Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame des Champs
75006 Paris
Tel : 01 45 44 57 34
Métro : Vavin / Notre-Dame des Champs
Ecrit et interprété par Marie-Elisabeth Cornet
Coécrit et mis en scène par Samuel Légitimus et Laurent Dubost
Ma note : 7/10
L’argument : Dans une maternité de Bruxelles, Jacqueline, enceinte de… deux ans et demi, refuse d’accoucher. La médecine est impuissante, le mari désespéré. Pour libérer l’enfant, Carole, chamane new-age, va plonger dans la mémoire de la mère et nous faire vivre un voyage fantastique entre ciel et terre.
Mon avis : Avant de tenter toute analyse et digression critiques, on ne peut quitter le Lucernaire que complètement abasourdi par la performance scénique et physique que vient d’accomplir Marie-Elisabeth Cornet. Quelle présence, quel bagage !
Maintenant, essayer de rendre compte fidèlement de cette pièce c’est tout simplement pas possible tant c’est riche, foisonnant, et déstabilisant. C’est un peu comme pénétrer dans un labyrinthe sans le précieux fil d’Ariane. En même temps, ce parcours à l’aveugle est totalement jouissif puisqu’on va de surpris en surprise, d’audace en audace. C’est qu’elle ne joue pas petit bras la Marie-Elisabeth. Elle interprète carrément une soixantaine de personnages. Certains très fugitifs, et d’autres bien plus consistants comme ce démiurge assisté de son égérie Félicité, ce GI texan, ce douanier belge, comme Nicole, cette bigote affligée d’un hoquet chronique…
Pour cela, et pour que l’on comprenne bien à qui l’on a affaire, elle utilise tout un éventail de subterfuges : accents (belge, hongrois, américain… elle zozote), imitations (de Gaulle…), bruitages, propos et onomatopées cabalistiques, elle adopte des gestuelles caractéristiques, prend des poses pas naturelles du tout, elle fait même l’autruche et le tyrannosaure ! Elle a pour seul accessoire une cape qui, selon l’usage qu’elle en fait, devient manteau, jupe, châle, lange… Bien aidée par une bande-son efficace et des jeux de lumières subtils, elle nous prend par la main et nous entraîne dans un voyage spatiotemporel qui par du Big Band (eh oui) pour aller jusqu’au baby boom.
Dit comme ça, ça peut sembler très abstrait mais en fait tout est cohérent. Il y a une vraie logique dans son délire. Le personnage clé de cette saga fantastique est Carole, la chamane à l’accent belge. Appelée à la rescousse par un directeur de clinique impuissant à faire accoucher une patiente enceinte de deux ans et demi, elle va utiliser sa science et ses pouvoirs pour remonter à la source du problème. Alors que le nouveau (?)-né, déjà équipé de son cartable, est prêt à franchir le col pour entrer à l’école, Jacqueline – c’est la parturiente – s’obstine à le retenir en son sein, au grand désespoir de son mari. Pour connaître la raison de ce refus, Carole va s’introduire dans sa mémoire pour entraîner Jacqueline dans une manœuvre de régression. Là, la définition du Petit Larousse s’impose pour nous en expliquer le mécanisme : « retour du sujet à un état antérieur de sa vie libidinale par suite de frustrations ». Accrochez vos ceintures, l’Orient-Express s’engage sur des montagnes russes !
En une succession de tableaux animés par une multitude de personnages, Marie-Elisabeth Cornet, nous fait revivre le parcours vers l’exil d’une famille hongroise persécutée par les Bolchéviks… C’est du grand art. La comédienne possède une science consommée du mime. Très souple, très mobile, toujours en mouvement, elle est fascinante. Elle n’hésite pas à interrompre le fil de son histoire abracadabrantesque pour s’amuser avec le public. Avec ses yeux clairs et son sourire chaleureux ou espiègle, elle nous enveloppe littéralement dans son châle qu’elle agite devant nous comme une muleta.
Et Attila là-dedans, direz-vous ? Et bien, Attila, c’est une truie transformée en bijouterie sur pattes pour des raisons de survie. Esprits cartésiens s’abstenir…
Et pourtant… Et pourtant, au fur et à mesure que se déroule l’écheveau quasi inextricable de l’histoire, on commence à entrevoir quelques vérités. Certains thèmes abordés ne nous semblent soudain pas anodins : l’immigration, la foi, l’adoption… ça donne à réfléchir. Si bien que l’on commence à se douter que cette épopée au traitement volontairement absurde est nourrie par un fonds autobiographique. Et on se prend à regarder la jeune femme autrement. Derrière ce grand sourire et cette fantaisie se cachent sans doute quelques fêlures, quelques souffrances très personnelles. Diable, l’histoire d’Attila ne serait-elle que la transposition théâtrale d’une thérapie ? Il suffit d’attendre la fin pour que la comédienne enfonce le clou et ouvre enfin les vannes de sa profonde humanité.
Ancienne pensionnaire du fameux Cirque du Soleil, Marie-Elisabeth Cornet, est une artiste totale. Et il faut déployer un sacré talent pour réussir à nous entraîner dans un tel délire. Attention, il faut avoir le cerveau entièrement disponible pour profiter pleinement de cette extravagante odyssée, riche et dense. Devant une telle performance, on ne peut que reconnaître que pour réussir à attiser notre intérêt en jouant ainsi Attila, cette comédienne, c’est vraiment quelqu’Hun.