Tiens, pour changer et avant de revenir, prochainement, sur l’immobilier, la crise et les pastilles de gomme au menthol, parlons du droit d’auteur. Ce n’est pas fortuit, je suis tombé sur un petit article qui m’a appris plusieurs choses croustillantes en parfait accord avec l’idée que je me fais à la fois des institutions de la République, et de la protection par copyright.
L’affaire est la suivante : la Cité des Sciences, qui est, ne l’oublions pas, une émanation de la chose publique payée avec les sous des moutontribuables dont certains passent par là, a décidé d’entretenir ses visiteurs sur la contrefaçon, et à ce titre s’était donc rencardée sur ce que l’INPI avait à en dire.
Fort logiquement d’ailleurs, et puisque la contrefaçon concerne, outre les dentifrices, les boulons ou les sacs à main, les données numériques dont les logiciels, la Cité des Sciences avait demandé à Isabelle Vodjdani un travail concernant le logiciel libre.
Et c’est là que tout se corse : l’INPI, apprenant que le Logiciel Libre serait représenté, a fait des pieds et des mains pour que ce pan entier de l’informatique moderne soit bouté hors de l’exposition.
Comme l’explique la commissaire de l’exposition à la Cité des Sciences, « Notre partenaire principal, l’INPI, est farouchement opposé à ce que l’exposition donne la parole aux défenseurs du « libre ». Nous avons essayé de discuter et d’argumenter avec eux mais l’INPI reste intransigeant sur sa position. Nous sommes donc obligés, avec grand regret, de ne pas présenter votre parole que vous aviez, aimablement, accepté de rédiger et d’enregistrer. ».
C’est on-ne-peut-plus clair : l’INPI ne veut pas entendre parler du Libre.
D’un côté, c’est normal : la licence libre, qui explicite en fait que l’auteur d’une création renonce à ses droits, éventuellement sous conditions, entre directement en concurrence avec le « business model » de l’INPI dont le but ultime est justement de protéger les droits de ces auteurs qui ne veulent pas y renoncer.
Si l’on prend deux secondes de recul, on se rend compte que l’INPI est le pendant de la licence libre, ou l’inverse : un auteur peut, maintenant, choisir une licence libre particulière, ou se faire protéger au travers de l’INPI. Avant l’avènement des licences libres, l’auteur pouvait renoncer à ses droits, mais il était parfois compliqué ou juridiquement risqué de rédiger une licence en ce terme (on ne s’improvise pas juriste dans la propriété intellectuelle, même lorsqu’il s’agit de l’abandonner correctement).
Nous avons ici un exemple type d’émergence d’une concurrence et d’une complémentarité sur le marché de la licence de droit d’auteur.
Lorsqu’une telle occasion se présente sur un marché, plusieurs attitudes sont alors possibles de la part des acteurs déjà présents sur le marché :
- ne rien faire,
- s’adapter,
- dresser des barrières à l’entrée.
Ne rien faire est, sur le long terme, toujours un peu risqué. L’immobilisme provoque des maladies graves, des fossilisations ou des disparitions silencieuses.
S’adapter demande des capacités, et, pour tout dire, une certaine habitude. C’est en général coûteux, même si souvent bénéfique, et évidemment, il y a toujours le risque de s’adapter de travers.
Quant à dresser des barrières à l’entrée … c’est une méthode qui permet en général de ralentir, mais rarement de stopper l’innovation.
Il est bon de noter qu’un acteur peut évidemment panacher les techniques ou les choisir progressivement…
Par exemple, si l’on prend le cas limpide des Majors culturelles avec l’arrivée rapide et massive de la numérisation, on note que dans un premier temps, elles se sont contentées de ne rien faire, regardant le MP3 d’un œil à peine curieux.
Puis, voyant leurs marges s’effondrer et comprenant que leur business changeait tout de même un chouilla pour passer de la vente de galettes en polyacrylate à de la vente de sensations musicales (eh oui), elles se sont empressées de … dresser des barrières, en intentant des procès, en introduisant des DRM plus ou moins foireux, et en montant le bourrichons d’ânes bâtés politiciens ou d’incompétents notoires du milieu à coup de lobbying éhonté qui s’est terminé avec le briodopi que l’on sait en France.
