Quand Luc Besson a annoncé son intention de porter à l’écran les aventures d’Adèle Blanc-Sec (1), les momies dessinées par Jacques Tardi ont dû se retourner dans leur sarcophage, et les fans ont commencé à se faire un sang d’encre. Quoi, c’est Besson, scénariste médiocre et réalisateur n’ayant rien réalisé de transcendant depuis des lustres – les années 1900, au moins – qui allait donner vie à leur héroïne préférée ? Luc Besson, le gars qui filme les dauphins, les ados lilliputiens et les Audi ?
Ben oui… Il y avait donc de quoi craindre le pire quant à la qualité de cette adaptation…
Et pourtant, dès les premières images de ces Aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec version Europacorp, les doutes des amateurs des bandes-dessinées originales seront partiellement balayés.
Après un générique sympathique, plein d’idées, le film démarre par une longue et très littéraire présentation des différents protagonistes de l’histoire, tout à fait dans l’esprit des œuvres de Tardi.
Le scénario part sur de bonnes bases. On se rendra compte par la suite qu’il compile les intrigues de plusieurs aventures de l’héroïne, en effectuant de subtiles coupes, des raccourcis intelligents et de petits compromis ne trahissant jamais le matériau original.
En gros, il est question d’un ptérodactyle tout droit sorti du Jurassique, qui sème la terreur dans Paris, alors qu’Adèle Blanc-Sec est en Egypte pour y « emprunter » une momie, ancien médecin du pharaon, qui pourrait l’aider à guérir sa sœur paraplégique. C’est une course poursuite entre la vie et la mort qui se termine, comme les BD et leur côté « sérial à l’ancienne », par une fin relativement ouverte, qui laisse le champ libre à une ou plusieurs suites…
Seconde bonne surprise, la charte graphique est globalement respectée. Les décors, qui recréent le Paris du début du XXème siècle, sont joliment restitués, les costumes ont également fait l’objet de beaucoup de soin. Et les acteurs ont été subtilement grimés pour ressembler aux personnages, aux traits si particuliers, nés de la plume de Tardi. Mentions particulières à Mathieu Amalric, méconnaissable dans le rôle de l’horrible Professeur Dieuleveult – lunettes noires, mèche brune et dentition infecte – et Gilles Lellouche, affublé d’une grosse moustache et de quelques belles rondeurs pour camper l’inspecteur Caponi.
Et, pour couronner le tout, Luc Besson semble s’être souvenu qu’il n’est pas si maladroit que cela avec une caméra entre les mains et nous offre quelques mouvements virtuoses et de belles idées de mise en scène. Les transitions entre les séquences, petits jeux de coq-à-l’âne, sont particulièrement inventives (même si Besson en abuse et finirait presque par agacer le spectateur) et les cadrages sont soignés, étudiés pour coller aux savants découpages de cases de Tardi.
Au global, Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec est donc une excellente surprise, surtout venant d’un cinéaste dont l’on n’attendait plus grand-chose, perdu entre scénarios puérils et grosses machines pompes-à-fric.
On frôlerait même l’excellence si le film n’était pas alourdi par quelques menus défauts. Par une ou deux scènes aux effets visuels ratés, assez laids, comme la chevauchée d’Adèle à dos de ptérodactyle…
Mais surtout par le choix de Louise Bourgoin pour incarner l’héroïne du film.
Attention, on n’a rien contre cette charmante comédienne, dont nous avons déjà eu l’occasion de vanter les talents par le passé, mais force est de constater qu’elle n’est pas le personnage. Physiquement, déjà. Ceux qui ont lu les BD de Tardi se rappellent qu’Adèle est une fille au sourire rare, au visage assez fermé, parsemé de taches de rousseur. Une Isabelle Huppert (un peu trop âgée ?) ou une Crista Théret (un peu trop jeune ?) auraient mieux correspondu au personnage.
Mais cela n’est pas un défaut rédhibitoire.
Le problème, c’est que si Louise Bourgoin est crédible en jeune femme moderne, au caractère bien trempé et en avance sur son temps, elle doit en revanche forcer son jeu pour paraître plus cynique, plus sarcastique que de nature et coller au caractère ronchon et peu amène du personnage. Et cela se voit un peu trop par moments…
Cela dit, ne boudons pas notre plaisir… Loin d’être le fiasco attendu, Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec est non seulement une adaptation intelligente et fidèle des œuvres de Tardi, mais aussi un bel objet cinématographique, techniquement assez réussi.
Elle donne envie de (re)découvrir la série de bandes-dessinées de Tardi, dont on attend le prochain opus (2), mais aussi de voir Luc Besson continuer de réaliser ses propres films, porté par d’aussi belles ambitions, plutôt que d’écrire des scénarios insipides pour ses copains…
Dernier point : ne quittez pas la salle au moment du générique de fin. Non seulement, vous passeriez à côté des hiéroglyphes représentant les différents membres de l’équipe technique, mais vous rateriez aussi une scène supplémentaire…
(1) : «Adèle Blanc-Sec » de Jacques Tardi – 9 volumes (série en cours) – éd. Casterman
(2) : «Le bébé des Buttes-Chaumont » de Jacques Tardi, annoncé à la fin du tome 9, en cours de réalisation…
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Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec
Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec
Réalisateur : Luc Besson
Avec : Louise Bourgoin, Gilles Lellouche, Mathieu Amalric, Jean-Paul Rouve, Jacky Nercessian, Nicolas Giraud, Philippe Nahon
Origine : France
Genre : adaptation de BD culte
Durée : 1h47
Date de sortie France : 14/04/2010
Note pour ce film : ●●●●●○
contrepoint critique chez : Geek Culture
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