LEMONDE.FR | 29.11.07 | 13h21 • Mis à jour le 29.11.07 | 17h24
Avant l'audience déjà, les avocates commises d'office avaient confié leur inquiétude de voir leurs clients sévèrement condamnés pour l'exemple, le tribunal ayant été particulièrement dur, la veille, avec leurs prédécesseurs, partis pour trois à dix mois d'incarcération, même avec des casiers judiciaires vierges. Trois des quatre jeunes hommes présentés mercredi 28 novembre, en comparution immédiate, devant le tribunal correctionnel de Pontoise pour leur participation aux incidents survenus dimanche et lundi soir à Villiers-le-Bel (Val-d'Oise), ne sont pas non plus rentrés chez leurs parents à l'issue de l'audience mercredi soir : condamnés à des peines de prison ferme, le tribunal a ordonné leur placement sous mandat de dépôt.
"UN COCKTAIL MOLOTOV, C'EST UNE ARME DE GUERRE"
Cédric, qui fêtait ses 20 ans le soir où il a été interpellé, comparaît pour avoir lancé des cocktails Molotov sur les forces de police en faction devant la mairie de Villiers-le-Bel lundi soir, l'un des gardiens de la paix, particulièrement visé, s'étant constitué partie civile. Cet agent a reconnu à sa coiffure singulière, une crête de cheveux décolorés, le jeune qui l'a pris pour cible, arrêté quelques minutes plus tard par ses collègues, alors qu'il tentait d'escalader un grillage pour s'enfuir.
A l'audience, Cédric, sans casier judiciaire, plombier-chauffagiste en alternance dans le cadre d'un bac professionnel, nie les faits. Il raconte "avoir paniqué", pris dans les fumigènes alors qu'il rentrait simplement de sa fête d'anniversaire, et s'être mis à courir sans raison. Sa blessure à la main, il ne sait plus comment il se l'est faite. Quant à la description du policier, il souligne qu'elle a pu être échafaudée après coup, une fois qu'il avait été arrêté. "Il nie les faits alors qu'il a été attrapé la main dans le sac, ou plutôt la main sur le grillage", assène le procureur. Un cocktail Molotov, c'est une arme de guerre. Cela peut provoquer des atteintes gravissimes aux personnes." Il requiert trente mois d'emprisonnement.
Stupeur dans la salle. "Je ne peux pas me résoudre à considérer que votre juridiction pourrait être muselée, lance l'avocate de Cédric au début d'une plaidoirie étoffée. C'est le sel de notre justice de ne pas céder à la pression des autres, des groupes, des contextes, parce que nous devons privilégier la sérénité et la prévention. Je vous demanderai donc de ne prendre en compte que ce qui est dans le dossier. (...) Je considère à titre personnel que répondre par l'immédiateté et l'urgence, c'est se faire complice d'une mauvaise application de la justice et de la loi." Quand après un long développement sur les flous de la procédure, elle appelle de nouveau les juges à "ne pas se laisser prendre en otage", elle est vivement interrompue par la présidente, Dominique Andréassier, en colère : "On n'est à la merci de personne, pas plus du parquet que de n'importe quel pouvoir politique. On jugera en toute indépendance !"
"J'AI JUSTE PRIS UN SAC DE BONBONS"
Jean-Matthieu et son demi-frère Alan n'ont pas le regard dur de Cédric. Agés de 18 et 19 ans, on leur en donnerait plutôt 15 et 16. Pas de casier judiciaire. L'un vient de finir un CDD de préparateur de commandes. L'autre est magasinier à temps partiel, en deuxième année de BEP de logistique commerciale. Ils ont été interpellés lundi soir en possession de sacs remplis de marchandises provenant d'une superette de Villiers-le-Bel pillée lors des émeutes. Dans les sacs : des confiseries de toutes sortes, des barres de céréales, du chocolat.
