Dans la solitude des champs de ruines
Au début des années quatre-vingt, Cleet Boris était, aux côtés de son ami Yves Chaland, un des tenants de la ligne claire post-moderne. Puis il fut amené à délaisser la BD au profit de sa carrière de musicien. Les années 90 le virent délaisser à peu près tout au profit d'une autodestruction anisée. A l'approche du nouveau millénaire, remettant le pied à l'étrier, notamment grâce à sa collaboration avec David Scrima sur
Superhéros, Cleet se consacre à un très vieux projet. Depuis qu'il est enfant il invente les aventures d'un personnage quasi-immortel qui a traversé les âges. Il est temps de les transférer sur papier. Toujours prêtes à financer un coup à moindre coût, les éditions Soleil sont partantes pour éditer ce retour à la BD de la figure de proue de L'Affaire Louis Trio. Ainsi en 2003 parait ce qui est présenté comme le premier tome d'une nouvelle série.
Le succès ne surgissant pas, ce sera malheureusement le seul épisode paru. Les lecteurs connaissent bien la chanson.
Heureusement, ce tome, brillante introduction, se tient parfaitement dans son isolement, à l'image de son charismatique héros, figure sombre et solitaire se dressabt dans le vent glacé. Cleet Boris nous régale en effet au passage d'une vigoureuse relecture de l'histoire de la créature du Docteur Frankenstein. Les lecteurs attentifs du classique de
Mary Shelley savaient déjà le scientifique parfaitement salaud, bigot et inconséquent, nous le découvrons ici de surcroît dément et mythomane.
Créature est un beau projet, au dessin fort de séduisantes arêtes et aspérités, empli de souvenirs de gravures et du désir de se surpasser. La narration est fluide, la voix-off de bonne tenue avec son lot de poésie et de sentences remarquables (
"Rire... Le propre de l'homme, avec une haleine fétide.").
C'est un livre que je défendais déjà alors qu'il n'était pas soldé à 3 € dans nos échoppes. Et ça c'est un argument massue.
Créature, tome 1 : chimères, de Cleet Boris, Soleil, 2003. 3 €.