Guadalupe Grande va publier au mois de mai Métier de chrysalide / Oficio de crisálida,
chez Alidades, dans une traduction de l'espagnol par Dorothée Suarez Juliette
Gheerbrant. Postface de Carlo Bordini, traduite de l'italien par Juliette
Gheerbrant.
LA FUITE
J’ai fui, c’est vrai. Et puis après…
Fuir est un naufrage,
une mer sur laquelle tu cherches ton visage, inutilement,
au point de te changer en naufragé de sel,
cristal sur lequel brille la nostalgie.
Fuir a l’odeur de l’espoir,
sent la certitude et la trahison,
a l’impression d’être surveillé, d’être perdu
et il n’y a aucun aimant pour guider
son pas migratoire insensé.
Fuir semble se nourrir de temps,
respire la distance et regarde, de très loin,
un horizon de décombres.
Fuir a froid et sur la peau de son ventre
résonnent des mots graves courage frayeur
pluie.
Fuir voudrait être un poisson des abysses remonté à la surface :
après tant d’obscurité
tant de siècles noyé dans les profondeurs,
les premières gouttes de lumière brillent
sur son échine albinos d’enfant puni.
Mais fuir est un naufrage
et ton visage une poignée de sel
dissoute dans l’écoulement des heures.
Travail de naufragés
mission d’explorateurs
Mais la mer ne nous suffit plus
et la vie a un goût de trop peu
NATURE MORTE
Neuf heures et la cuisine est dans la pénombre:
je suis assise à une table grande comme le désert,
face à des aliments que je ne sais comment regarder,
si je les interrogeais, que me répondraient-ils ?
Ce sont des oranges d’une récolte
à contretemps,
des mandarines sans empire,
des asperges vert deuil,
des laitues vert oubli,
des céleris sans tête,
vert néant,
vert
ensuite,
vert
enfin.
(Plateaux de promesses
dans le comté de la détresse.)
L’après-midi se dilate dans la cuisine
et le bruit de la mer ne parvient pas jusqu'ici.
La solitude des oranges se multiplie :
Il n’y a pas de question face à tant d’opulence,
ici, dans la sérénité de ce tabouret à trois pieds
entourée par une muraille de mandarines orphelines,
une légion de bananes sans taches,
une forêt de persil plus luxuriante
que la jungle tropicale.
Aliments muets et sans parfum:
je vous regarde et je ne vois qu’une caravane de marchandises,
le sommeil des chauffeurs,
une urgence de frigorifiques
et une traînée d’eau sale qui traverse la ville.
Textes espagnols
en cliquant sur "lire la suite de "
par Olivier Favier
Guadalupe Grande dans Poezibao :
biobibliographie, extrait 1
S’abonner
à Poezibao
Une de Poezibao
LA HUIDA
Huí, es cierto. Mas
luego...
Huir es un naufragio,
un mar en el que buscas tu rostro, inútilmente,
hasta convertirte en náufrago de sal,
cristal en el que brilla la nostalgia.
Huir tiene el olor de la esperanza,
huele a cierto y a traición,
se siente vigilado, está perdido
y no hay ningún imán que guíe
su insensato paso migratorio.
Huir parece alimentarse de tiempo,
respira distancia y mira, desde muy lejos,
un horizonte de escombros.
Huir tiene frío y en la piel de su vientre
resuenan palabras graves valorasombro
lluvia.
Huir quisiera ser un pez abisal que ha llegado a la superficie:
después de tanto oscuro,
de tantos siglos anegado en la profundidad,
brillan las primeras gotas de luz
sobre su lomo albino de criatura castigada.
Pero huir es un naufragio
y tu rostro un puñado de sal
disuelto en el transcurso de las horas.
Tarea de náufragos
misión de exploradores
Pero el mar ya no nos basta
y la vida nos sabe a poco
BODEGÓN
Las nueve y la cocina está en penumbra:
estoy sentada ante una mesa tan grande como el desierto,
ante unos alimentos que no sé cómo mirar,
y si les preguntara, ¿qué me contestarían?
Son naranjas de una cosecha a
destiempo,
mandarinas sin imperio,
acelgas verde luto,
lechugas verde olvido,
apios sin cabeza,
verde nada,
verde
luego,
verde
enfín.
(Bandejas de promisión
en el condado del desamparo.)
La tarde se dilata en la cocina
y aquí no llega el sonido del mar.
La soledad de las naranjas se multiplica:
no hay pregunta para tanta opulencia,
aquí, en la serenidad de esta banqueta de tres patas,
rodeada por una muralla de mandarinas huérfanas,
una legión de plátanos sin mácula,
un bosque de perejil más frondoso
que la selva tropical.
Alimentos mudos y sin perfume:
os miro y sólo veo una caravana de mercancías,
el sueño de los conductores,
una urgencia de frigoríficos
y un rastro de agua sucia atravesando la ciudad.