En haut, « White Material » de Claire Denis. En bas, « L’Arnacoeur » de Pascal Chaumeil.
Un film de Claire Denis écrit avec l’écrivain Marie N’Diaye : White Material.
Un film de Pascal Chaumeil avec Romain Duris et Vanessa Paradis : L’Arnacoeur.
Certains me diront que le combat est perdu d’avance. Je suis d’accord avec eux. Mais cela me fait quand même beaucoup rire d’essayer. Les films sont sur le ring. Prêts?
L’HISTOIRE
White Material : une femme blanche, Isabelle Huppert, dans une région de l’Afrique qui ne sera jamais nommée. Elle dirige une plantation de café. Elle fait partie de ces Blancs qui sont là depuis toujours, ces Blancs qui ne se sentent chez eux que parmi les Noirs. Prise dans la tourmente de guerres intestines, elle refuse de quitter le pays avec les autres toubabs. Elle assiste à la fin de son monde. Une vraie tragédie grecque. L’héroïne refuse de changer : plutôt mourir que d’être une autre. Que de s’abaisser à ne plus être cette femme courageuse qui récolte elle-même son café et brave les barrages de la guérilla. Une très belle phrase de dialogue résume le personnage : en France, son courage ne voudrait plus rien dire. La structure du film est éclatée en souvenirs qui viennent frapper l’esprit du spectateur, comme les flashs que racontent tous ceux qui ont connu la guerre. Une idée cinématographique très percutante ! = + 10 POINTS pour avoir osé cette tragédie à la Sophocle en Afrique noire!
L’Arnacoeur : un type, Romain Duris, sa frangine, Julie Ferrier, et le mec de sa frangine, François Damiens, ont créé une petite entreprise qui connaît un peu la crise. Ils brisent les couples pour venir en aide aux femmes mal accompagnés. Un bonhomme riche veut justement briser le couple de sa fille, Vanessa Paradis. Il engage Romain Duris et devinez QUOI? Oh mais oui! ILS VONT TOMBER AMOUREUX! sur fond de musique de Dirty Dancing, et de dauphins qui bondissent hors de l’eau! L’histoire n’est qu’un mauvais réchauffé de comédies romantiques américaines à succès, sans aucune surprise, avec la sempiternelle mariée qui se barre de l’autel en robe de princesse pour rejoindre le pauvre poète de son cœur = + 4 POINTS pour l’originalité du point de départ, mais -4 POINTS pour la nullité du développement. Ce qui nous fait 0 POINT.
L’ESTHETIQUE
White Material : caméra à l’épaule, caméra urgente, parfois des plans magnifiques sur les champs de café et sur le visage d’Huppert, mais sans aucune volonté esthétisante. Denis saisit dans l’instant un monde qui se casse la gueule, elle ne fait pas du Wong Kar-Wai. Parfois, ça bouge beaucoup, et on est un peu trop près des personnages lorsque le spectateur aurait sans doute préféré un plan moyen ou large, mais enfin, c’est quand même très très bien = allez, + 5 POINTS.
L’Arnacoeur : téléfilm. Aucune prise de position cinématographique. Ce n’est pas mal filmé, mais ce n’est pas bien filmé. Alors… + 1 POINT pour les très belles robes de Vanessa Paradis dans le film.
LE JEU D’ACTEUR
White Material : avec Isabelle Huppert, c’était difficile de rater son coup. Elle campe un sublime personnage de femme ; son visage très peu maquillé appelle une nudité des sentiments, une sincérité d’acteur rare et précieuse. Un détail qui n’est pas rien : je remercie Claire Denis de donner un rôle passionnant à une actrice qui n’a plus trente ans. Christophe Lambert est superbe dans le rôle du Blanc d’Afrique, chemise ouverte sur grosse chaîne, cœur d’or impuissant devant l’entêtement fatal de son ex-femme.=+8 POINTS
L’Arnacoeur : Romain Duris est bien, charmant. Vanessa Paradis est bien, charmante. Les autres sont plats comme des soles meunières, ou caricaturaux (le gros Serbe qui ne parle pas et assène des coups, le mafieux qui parle comme de Niro derrière son bureau de la Défense). Et les dialogues ne font rien pour les aider.= +5 POINTS pour les deux rôles principaux.
DIALOGUES
White Material : simples. Peu abondants. Les deux auteurs ont su écrire du cinéma, donc des images avant des mots. Pari gagné pour l’écrivain Marie N’Diaye qui s’essayait pour la première fois à l’exercice du scénario de film. = + 4 POINTS
L’Arnacoeur : tentatives de blagues qui tombent à l’eau… Je n’ai pas ri une seule fois. Je ne suis pourtant pas difficile, même Bigard me fait marrer. Pauvreté du style, banalité des conversations… je ne vais pas au cinéma pour écouter des conversations de machine à café, merdre.= -1 POINT.
LE MESSAGE DU FILM
White Material : avec sa structure éclatée en flash-backs, et ses ombres planant sur le scénario, Claire Denis et Marie N’Diaye rendent avec force l’absurdité complète des luttes ethniques africaines (et au-delà, des luttes intestines tout court). On ne sait plus qui se bat contre qui, ni pour quoi. La seule chose qui compte, la seule que l’on comprend, c’est que les Hommes meurent. Que l’Homme meurt.Le film ne juge pas, il témoigne, et c’est un véritable étendard pacifiste que cette histoire dans laquelle personne ne peut s’en sortir. = + 7 POINTS
L’Arnacoeur : l’amour vient quand on ne l’attend pas, et ce n’est pas bien de mentir. Et surtout : les riches sont beaux, comme Vanessa Paradis en robe de couturier, et fascinants avec leurs hôtels de luxe et leurs voitures rutilantes. Mais ils sont plus malheureux que vous, petit spectateur qui va au bureau tous les jours pour gagner vos 1200 euros. Oui, ils sont malheureux, car ils ne voient pas l’amour qu’ils ont sous les yeux. Alors, il vaut mieux rester pauvre et gentil pour être heureux. Pas la peine de se dire que peut-être, ces mecs-là dans leurs Mercedes gagnent vraiment beaucoup trop, et que c’est anormal, et que peut-être il faudrait que ça change… regardez comme ils sont tristounets dans leurs costumes Lanvin, non vraiment, il vaut mieux accepter votre sort de caissière chez Carrefour! = 0 POINT
White Material : 34 POINTS
L’Arnacoeur : 5 POINTS
L’Arnacoeur est K.O. Chers lecteurs, ne m’en veuillez pas d’avoir fait ce combat parfaitement inégal. J’en voulais tellement à ma grande amie Madame de…, d’avoir osé m’envoyer au cinéma voir cette niaiserie sentimentale même pas drôle, sous prétexte que c’était « très divertissant ». Ne croyez pas que je méprise le genre de la comédie romantique, j’en suis honteusement férue. Au moins une fois par jour, sur ma balance, devant mon frigo ou au bistro avec mes amis, je pense avec affection à Bridget Jones, la seule femme qui ait jamais compris ce que je vis quotidiennement.