (Allongée, le nez dans la cendre)
Mais par mes bigoudis, il va nous écraser !
CUNEGONDE (Idem, accrochée au bras de Leila elle aussi dans la cendre)
Au moins l'incantation l'aura bien réveillé !
LE PRESIDENT (Essayant tant bien que mal de garder son équilibre en s'accrochant à Fifi)
Mais que cet abruti veuille au moins se calmer !
Jamais ainsi, par dieu, on ne m'a secoué !
LA VOIX DU VOLCAN (Eraillée, comme celle d'un gros fumeur de Havanes)
Que voulez-vous de moi, minables détritus ?
CUNEGONDE (A genoux dans la cendre, maintenue par Leïla)
Oh, votre Majesté, vous nous voyez confus
D'interrompre un sommeil si profond, on dirait.
LE VOLCAN
Si je dormais, idiote, est-ce que je fumerais ?
LA MADONE
Il est très excité, tout comme dans mon rêve.
ROSIE LA TERREUR
Est-ce bien le moment de lui parler de trêve ?
LE VOLCAN
Alors, le rang d'oignons, vous déciderez-vous ?
Que me vaut cet ennui de vous voir parmi nous ?
CUNEGONDE
Nous sommes là, Seigneur, pour répondre à l'appel
Qui résonna chez nous d'un ton si paternel.
La Madone et moi-même avons eu un beau songe :
Vous nous parliez, Seigneur ; ce n'est pas un mensonge.
LE VOLCAN
Je me souviens, c'est vrai, qu'au cours d'une insomnie
Dans vos cerveaux spongieux je me suis introduit.
Ainsi vous êtes là en plénipotentiaires ?
CUNEGONDE
Et nous ferons, Seigneur, plus que le nécessaire
Pour suivre en tous les points vos judicieux avis.
LE PRESIDENT (A Cunégonde)
En tous les points, vraiment, c'est un peu vite dit.
LE VOLCAN
Puisque vous êtes là, finissez l'ascension.
Je vous attends en haut pour les discussions*.
LA MADONE
N'est-il donc pas possible, ô votre Majesté
Que nous restions ici ? Très rude est la montée...
LE VOLCAN
C'est ça ou rien, Madone.
LE PRESIDENT
Est-ce un ultimatum ?
FEFE DE BROADWAY (Regardant la pente qu'on voit à peine)
Il va falloir ramer et ce un maximum.
LE VOLCAN
C'était mon dernier mot. A vous de décider
Si jusqu'à mon sommet, vous désirez grimper.
(Petit séisme, juste histoire de faire chanceler tout le monde.)
CUNEGONDE
Nous n'avons pas le choix. En route, mes amis.
Pour l'Europe et le monde et pour notre pays !
(On les voit vaguement commencer la montée avec beaucoup de peine)