Julie Deply, portrait d’une Femme.
À l’occasion de la sortie de La Comtesse, cette semaine, j’ai envie de faire un retour en arrière sur l’actrice-chanteuse-réalisatrice Julie Deply que j’aime tant depuis si longtemps et qui m’intéresse tout particulièrement dans ces pages car il me semble que son oeuvre protéiforme est, de ses débuts jusqu’à aujourd’hui, traversée par la question de la féminitude.
Ci-dessus vous avez le tout premier casting de Julie Delpy alors qu’elle n’a que quatorze ans ; on reconnaît la voix caractéristique de Dominique Besnehard, découvreur de nombre de futures actrices françaises.
Julie Delpy est une enfant de la balle, je le sais depuis 2 Days In Paris, puisqu’elle y faisait jouer ses deux parents, comédiens au théâtre eux-mêmes.
Son premier rôle dans un long-métrage lui est offert par Jean-Luc Godard, excusez du peu, dans Détective, mais c’est en 1986 dans Mauvais Sang, film cultissime de Leos Carax, qu’elle crève l’écran, avec pourtant la concurrence sévère de Juliette Binoche, film dont elle garde pourtant un épouvantable souvenir dû à “l’accident de moto (…) et ses démêlés avec le réalisateur tendance de l’époque : ”J’étais blessée et Carax m’a fait continuer à jouer, malgré la douleur, me faisant croire que si j’arrêtais, si j’osais me plaindre, j’étais une mauvaise actrice. J’ai risqué de perdre ma jambe. J’avais 15 ans, j’étais naïve, c’était facile de me manipuler.” (Les Inrocks, le 16/03/05).
La consécration vient l’année suivante avec le film pervers et superbe de Bertrand Tavernier, La Passion Béatrice, où le réalisateur filme le Moyen-Âge (XIVe siècle) sans fard dans toute son âpreté et sa violence : la jeune Béatrice attend son père qu’elle ne connaît pas, guerrier ravagé par ses combats et emprisonnements, mais à son retour elle fait la connaissance brutale avec un homme violent livré au diable qui saccage tout sur son passage ; cependant elle l’aime, et sent que lui aussi, lorsqu’il lui confie que c’est elle qui aurait dû être son fils (pleutre soldat qu’il humilie). Là déjà, féminité et qualités de guerrier sont incarnées par son visage enfantin. Il finira par la violer.
Parallèlement à ce rôle fort, elle commence à s’extraire de ce rôle d’objet dans lequel son statut de jeune première auquel son physique diaphane semble la condamner : elle se met à écrire et part aux États-Unis, prendre des cours de scénarios à la Tisch School of The Arts de l’Université de New-York ; ce qui ne l’empêche pas de tourner avec les plus grands réalisateurs européens : Carlos Saura, Agnieszka Holland, Volker Shlöndorff et bien sûr Krzysztof Kieslowski qui lui donne le rôle de la garce dans Blanc qui fait enrager son mari par les cris d’extase donné par un autre qu’elle transmet par téléphone à son mari polonais coincé dans la rue, à moins qu’elle ne soit juste en quête d’un homme qui soit son égal…
Ensuite, sa carrière se fait principalement aux États-Unis, ce que la France ne lui pardonnera pas facilement selon elle : “Elle dit qu’ici on ne l’aime pas, que les gens lui en veulent d’avoir quitté la France, qu’elle a des tas d’ennemis, qu’ils vont la casser. Mais elle se dit aussi parano, autodestructrice, obsessionnelle (pour le travail), sourde aux compliments mais masochistement attentive aux critiques. ”Je suis complètement névrosée, mais je deale avec.” (ibid-2005) Elle tourne des choses et d’autres, la comédie sentimentale Before Sunrise, joue dans la série Urgences, un rôle d’emmerdeuse qui bouscule tout dans son sillage…
Enfin, en 2002, elle réalise son premier film Looking For Jimmy qui passe complètement inaperçu, contrairement à son album de 2003, Julie Delpy, dans lequel elle s’essaie à la chanson, et qui est plutôt apprécié, quoique discrètement. Puis elle réussit à imposer en 2004 son scénario dans la suite de Before Sunrise : Before Sunset (dans lequel elle chante une chanson de son album !), tourné par le même Richard Linklater, et c’est une première réussite dans cette catégorie. L’année suivante, elle tourne avec Jim Jarmush, un des rares cinéastes qu’elle trouve intègre, dans Broken Flowers, chef-d’oeuvre d’humour mélancolique.
Mais depuis quelques années, un nouveau projet mûrit dans sa tête. Elle se passionne pour Erzébeth Bathory, la Comtesse sanglante, à laquelle elle prête des intentions féministes, et commence à écrire son film ; cela prendra huit ans avant de pouvoir commencer le tournage en 2008, avec un manque de moyens qu’il faudra compenser par des astuces, du courage et de l’inventivité, ce dont elle ne manque heureusement pas.
Entre temps, elle tourne son deuxième film : 2 Days In Paris qui rencontre un joli succès critique et populaire. Il faut dire qu’il est assez hilarant et malin son film qui montre le choc entre deux cultures (celle d’Outre-Atlantique et celle de la vieille France) et entre deux sexes (femme décidée -et grande-gueule- et homme plutôt mou). Elle dira plus tard qu’elle a mis deux ans avant de comprendre que ce film était surtout au sujet de la peur de castration masculine (par une femme qui ne ferme pas sa gueule, justement).
On voit à travers ce parcours atypique comment la jeune fille en fleur malléable est devenue progressivement une vraie créatrice, une femme à la personnalité bien tranchée, qui réfléchit sur beaucoup de choses, dont le statut de la femme, sans jamais se départir de son humour et de sa sincérité. Sans jamais poser ou se cacher derrière un visage public lisse. Elle affirme “Je n’ai pas peur de vieillir” (ibid). Et je la crois. À trente-neuf ans, elle a toutes les cartes en mains pour réaliser désormais son oeuvre, à son image, imparfaite, audacieuse et libre. Au-delà des apparences.
Je trépigne d’aller voir La Comtesse dont elle parle bien et simplement là.