Champion du monde à 25 ans, Battling Siki ("rusé" en wolof) fut le premier africain à remporter un titre mondial de boxe. Jusqu'à récemment, il fut pourtant largement oublié en France... Revenons sur son parcours exceptionnel contrarié par le racisme bonasse de l'entre-deux-guerre.
Louis Mbarik Fall dit Battling Siki ( "rusé" en wolof) serait naît en 1897 à St-louis du Sénégal. Arrivé en métropole dans des conditions encore obscures, il multiplie les petits boulots dans le sud est de la France (docker à Marseille, plongeur dans des cafés). Il débute un peu par hasard dans la boxe à 15 ans. De 1912 à 1914, il livre une dizaine de combats prometteurs (8 victoire, 6 nuls et 2 défaites). Le déclenchement de la grande guerre met un terme provisoire à cette carrière naissante et Siki s'engage en 1914 comme volontaire. En 1919, décoré de la croix de guerre, il reprend les combats de boxe et enchaîne les succès (43 victoires, 2 nuls et une défaite entre 1919 et 1922).
En quatre ans, Battling est venu à bout de tous les boxeurs de sa catégorie dans l'hexagone. En toute logique, il devrait donc désormais affronter le champion de France: Ercole Balzac. La fédération française fait pourtant la sourde oreille. Le champion se rend alors à l'étranger où il vient facilement à bout des champions nationaux belge et néerlandais. Désormais, Balzac ne peut refuser de combattre, mais il ne tient pas deux rounds face à Siki. Ce dernier est alors victime d'une première injustice terrible. En effet, si le champion sortant a bien perdu son combat, Siki ne récupère pas pour autant son titre, qui reste vacant!!! Le président de la fédération justifie cette décision par une prétendue conduite antisportive de Siki au cours du combat. Les médias ne s'en offusquent pas et reprennent l'argument officiel.
Les yeux sont alors braqués sur Georges Carpentier, vedette incontestée de la boxe française qui reprend du service après sa défaite mémorable contre l'Américain Dempsey en 1921. Or, en 1922, il annonce son retour et remet en jeu ses titres de champion de France, d'Europe et du monde. Il trouve alors sur son chemin Battling qui vient de battre au cours des mois précédents tous les principaux challengers de Carpentier.
Le combat est donc programmé pour le 24 septembre 1922 au stade Buffalo devant 40 000 personnes. Des caméras placées au dessus du ring immortalisent l'événement (ces combats servent de supports publicitaires et le sport spectacle fait alors ses premiers pas).
Carpentier part super favori contre un adversaire méconnu, envisagé surtout comme un bon faire-valoir pour le champion sortant. Carpentier rentre bien dans l'affrontement et envoie par deux fois Siki au tapis au cours des deux premiers rounds, mais progressivement le punch de l'outsider fait mal à Carpentier qui s'use face à un adversaire qui encaisse les coups sans flancher. Un uppercut du droit au cours du 6ème round envoie définitivement le champion du monde en titre à terre. Pourtant, à la surprise générale, l'arbitre accorde la victoire à Carpentier pour un prétendu croque-en-jambe antisportif de Siki, mais sous la bronca du public, il se déjuge 20 minutes plus tard. Siki devient ainsi le premier africain champion du monde de boxe poids moyen.
Quelques semaines plus tard, il est pourtant privé de sa victoire par la fédération qui lui retire même sa licence pour des prétextes fallacieux (mauvaise conduite et rébellion). Offensif, Battling riposte et affirme que le match de Buffalo était truqué. Il devait toucher 100 000 francs pour simuler le K-O au 4è round. Il déclare lors d'une conférence de presse: " Je n'étais rien avant le combat. (...) mon manager m'a dit: "en combattant contre Carpentier, tu gagneras beaucoup d'argent, mais il faudra te laisser faire."
Je suis arrivé sur le ring avec l'intention de tomber comme on me l'avait demander. Mais, au 4è round, quand je me suis vu à genoux devant 50 000 personnes, mon sang n'a fait qu'un tour, je me suis redressé et j'ai frappé." Les instances de la boxe affirme que Siki affabule, par dépit. Pourtant l'enquête diligentée laisse planer le doute.
Blaise Diagne, le premier député africain élu à l'Assemblée nationale en 1914 en tant que représentant des Quatres communes du Sénégal, monte à la tribune pour dénoncer l'injustice:"Si je m'exprime aujourd'hui, c'est pour que ce genre de choses ne se reproduisent pas à l'avenir. Il est inconcevable qu'on ait privé Siki de sa victoire simplement parce qu'il est Noir". eta> eta>
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Battling Siki envoie Carpentier au tapis.
Quoi qu'il en soit, c'est la thèse officielle qui s'imposera faisant de Siki un tricheur. Après la victoire, Siki est vite en proie au racisme ordinaire de l'époque et essuie de nombreux quolibets lors de ses apparitions publiques.
Certains journalistes le surnomment bientôt le "championzé" (contraction de "champion" et de "chimpanzé"), "l'enfant de la jungle" ou encore le "gorille des rings". Ils le font parler en "petit nègre" dans les transcriptions de ses interviews alors qu'il use d'un français tout à fait correct. L'intransigeant va jusqu'à titrer : "Siki donnerait la moitié de ses victoires pour devenir blanc".
Au fond, beaucoup semblent gênés par le mode de vie de Siki. Amateur d'alcool, volontiers flambeur, il s'affiche au bras de femmes blanches. Cela déplaît et beaucoup (ayant intériorisé le racisme biologique toujours bien en vogue au cours des années folles) estiment qu'il n'est pas à sa place. Son manager n'est pas en reste lorsqu'il déclare dans la presse, "Siki a du singe en lui".
Battling Siki pose avec des enfants, sans doute à l'occasion de son séjour irlandais.
