Les métaphores comparant la ville à un organisme naturel ne manquent pas : tantôt, on parlera de la métropole moderne et de ces réseaux urbains comme d’un ensemble de vaisseaux, d’influx nerveux, d’autrefois on cherchera des équivalences entre nature et artifice « Nous vivons dans des villes, nos champs sont d’asphaltes, nos étoiles sont les lampadaires, nos forêts les pylônes des lignes à haute tension » disait Hans Windisch en 1929. Des parallèles ont aussi été fait entre l’activité humaine dans la ville et celle de ces insectes industrieux que sont les fourmis ou les abeilles, la ruche apparaissant comme un modèle tant sur le plan de l’efficacité que sur celui de l’organisation sociale. La comparaison avait également un aspect critique, pointant du doigt une déshumanisation de l’humain à travers le travail. Le soupçon d’une perte d’humanité est également sous-jacent dans « Alvéoles », une série photographique réalisée par le photographe Jean-Pierre Attal. L’idée de la série est de faire le portrait de façades « habitées » par des travailleurs anonymes.
Petit rappel lexical, gracieusement offert par le CNRTL – Merci au CNRS pour cette pure merveille ! Alvéole : 2. APIC., ENTOMOL. Cellule, généralement hexagonale, construite par certains insectes (notamment abeilles, guêpes) :3. Les alvéoles sont généralement l’été des berceaux, l’hiver des réservoirs de pollen et de miel, un grenier d’abondance pour la république. Chacun de ces vases est clos et scellé de son couvercle de cire. Clôture religieusement respectée de tout le peuple, qui ne prend pour sa subsistance qu’à un seul rayon ouvert. J. Michelet, L’Insecte, 1857, p. 333.
Il faut noter que l’effet de transparence de la façade ne se produit que la nuit, grâce à l’éclairage artificiel. Alphonse Allais pensait, comme nombre de ces contemporains qui assimilaient les Rayons X tout juste découverts à un nouveau type de lumière, que la technologie des dits rayons X auraient permis de dévoiler et mettre à nus tous les intérieurs des bâtiments. Désolés, Alphonse, il faudra attendre la diffusion des produits verriers et de l’éclairage artificiel. Cette idée de transparence était d’ailleurs plus une boutade qu’autre chose pour Allais, et l’on objectera qu’au XXIe siècle, certain ont pu penser que leur iPhone disposait de la technologie mise en œuvre dans les fantasmagoriques « lunettes qui déshabillent »
Enfin bref, passons le micro au photographe qui décrit sa série et ses intentions mieux que personne » L’architecture des bureaux actuels ayant évolué dans le sens d’une plus grande transparence, je décide en 2007 d’explorer de nouveau ce terrain favorable à l’extension de mon travail d’archéologie sociale de la strate urbaine. Ces photographies grand format appréhendent la réalité d’individus étroitement liés à l’architecture contemporaine. Elles fouillent le monde du travail tertiaire à travers les ouvertures vitrées des tours de bureaux contemporains. C’est dans une très grande proximité qu’elles donnent à voir ces empilements d’étages saturés de salariés, révélant l’activité frénétique d’une ruche en pleine effervescence. Les « open spaces » deviennent alors totalement accessibles et dévoilent les détails d’un univers standardisé qui habituellement nous échappent. Dans le chaos architectural, c’est finalement la récurrence et l’obsédante répétition qui conduisent à l’évanouissement des êtres sous « X » » . Des rayons X aux êtres sous X, il n’y avait finalement qu’un pas…
Source : Muuuz