COLETTE OU LA RENAISSANCE D'EROS par JACK MANDON

Publié le 21 avril 2010 par Abarguillet


C’est sans doute se permettre une projection que de chercher à évoquer et expliquer l’influence d’un écrivain sur l’éveil du désir amoureux. Quand cet auteur s’appelle Colette, cela devient un piège délicieux.

Les premières années de collège sont souvent un supplice jusqu’au jour ou l’on découvre l’amour à travers les ébats brûlants, parfumés et endiablés de Claudine en liberté. On se met à rêver alors de la mixité des études, mais avec une forte propension à la luxure. Dans les vagues de l’adolescence, sous le charme d’Eros, les tourments de l’inconnu, l’attrait physique, l’odeur, la voix, la résonance plastique lentement s’insinuent, détrônant les études conventionnelles...c’est la faute à Colette et non pas à Rousseau, ni même à Voltaire.

En ces temps de violence, de virtuelles attentes, sa mémoire m’interpelle dans le seul partage où la vie et l’amour se mêlent chez elle éperdument à la faune, à la flore, dans un parterre de nymphes et de bacchantes en folie. Un paradis sur terre, mais avant la faute et sans la culpabilité. 

Sidonie Gabrielle Colette - Saint-Sauveur-en-Puisaye - Yonne - 1873 - Paris 1954.

Fille du capitaine Colette et de Sidonie Landoy ( Sido ), Colette conservera toujours de son enfance campagnarde un amour et une compréhension presque instinctive des animaux et de la nature.
Un modèle de femme, d’amante, de compagne pour toutes les femmes en quête de la seule identité qu’il faut chérir, bien au-delà des croyances et des interdits. Pour tous les hommes à l’humeur vagabonde, à l’humour enraciné dans la tendresse, la fantaisie...et la tolérance à l’épreuve des flammes de l’amour...
Sa vie fut amoureuse. C’est elle même qui nous la conte tout au long de son oeuvre, avec une merveilleuse simplicité, sans fausse pudeur, sans ces affectations sentimentales inutiles.
Femme moderne, créatrice d’émancipation, culturellement frondeuse et infidèle , mais fidèle à la nature.

...Chers bois ! Je les connais tous ; je les ai battus si souvent. Il y a les bois-taillis, des arbustes qui vous agrippent méchamment la figure au passage, ceux-là sont pleins de soleil, de fraises, de muguet, et aussi de serpents. J’y ai tressailli de frayeurs suffocantes à voir glisser devant mes pieds ces atroces petits corps lisses et froids ; vingt fois je me suis arrêtée, haletante, en trouvant sous ma main, près de "la passe-rose", une couleuvre bien sage, roulée en colimaçon...
la résurgence de la tentation originelle en Eden.

Paysanne sensorielle, elle filtre le monde naturel et supra -sensible à travers tous ses sens. Son intelligence vive examine, structure, critique, soupèse, exclut, précise. Elle est redoutable d’analyse et de synthèse avec le bon sens de la terre et une palette pulpeuse, chaude et réaliste. Impitoyable avec les spéculateurs en lévitation.
Claudine à l’école est une chronique villageoise qui retrace la vie d’une collégienne de province qui explore le monde de l’enfance, ses jeux, ses émotions et ses rites. Spectatrice de la nature, Claudine s’éveille à la sensualité et doit ses premiers émois à sa première institutrice.
Ingénue et en même temps perverse, Claudine est un personnage attachant, l’anima offerte en émoi.
Claudine en ménage lève le voile sur l’adultère et l’ambigüité sexuelle...mais elle fuit son mariage qu’elle trouve étouffant. Avant gardisme absolu en un temps où la femme vivait dans l’ombre de son mari.
Très jeune... non, je ne suis plus très jeune. J’ai gardé ma taille, ma liberté de mouvements , j’ai toujours mon vêtement de chair étroite qui m’habille sans un pli...La retraite sentimentale
"Je veux danser nue si le maillot me gêne et humilie ma plastique. je veux chérir qui m’aime et lui donner tout ce qui est à moi dans le monde, mon corps si doux et ma liberté.. " Colette et la marquise scandaleuse.
Elle ne craint donc point, la délicieuse affranchie, de fréquenter les sentiers inexplorés et surtout proscrits à son époque...l’audacieuse.
Enfin elle tombe amoureuse...de son mari. L’intrigue est très mince, ce qui importe, c’est le portrait psychologique de la femme, les contradictions entre ses aspirations et ses sensations. L’ingénue libertine.