Siki fait figure de pestiférer et ne trouve guère d'engagement en France. Il se voit donc contraint d'affronter un boxeur irlandais dans un stade chauffé à blanc, le jour de la St-Patrick et en pleine guerre civile irlandaise! Difficile de l'emporter dans ces conditions: Mike Mc Tigues est déclaré vainqueur par l'arbitre après un match très serré qui va d'ailleurs jusqu'à la 20ème reprise. De retour en France, Battling est ensuite défait par disqualification contre Emile Morelle. Sa carrière stagne et en août 1923, il décide d'émigrer aux Etats-Unis. L'accueil n'est guère favorable pour Siki dans un pays où la ségrégation sévit encore très largement. Le boxeur n'obtient aucun engagement contre les champions blancs qui refusent de combattre contre un Noir.
Il ne parvient pas à relancer sa carrière après deux défaites, mais s'installe néanmoins dans un appartement à Harlem.Il y tombe amoureux d'une jeune femme blanche, Lilian Warner avec laquelle il s'installe dans un petit appartement. Le 24 juillet 1924, il épouse Lilian et devient bigame (il a omis de signaler au pasteur qu'il avait épousé quelques années auparavant une jeune Néerlandaise, Lintje Van Appelteere, qui lui donne un enfant). Battling fréquente volontiers Hell's Kitchen, une zone limitrophe de Harlem, contrôlée par la mafia irlandaise.
Désormais, son nom s'affiche plus souvent dans la rubrique des faits divers que dans les celle des résultats sportifs. A la dérive, Siki boit beaucoup et se bagarre fréquemment avec les caïds du quartier. Le 15 décembre 1925, on le retrouve abattu dans le dos au pied d'un immeuble de la 41è rue, dans le quartier malfamé de Hell's Kitchen, une zone limitrophe de Harlem aux mains de la mafia irlandaise, non loin de chez lui. Il avait 28 ans.
Que reste-t-il de ce destin hors-du-commun? Aujourd'hui encore, les encyclopédies de la boxe décrivent la carrière de Siki et reprennent les théories échafaudées par les instances de la boxe de l'époque faisant de lui, au mieux un vainqueur chanceux, au pire un truqueur impénitent.
Mbarrick Fall champion du monde de boxe légendaire
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C'est ailleurs qu'il faut aller chercher d'autres points de vue sur Battling Siki. Le journaliste Jean-Marie Bretagne a consacré en 2008 une biographie romancée du boxeur. La vie du boxeur, jalonnée de nombreuses zones d'ombre, se prête très bien à l'exercice. Bretagne joue de cet état de fait pour nous proposer une évocation toute en nuance et très poétique du boxeur, entre légende et réalité. La solide documentation de l'ouvrage permet de retrouver la trace de Siki sous la plume de grands écrivains (Henry Miller, Hemingway) ou de personnalités politiques. Dans le journal le Paria, un certain Nguyen Aï Quac, futur Hô Chi Minh, écrit par exemple dans un article publié quelques jours après le combat contre Carpentier: "Depuis que le colonialisme existe des Blancs ont été payés pour casser la g... des Noirs. Pour une fois, un Noir a été payé pour en faire autant à un Blanc. [...] Nous félicitons Siki de sa victoire."
Lorsque Battling est disqualifié par la fédération française de boxe, le journaliste communiste Paul Vaillant-Couturier épouse instinctivement sa cause et en tire des prolongements intéressants: "Retenez bien les incidents qui ont suivi le match de Siki-Carpentier. Il y a là quelque chose de beaucoup plus grave que le truquage d'une épreuve sportive. Il y a là un symptôme caractéristique de la campagne organisée contre les hommes de couleur, il y a là le symbole même du colonialisme. Carpentier, sorte de drapeau national, gant de boxe tricolore et casserolier patriote, ne pouvait pas sans danger être battu par un nègre. S'il était battu, il fallait châtier le nègre. On n'y a pas manqué."
Bande annonce Championzé
envoyé par Futuropolis. - Films courts et animations.
Aurélien Ducoudray a lu l'ouvrage de Bretagne qui l'a beaucoup aidé pour élaborer le scénario de la BD qu'il consacre à Battling Siki. Les magnifiques dessins d'Eddy Vaccaro, dans les tons sépias, rendent superbement l'atmosphère ambigüe des années folles. Les mouvements des boxeurs sont admirablement rendus. La bande dessinée nous en dit long sur les turpitudes du sport-spectacle alors en plein essor. monde la boxe, qui s'inscrit dans le développement du sport-spectacle. Mais la boxe est ici un prétexte pour revenir sur un destin extraordinaire et fulgurant (Siki meurt trois ans seulement après son titre discuté). En effet, les auteurs ne s'arrêtent pas aux combats et aux cordes du ring, mais soulignent toute la complexité d'un personnage plongé dans un univers hostile. Le racisme semble en effet attaché à la semelle du malheureux Siki (en France, en Belgique ou encore aux Etats-Unis). La bande dessinée est complétée en fin d'ouvrage par une documentation particulièrement intéressante, notamment un entretien accordé par Siki et paru dans un quotidien américain en novembre 1922.
Bref, nous vous recommandons chaudement cette formidable bande dessinée, heureux mariage entre histoire et fiction.
Sources et liens:
- Jean-Marie Bretagne: "Battling Siki" Philippe Rey, 2008.
- Boula Matari, le blog d'Aurélien Ducoudray.
- Pascal Ory présentait la BD pour la fabrique de l'histoire sur France Inter.
- L'émission Café crimes de Jacques Pradel sur Europe 1 consacrée à Battling Siki.
- Deux autres articles consacrés à la boxe (à Mohamed Ali) sur Samarra.
Original post blogged on b2evolution.