Avec le temps, on sent maintenant que les Majors s’aventurent dans le domaine fou et mou et tout nouveau pour elles de l’innovation, de l’adaptation et pourquoi pas, d’une révolution de leur business model qui fonctionnait bien, mais en vase clos, depuis à peu près un siècle…
Côté INPI, c’est la même problématique : cette vénérable institution doit continuer à prouver qu’elle sert à quelque chose dans un monde où les contrefaçons, notamment numériques, sont de plus en plus nombreuses.
Une méthode pourrait consister à s’adapter ou ne rien faire, comme on l’a vu plus haut. Et comme de juste avec toutes les organismes qui se sont douillettement installées dans leurs habitudes, ce qui est notoirement plus vrai pour les institutions gérées par des fonctionnaires, si ne rien faire est extrêmement tentant et en général pratiqué in extenso les premiers temps, la phase suivante, l’adaptation, est tellement pénible parce que décalcifiante qu’elle est immédiatement abandonnée pour passer à la phase barrière.
Et voilà donc notre institut national qui s’empresse … de tout faire pour cacher l’existence de ces honteux concurrents qui ont prouvé, s’il était besoin, que non non, le droit de copie n’était pas nécessaire pour arriver au succès ou même pour gagner de l’argent.
Il se murmurait pourtant dans la profession que les cuisiniers inventifs, les magiciens habiles et bien d’autres professions se passaient pourtant déjà très bien de tout l’arsenal juridique des brevets, par exemple, ou du droit d’auteur aussi.
Mais qu’il en fut ainsi du Logiciel, argh, non, il ne fallait pas que cela se sache.
Et en avant pour la Phase Barrière : écarter les concurrents, les empêcher de se montrer. Faisons tout pour que la notion même d’une Licence Libre ne soit pas mentionnée dans cette exposition, par exemple.
Las. L’INPI a, dans sa démarche, quelques temps de retard.
D’une part, les logiciels libres marchent bien, rapportent, et ont effectivement quelques succès reconnus planétairement. J’évoquerai rapidement Wikipédia ou Linux pour rire, mais tirer sur l’ambulance INPI avec de tels obus est un peu trop facile.
D’autre part, on sent déjà maintenant le glissement progressif des sociétés privées vers un business model plus souple : un logiciel copié, piraté, c’est un logiciel qui plaît, qui sert. Sa valeur n’est plus, entièrement, dans ce qu’il fait ou ce qu’il rend comme service, mais aussi sur les services qu’on peut rendre autour (formation, tuning, etc…). Autrement dit, la notion même de propriété intellectuelle évolue, et va le faire de plus en plus vite dans les prochaines années, ce qui va laisser l’INPI loin derrière comme une peluche décorative passée par la fenêtre d’un bolide sur une autoroute d’Allemagne…
De façon plus générale, l’INPI montre ici comment se comporte une institution moyenne d’état lorsqu’elle est confrontée au changement : arcboutée sur des principes déjà obsolètes, plutôt que se nourrir des apports nouveaux que la concurrence engendre, elle s’enferme rapidement dans sa petite tour d’ivoire, loin des réalités. Et finit par mourir, totalement mammouthisée.
Avec une telle démarche, l’INPI a aussi montré que l’argent du contribuable pouvait parfaitement, et en toute décontraction, être utilisé pour occulter voire désavouer le travail d’une grosse partie d’entre eux (les SSII, SSLL et leurs informaticiens ne sont pas de petits contributeurs à l’impôts, par exemple). Eh oui, l’impôt permet de vous auto-saboter. Cool, non ?
Enfin, comme le mentionne Isabelle Vodjdani dans son article, la Cité des Science, en pliant devant l’INPI, ne peut prétendre informer le public sur la question de la Propriété Intellectuelle sans jamais évoquer le modèle du Libre, pourtant en plein développement.
C’est, tout simplement, malhonnête et relève d’une entreprise de désinformation.
Mais est-ce surprenant, ici, et maintenant, en France ?