Jean-Matthieu, impressionné, raconte qu'il filmait les violences depuis un balcon, avant de descendre rejoindre son frère qui arrivait avec des sacs. "Mais quand vous voyez qu'il y a des émeutes, pourquoi vous descendez et prenez le risque de vous retrouvez là devant nous ?", le coupe la présidente. La voix du jeune commence à se tordre : "J'ai juste pris un sac de bonbons par terre, je suis pas un voyou, je voulais pas rester là, je voulais juste rejoindre mon frère pour qu'il me ramène en voiture." Le frère aîné, lui, reconnaît avoir transporté des sacs et s'excuse auprès de la superette. Le procureur estime le vol en réunion aggravé par le contexte qui "colore" négativement les faits. Il demande cinq mois ferme.
Effarée, l'avocate de la défense juge ces réquisitions "très sévères", d'autant plus que les faits de "vol" ne peuvent être retenus : "Encore pour 'recel' de vol, je veux bien, mais pour vol ? Un de ces jeunes est là pour avoir ramassé un paquet de bonbons, il n'est pas connu des services de police et on sollicite pour lui cinq mois de prison ?" La présidente donne une dernière fois la parole à Jean-Matthieu, paniqué : "Je suis pas venu pour saccager et lutter contre la police, je suis pas un voyou, j'ai jamais eu affaire à la police." Il se met à pleurer : "En garde à vue, je demandais tout le temps ma maman. Si vous me mettez en prison, je ne sais pas ce que je vais devenir !"
BÉNÉFICE DU DOUTE
Le dernier jeune qui se présente est le seul à avoir un casier judiciaire : Noël, 21 ans, a écopé d'une suspension de permis de conduire en 2006 pour conduite sans assurance. Il est agent de sécurité, en CDI à temps partiel depuis cinq mois. Il est accusé d'avoir incendié une voiture, le feu s'étant propagé à deux autres véhicules. Le dossier s'appuie sur les déclarations des policiers qui disent l'avoir vu "s'affairer sur un véhicule en flammes". Le jeune dit être resté dans sa voiture, à fumer une cigarette avec un ami. Mais pour le procureur, les "faits sont constitués" : "Les policiers l'ont reconnu lors de la confrontation. Alors à moins de suspecter le complot partout, il n'y a pas de raison de douter de leurs paroles." Il requiert dix-huit mois d'emprisonnement et le placement sous mandat de dépôt.
Son avocate s'attache alors à démontrer l'incertitude des faits : "Mon client n'avait rien sur lui en rapport avec l'incendie. On a trouvé un bidon d'essence près de la voiture en flammes. Mais on s'en met toujours dessus quand on lance de l'essence comme ça. Or aucun procès-verbal ne dit que mon client sent l'essence. On vous dit qu'il est resté à s'affairer sur la voiture en flammes. Une voiture qui brûle, ça pue, ça imprègne vos cheveux, vos vêtements. Or mon client ne sent rien. (...) Il n'y a rien dans ce dossier qui permette de dire qu'il a mis le feu. (...) Mon client travaille, il n'a qu'une seule condamnation. Est-ce que ça mérite de briser la vie des gens de cette façon-là ?"
Le délibéré sera rapide, un peu plus d'une demi-heure pour les trois affaires. Noël est relaxé "au bénéfice du doute" pour l'incendie de la voiture. Il sourit à son frère et son père venus le soutenir. Les deux frères sont condamnés à trois mois ferme et placés sous mandat de dépôt. On leur met les menottes, ils partent directement en prison. Jean-Matthieu s'effondre, il hurle, pleure : "Mais j'ai rien fait du tout, qu'est-ce que je vais devenir ?" Son émotion ébranle la salle. Cédric est condamné à un an de prison pour avoir jeté des cocktails Molotov. Son regard dur se brise, il s'effondre dans les bras de sa mère.
Aline Leclerc
Magazine France
3 mois fermes pour avoir ramassé 1 paquet de bonbons dans la vitrine défoncée, toujours aussi aveugle la Justice..
Publié le 29 novembre 2007 par Torapamavoa Torapamavoa Nicolas @torapamavoa
Villiers-le-Bel : les premiers émeutiers condamnés sévèrement en comparution immédiate