Nicolas Sarkozy n'a pas manqué une occasion, dans son discours sur le social au Sénat, de parler du dialogue social. Nul ne saurait le lui reprocher. Il en a tant parlé que j'ai eu un instant le sentiment qu'il voulait créer en France un Etat corporatiste à l'autrichienne. Mais ce n'était sans doute qu'une illusion. On en est très loin pour des tas de motifs et je ne pense pas que l'idée l'ait jamais effleuré (ou, mais c'est peut-être la même chose, qu'elle ait jamais effleuré ses conseillers).
Connaissant l'état des organisations syndicales, leur difficulté à représenter et mobiliser les travailleurs (et le MEDEF ne fait pas mieux que les syndicats ouvriers), voyant également son insistance à obtenir des résultats dans des délais si courts qu'il est matériellement impossible de les tenir, entendant ce qu'il a pu dire des électriciens ("admirables en 1999") et des conducteurs de la SNCF (tout aussi "admirables en 2005"), je me demande si tout cela ne relève pas de la tactique.
Un peu comme l'ouverture a pu anesthésier une partie de l'opinion et faire passer des mesures destinées aux plus riches (ces 15 milliards de cadeaux fiscaux que même ses amis trouvent inutiles et inefficaces), cet appel au dialogue social, ces rencontres avec les dirigeants syndicaux pourraient n'avoir pour objectif que de faire passer la pilule et éviter ou retarder le déclenchement de mouvements sociaux de grande ampleur.
Le fait de se mettre ainsi en avant peut d'ailleurs aider. On cède plus facilement au président de la République qui a une légitimité que nul ne conteste qu'à un ministre que l'on sait révocable. Et, pour dire les choses plus prosaïquement, il est plus excitant pour un dirigeant syndical d'être reçu à la Lanterne à Versailles que dans une salle de réunion du Ministère du Travail. Ce n'est pas faire injure aux Thibault, Chérèque et autres Mailly que de penser qu'ils sont comme nous tous sensibles à ce type d'attention.
Cet appel au dialogue social ne suffira évidemment pas, mais accompagné de quelques glissements et reculs subtilement négociés, il peut faire passer des mesures qui auraient autrement eu plus de difficultés à s'imposer. C'est certainement habile, reste à vérifier que les salariés se laissent faire et, surtout, que ces mesures peuvent résoudre les problèmes qu'elles prétendent traiter.
Quant au dialogue social… Nicolas Sarkozy met les organisations syndicales dans une étrange situation, un de ces double binds dont parlait d'école de Palo Alto. D'un coté, il leur dit "je vous aime" et il le répète, de l'autre, il les somme de se plier à ses désirs, de signer les accords que ses collaborateurs auront rédigés. Appliquée dans les familles, ces stratégies conduisent à la schizophrénie, dans le monde du travail, elles peuvent conduire à une fragmentation plus grande encore du champ syndical et à des conflits au sein des organisations entre ceux qu'il aura séduits et les autres.