Mourir en travaillant

Par Anaïs Valente
Ils sont partis bosser ce matin, comme chaque matin, depuis des années peut-être.  Ils ont peut-être râlé, car un petit crachin bien belge tombait, et car ils allaient travailler dehors.  Ils ont pris un bon café pour se dynamiser, ont avalé un petit déjeuner complet, qui tienne au corps, histoire d’avoir de l’énergie pour toute la journée.  
Puis ils sont partis, pensant sans doute au week-end qui approchait et à ce qu’ils feraient, avec leur famille, leur épouse, leur petite amie, leur maman, leurs potes, que sais-je encore.
Et ils ont entamé leur journée, en toute confiance.  
Jusqu’à ce que…
Est-ce normal d’aller bosser et de risquer sa vie ?  Est-ce normal de perdre sa vie au travail ?  Est-ce normal de mourir alors que des collègues sont chargés de votre protection ?  Ne sont-ce pas des choses qui se produisaient « dans le temps », du temps des charbonnages, du temps de l’esclavage, du temps de la construction des pyramides ?  
Le risque zéro n’existe pas.  Moi-même je peux me faire faucher chaque matin lorsque je tente de traverser la chaussée bien large et que des automobilistes irrespectueux, pressés et sans scrupules tentent de passer, envers et contre tout.  Je peux périr dans l’incendie du bureau, mourir sous les balles d’un client furieux, être étranglée par un collègue victime d’une crise de délirium tremens.  Mais la nuance est grande : je ne périrais pas à cause de mon activité professionnelle, mais dans le cadre de celle-ci.  Nuance.  De taille.
Ici ils sont morts.  On sait comment.  On ne sait pas encore pourquoi.  C’est ainsi.
Le risque zéro n’existe pas.  Mais j’ai de la peine pour eux, ce soir.
Peine qui ne semble pas partagée par les journalistes de la RTBF1 la Une, qui auront consacré une minute au sujet, après vingt-cinq minutes sur les files dans les écoles (dont je vous parlerai demain) et les problèmes politiques…  ça doit être ça, avoir le sens des priorités.
Comme quoi, on est bien peu de choses.