Magazine Cinéma
Théâtre de la Gaîté Montparnasse
26, rue de la Gaîté
75014 Paris
Tel : 01 43 22 16 18
Métro : Gaîté / Edgar Quinet
Une comédie de Jérôme L’Hostky
Mise en scène de Philippe Sohier
Décor de JiPéCé
Avec Serena Reinaldi (Pascale), Christophe Alévêque (José)
Ma note : 8/10
L’argument : Non, elle n’a personne. Elle ne l’aime plus, tout simplement. Mais elle ne sait pas pourquoi. Le temps d’une soirée, ils vont voir défiler leur vie de couple. Dans un jeu ridicule, souvent absurde, parfois violent, ils vont s’étudier, s’insulter, se toucher, partir, revenir, essayer de se comprendre pour mieux se perdre aussitôt…
Comment s’aimer come au premier jour dans ce monde qui court plus vite que nos sentiments ? Pourquoi on s’aime, pourquoi on ne s’aime plus ? Mais surtout, comment faire pour s’aimer dans une société où l’individualisme règne en roi et l’épanouissement personnel est devenu le Graal ?
Mon avis : Décor : une chambre à coucher avec un grand lit en son milieu, une fenêtre qui donne sur la rue… Lui, José, arrive en fredonnant du Nino Rota. Immédiatement, il ne donne pas de lui une image des plus ragoûtantes. Un peu rustaud, il réclame son pastis, parle la bouche pleine, mange du pain sur le lit (bonjour les miettes !), et il parle, il parle… Il parle essentiellement de son boulot. Elle, Pascale, on ne la voit pas. Elle ne daigne lui répondre que sporadiquement. On sent une certaine incommunicabilité entre ces deux êtres.
Voilà, le décor est planté.
Et ça va être au tour de José de l’être, planté. Car une phrase hésitante sort mezzo voce de la bouche de Pascale, LA phrase qui tue : « Je crois que je ne t’aime plus »… Blanc ! José est K.O. debout. C’est le ciel (de lit) qui lui tombe sur la tête. Le temps que l’information arrive à son cerveau. Et quand elle y parvient, c’est comme si elle avait éternué dans un couloir d’avalanche. Les questions fusent, il la bombarde littéralement. Mais sous l’agressivité on sent percer un profond désarroi… Quant à elle, elle aimerait bien fournir des explications, mais elles elle ne les pas encore parfaitement intégrées. Elle sent confusément qu’elle n’éprouve plus de sentiment amoureux pour lui, mais encore faut-il pouvoir argumenter.
En fait cette situation les rend malheureux l’un et l’autre. Et c’est tout le charme de cette comédie alerte, grinçante, drôle et émouvante.
Les extraits de Ciao Amore que j’avais vus m’avaient amené à penser que j’allais assister à un bon spectacle. Erreur. J’ai assisté à un TRES bon spectacle. D’abord, psychologiquement, le duo tient remarquablement la route. Ce qui n’est pas si évident quand on doit camper en quelque sorte les archétypes masculin et féminin. Grâce à leur complémentarité, à leur complicité, l’alchimie fonctionne à merveille. Ce sont deux duellistes qui s’affrontent avec des fleurets pas toujours mouchetés. Il y a des assauts qui font mal. D’autant qu’ils ne portent pas de masque protecteur.
Christophe Alévêque est comme un poisson dans l’eau avec ce rôle que l’on pourrait croire écrit par lui tant il colle à l’image de l’humoriste que l’on connaît. A part que dans ce jeu de renvois qu’impose la présence d’une partenaire, il est bien obligé de laisser apparaître autre chose que son personnage de one-man show. Je pense à sa réelle tendresse. Si, comme d’habitude, il excelle dans sa prestation de macho bourru, faux-cul, égocentrique et fielleux, là où il se révèle, c’est quand il joue au clown triste. Il est particulièrement émouvant dans ce registre dans lequel il faut bien avouer sa sensibilité. Et on voit bien que ce n’est pas un rôle de composition. Christophe nous déploie tout l’éventail de la comedia dell arte. Il possède surtout toute une panoplie d’expressions et de mimiques qui traduisent très bien le fond de sa pensée. Il est en fait une sorte de concentré du comportement masculin avec ses principaux travers et son inavouable fragilité. Il se complaît dans de petites vengeances hypocrites, les ; en signe d’impuissance, il se défoule sur les objets ou il devient grossier ; il a peur des mots et, paradoxalement, il se montre beaucoup plus pudique qu’elle. Enfin, il possède quand même une qualité que l’on ne peut absolument pas lui dénier : il est fan d’Eddy Mitchell…
Et Elle, justement. D’abord, elle est une très, très nice people ; très agréable à, regarder. Serena Reinaldi c’est le prototype parfait de l’éternel féminin. Elle joue de la prunelle à ravir, quand elle sourit, elle illumine la scène. Son rire éclate comme une cascade rafraîchissante. Elle est confondante de naturel. En un mot, elle est vivante. Bien sûr, comme toutes les femmes, elle est bien plus finaude que son compagnon et, surtout, elle est beaucoup plus franche. Elle, les mots ne lui font pas peur. Même quand ils sont crus, ce qui a pour effet de désorienter encore plus le José. Elle joue juste, simple, avec juste ce qu’il faut d’italiennerie dans la fantaisie.
Cette pièce ne peut pas nous laisser insensible car ce couple qui s’affronte, qui essaie de comprendre pourquoi ils en sont arrivés là, c’est nous qui sommes mis en face de nos propres questionnements, de nos propres manques. La grande leçon que l’on peut tirer de Ciao Amore, c’est qu’il faut toujours privilégier le dialogue. Il FAUT se parler, se dire les choses. Mais il est vrai que c’est généralement plus difficile pour les garçons.
Enfin, au-delà de la comédie pure, l’auteur glisse subrepticement quelques thèmes de société qui donnent à la pièce une dimension un peu plus universelle.
C’est du bon théâtre, distrayant autant qu’intelligent. On s’amuse avec les acteurs autant qu’on s’amuse de nous avec l’effet miroir. Bref, on passe une très bonne soirée. (sauf en matinée, bien sûr).