Les protestations égyptiennes contre les décisions des responsables français s’obstinant, lors des Rencontres de l’image organisées par le CCF du Caire, à maintenir une programmation jugée « pro-israélienne » (voir le précédent billet) sont loin d’être uniques. Les incidents se multiplient, donnant des arguments à ceux qui, dans le monde arabe, considèrent qu’il y a un véritable infléchissement de la politique culturelle française.
En dépit du contrôle assez vigilant que les autorités tunisiennes imposent à la circulation de l’information, certains quotidiens arabes ont relayé les protestations d’intellectuels tunisiens lorsque l’ambassade de France en Tunisie a organisé, en février dernier, le premier débat du projet Aladin. Avec son titre tout droit sorti des Mille et Une Nuits, ce programme, en collaboration avec l’Unesco, a pour but de sensibiliser les populations arabes et musulmanes du pourtour méditerranéen (la Turquie est concernée) à la question de l’antisémitisme.
Un article publié dans Al-Akhbar ironise cruellement sur cette série de conférences et de débats sur l’holocauste qu’organise la nation dont les propres autorités, au temps de Vichy, ont collaboré avec les nazis. Elles n’ont d’ailleurs toujours pas reconnu le rôle des autorités coloniales vichystes lorsque les forces allemandes et italiennes ont envahi le pays en 1942, et que les juifs tunisiens ont été obligés de porter l’étoile jaune. Cinq mille d’entre eux ont été alors envoyés dans des camps de travail. C’est le bey d’Egypte qui prit alors leur défense, et ce sont des Tunisiens tels que Khaled ‘Abd al-Wahab (خالج عبد الوهاب), un riche propriétaire terrien, qui prirent le risque, alors, de cacher chez eux des juifs pour les sauver de la persécution.
Bien oubliée, l’histoire de Khaled ‘Abd al-Wahab fait l’objet aujourd’hui d’une campagne (voir cet article dans Al-Quds al-‘arabi) menée en particulier par le Washington Institute for Near East Studies. L’enjeu est de faire reconnaître l’action de ce « Schindler musulman » qui a risqué sa vie pour sauver celle de ses compatriotes juifs. Malgré les témoignages de certains des descendants des familles protégées, le Yad Vashem a jusqu’à présent refusé d’inscrire dans ses registres le nom de ce « Juste » tunisien.
En Algérie également, la population locale, alertée par ses autorités religieuses, a refusé d’occuper les maisons que les autorités vichystes avaient confisquées aux « nationaux » juifs… Ce qui n’a pas toujours été le cas de colons originaires de la métropole, bien moins scrupuleux…
A l’heure des « devoirs de mémoire » si souvent rappelés en France au sujet des persécutions subies par les juifs, l’histoire de Khaled ‘Abd al-Wahab et des autres « Justes » musulmans est là pour nous dire que cette mémoire est bien sélective et bien oublieuse parfois de ses propres fautes, alors même qu’elle prétend donner des leçons aux autres, qui y entendent les échos d’une certaine morgue coloniale … Elle devrait aussi aider à comprendre que l’histoire du judaïsme dans le monde arabe n’est pas celle de l’Europe. Aux bonnes âmes qui s’inquiètent de voir aujourd’hui prospérer dans certains milieux les traductions arabes des Protocoles des sages de Sion et des autres ouvrages de cette nature, il faut rappeler qu’elles ne font que réutiliser, hélas, les déchets de l’antisémitisme européen.
(Désolé pour le retard : je suis sur un autre fuseau horaire !)