Colette approfondit, après la série des Claudine, la description des relations amoureuses, auxquelles la Vagabonde donne un caractère pudique et plus inquiet.
" Ma place, ma place, mais c’est celle qui me convient ! Qu’on m’y laisse, c’est tout ce que je demande... Je ne sais pas bien me faire comprendre, mais mon imagination travaille là-dessus... C’est comme si j’étais seule à connaitre l’envers de ce que les autres regardent à l’endroit ... L’envers du Music-Hall
"L’amour, n’est-ce qu’un écueil sur une route tranquille ? En ce cas, nul besoin de l’éviter. Il suffit de le franchir." l’Entrave.
La Chambre éclairée
offre des scènes de mœurs traitées avec humour qui voisinent avec des textes intimistes, des chroniques d’une ironie vengeresse avec des témoignages sur la vie quotidienne.
Léa, belle courtisane quinquagénaire, entretient une liaison avec Fred, appelé Chéri, est détaché de tout, comme étranger. Léa est déprimée, elle se rend compte du caractère passionnel de son amour. Mais Chéri, sa seule raison de vivre, lui revient pour un temps, avant de se détacher, sans but, mais goutant la liberté.
En trente-cinq chapitres, chacun constituant une nouvelle, Colette fait revivre dans La maison de Claudine avec un rare bonheur, son enfance heureuse, sa mère Sido tant aimée. Les bêtes qui grâce au génie de l’auteur, rendent sa maison inoubliable. Une des oeuvres parmi les plus émouvantes et sensibles de ce grand écrivain.
Phil et Vinca, les deux adolescents du blé en herbe resteront le vivant symbole de la pureté du désir, de la joie des vacances. Colette, avec une émotion retenue, a fait de ce voyage sentimental et charnel un charmant conte d’amour.
Une circonstance surprenante est le point de départ de ce récit envoûtant. Colette, personnage au cœur de sa fiction, Au centre de l’intrigue luit un petit arc-en-ciel, la " lune de pluie ". Un rayon magique emblématique du très bel autoportrait imaginaire que nous donne ici Colette.
Ces chercheurs de plaisirs interdits, de ceux que l’on dit impurs : plaisir factice de l’opium et de l’alcool, plaisir clandestin des amours admises ou défendues... Colette nous les évoque magistralement dans Le Pur et l’Impur dont elle a dit :" On s’apercevra peut-être un jour que c’est là mon meilleur livre. "
Dans le midi elle se retira. Dans un décors édénique de fleurs et d’arbres fruitiers, l’esthète retrouva l’enfant..
Levée tôt chaque matin, elle promène son chien avant le petit déjeuner sous les glycines. Elle se met ensuite au jardinage, avec "la plus grande ardeur", s’émerveillant du déroulement des saisons  : "le printemps est tendre, odorant, chargé de cognassiers en fleur, de lilas, d’iris, d’arums, de roses, de glycines, de giroflées … L’hiver, il est fleuri de petites roses, de narcisses doubles et même de lavandes". Après une courte sieste, elle se met à son travail d’écrivain. Saint Tropez
 A l’hiver de sa vie..."Avais- je atteint ici ce qu’on ne recommence point ? Tout est ressemblant aux premières années de ma vie et je reconnais peu à peu au rétrécissement du domaine rural, aux chats, à la chienne vieillie,à l’émerveillement, à une sérénité dont je sens de loin le souffle, je reconnais le chemin du retour..."
Un pays que j’ai quitté
J’appartiens à un pays que j’ai quitté. Tu ne peux empêcher
Qu’à cette heure, si épanouie au soleil, toute une chevelure
embaumée des forêts ; rien ne peut empêcher, qu’à cette heure,
l’herbe profonde y noie le pied des arbres d’un vert délicieux
et apaisant, dont mon âme a soif...

"Ces plaisirs qu’on nomme, à la légère, physiques."

A l’antique hellénisme, corps et âme elle se vouait, c’était une authentique hédoniste, une infatigable dévoreuse de plaisir mais dans la finesse des gourmets, une chatte royale, une déesse moderne.
Sa maturité naquit de l’imprégnation authentique de la nature. Une enfant légitime de Gaïa.
Jack MANDON