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Les adorateurs du Dieu Volcan

Publié le 21 avril 2010 par Variae

Si la presse est décevante, c’est en particulier parce qu’elle est complètement prévisible et cyclique. Prenez l’éruption du volcan Eyjafjöll et le chaos aérien qui s’ensuivit. Alors que durant les premiers jours, la tonalité générale était à la compassion envers les « victimes » des retards, il a suffi d’un week-end pour que le vent tourne et que, comme on pouvait s’y attendre, survienne la charge des éditocrates, dispensant en chœur des leçons de morale depuis leur Aventin numérique. On imagine la pression sur leurs épaules. Il faut parler du volcan et des avions. Trouver une démonstration brillante à ce sujet. Prendre le contrepied de ce qui a été dit auparavant. Le volcan … la colère de Mère Nature … les avions … grands méchants pollueurs … ça y est ! Le sujet est fait : « le volcan, ou l’avertissement de la planète Terre aux hommes inconscients ». Où comment marier un incident naturel à la vogue écolo pour être doublement dans l’air du temps.

Les adorateurs du Dieu Volcan

Le résultat est frappant : on a l’impression de lire plusieurs fois la même tribune avec des signatures différentes. Sous la plume d’Edwy Plenel sur MediaPart, d’Eric Fottorino dans Le Monde, dans une moindre mesure de Régis Soubrouillard sur Marianne 2, et, last but not least, de BHL chez … BHL, c’est à chaque fois la même leçon, lyrique et masochiste, que l’on lit : le volcan a donné une bonne leçon à l’humanité qui, telle Icare ou Prométhée, a osé s’extraire de sa misérable condition originelle. Un incident « bienfaisant » qui « nous ramène sur terre » pour Plenel, une « leçon » contre « l’immense et indécente arrogance des hommes » pour BHL, un « nuage qui permet d’y voir clair » et qui nous « remet à notre place » pour Fottorino ; petite nuance (Marianne oblige !) une éruption qui « terrasse la mondialisation » et les « élites mondialisées » pour Soubrouillard. Sans parler des multiples références à la mythologie gréco-latine, histoire sans doute de prendre de la hauteur : Marianne 2 titre sur le combat entre « Vulcain » et « la mondialisation », Plenel explique que sous « Gaïa » s’étend « le chaos », et BHL, dans un accès botulien, oppose la « technoscience » aux « forges d’Héphaïstos » où œuvraient « les cyclopes ».

Lire à la suite ces pédantes dissertations, qui semblent copiées les unes sur les autres tout en se croyant chacune – probablement – follement originale, produit un certain effet comique. Et pousse effectivement à la réflexion, mais pas dans le sens voulu par les auteurs. On commence par se demander quelles auraient été les réactions si le volcan avait frappé les pays en voie de développement. Cela aurait sans doute été un concert de lamentations sur l’aide au développement insuffisante, sur l’égoïsme des pays du Nord qui ne veulent pas partager leur savoir-faire technique avec les Suds, etc. Au lieu de fustiger la société de la vitesse, esclave des moyens de communication modernes, on se serait arraché les cheveux sur le temps mis par les … avions pour apporter aide médicale et sacs de riz. Deux poids, deux mesures ? C’est que le volcan islandais n’a tué personne et a frappé deux boucs-émissaires consensuels du prêt-à-penser actuel : les avions, gros pollueurs, et les « élites mondialisées » (comprendre, en langue normale, les gens qui peuvent se payer l’avion). Qu’une catastrophe éclate dans l’hémisphère sud et on prendra les mêmes éditorialistes en flagrant délit de totale contradiction avec leurs écrits du jour. Un petit tour du côté de leurs papiers sur le tsunami de 2005 serait peut-être déjà instructif …

Mais ce n’est pas tout. Toute dénonciation caricaturale d’un phénomène vague et mal défini (« la vitesse », « la technoscience ») met ses auteurs en grand danger d’incohérence et d’auto-contradiction. A Edwy Plenel qui se réjouit que « la Terre se venge de ceux qui l’oublient » ( !), on rappellera qu’il est patron d’un journal qui ne se diffuse qu’en ligne, et qu’Internet, bien loin d’un média immatériel et indolore, pollue autant que les avions. A Eric Fottorino qui déplore que plus personne « ne réveille sa tortue intérieure », et qui condamne « la société de l’accélération » et « la dictature de l’urgence », on demandera pourquoi le site web de son journal est à moitié mangé par un fil de dépêches d’agence. Quant à BHL qui, à la pointe d’une indescriptible envolée lyrique, donne la parole au volcan (« Silence, dit le volcan. Silence, c’est moi qui parle à présent. Que plus personne ne bronche ; que vos machines volantes soient, jusqu’à nouvel ordre, interdites de ciel»), on lui suggérera de se rappeler par quel moyen il arpente le monde pour nous rapporter ses « choses vues » en Amérique ou en Géorgie.

Laissons ces tartuffes à leur concours d’éloquence un peu fanée. Plus préoccupante est l’idéologie à laquelle ils prêtent leur plume et leur influence. Derrière les détours poético-philosophiques se fait jour une idée simple : l’humanité a tort de vouloir s’émanciper par la technologie ; la vitesse, c’est mal, le progrès, c’est dangereux ; remercions Dame Nature de nous donner une bonne baffe pour nous rappeler que nous ne sommes que des fétus de paille devant elle. Cette technophobie obscurantiste, qui en vient (par effet de style, par conviction ?) à prêter une sorte d’âme à la « nature », et à menacer les hommes qui s’éloignent de la « tradition » ou  du cours naturel des choses, est aussi absurde et dangereuse que les excès industrialistes antérieurs à la prise de conscience écologiste de l’opinion publique. Fruit de la rencontre entre la tendance « millénariste » d’une certaine écologie que dénonçait récemment Jacques Le Goff, et la lassitude blasée d’Occidentaux repus de technologie et de confort, elle verse dans un manichéisme irrationnel et amnésique. Conspuait-on la vitesse de l’information quand on était tenu au courant heure par heure des manifestations en Iran ? Se plaint-on des transports aéronautiques quand ils permettent d’acheminer un organe pour une transplantation ? Comme tout moyen, la technologie n’est en soi ni bonne ni mauvaise ; l’histoire de l’humanité est celle d’un apprivoisement de l’environnement, pour se faciliter la vie et se la rendre plus agréable. Il n’y a rien de honteux ou d’immoral à cela, sauf à considérer que la vertu ne se réalise que dans l’effort … Le vrai enjeu de l’écologie politique est celui d’une nouvelle alliance entre citoyens et scientifiques pour peser sur la direction de l’innovation et les pratiques industrielles. Et non pas de réinstaurer une sorte de peur primitive de la nature et du progrès. Car au bout du sentier intellectuel emprunté par nos brillants éditorialistes (éloge de la lenteur, de la pénurie et du localisme chauvin), il y a le projet d’une société bloquée, frileuse, bien pire que le « consumérisme » qu’il est de bon ton de conspuer aujourd’hui.

Romain Pigenel


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