Voilà encore un aventurier français du XIX° siècle qui fera le choix de l’Inde. Nous n’avons pas réussi à trouver beaucoup d’informations sur les raisons qui poussèrent Louis Rousselet à s’embarquer pour Bombay en 1863 à 18 ans. Passionné de cet art nouveau qu’est la photographie Louis Rousselet devient photographe professionnel, et photographie l’Inde des Radjahs. Cette aventure dure 6 ans. Il raconte celle-ci dès 1875, dans L’Inde des radjahs, puis dans un roman, Le Charmeur de serpents, paru en 1913, et à son retour en 1874 dans le journal Le Gaulois, notant le rôle important des photographies, « pages inimitables de vérité archéologique ».
Il a été le responsable de la section de sciences anthropologiques, à l’exposition de 1874. Il a écrit plusieurs romans inspirés de son voyage. Félicité par la Société de Géographie et la Société d'Anthropologie à son retour, il a aussi fait de nombreuses communications sur les Indes anglaises mais n'est jamais retourné en Inde.
Entre 1863 et 1868, Louis Rousselet parcourt l'Inde centrale, encore peu soumise à la colonisation britannique, pour ensuite redescendre vers le sud depuis Delhi jusqu'à Calcutta, en passant par la vallée du Gange et Bénarès. Le récit de ce voyage paraîtra plus tard sous la forme de livraisons périodiques dans la collection Le Tour du Monde publiée par la maison Hachette dont Rousselet restera un collaborateur tout au long de sa carrière.
C'est la fraîcheur et l'ambiguïté du regard de l'Occidental en cette période de colonisation en marche qui fait tout l'intérêt des photographies et des récits du jeune Français, situé ainsi au cœur de l'affrontement des cultures.
Son livre, « l’Inde des Radjahs » est plein d’histoires intéressantes, amusantes ou surprenantes. Voici un morceau choisi à propos de la corruption qui sévit en Inde.
"A peu près vers cette époque, le trésor royal menaçait d'être totalement épuisé par les dernières dépenses et surtout par l'achat de l'Étoile du Sud et autres diamants, qui avaient coûté plus de six millions. Le roi chercha un moyen de le remplir sans imposer de nouvelles taxes au peuple, et la ruse qu'il imagina fut aussi efficace qu'originale, La corruption des employés de toute sorte est une chose tellement établie dans les principautés indiennes, qu'elle y est presque ouvertement reconnue; bien des appointements recherchés sont en eux- mêmes insignifiants et. ne tirent leur importance que du vol. Il vint à l'esprit du Guicowar que les sommes énormes ainsi reçues par ses fonctionnaires pouvaient être considérées comme ayant été soustraites au revenu royal. Il fit donc distribuer à tous ses karkhouns (employés de l'État) la proclamation suivante : « Sa Hautesse a vu avec regret que la corruption s'est introduite dans, ses administrations, mais elle espère que cet état de choses cessera promptement. Elle conseille aux employés qui se sont laissé corrompre, de verser dans le trésor royal les sommes reçues de cette façon depuis dix ans ; Sa Hautesse, considérant cette restitution comme une amende honorable, oubliera tout le passé; cependant si quelque karkhoun négligeait de rembourser la totalité des « pots de vin », Elle se verra dans la triste obligation de sévir... ».
"Cette annonce produisit un vrai coup d'Etat dans toutes les branches de l'administration ; tout le monde poussa les hauts cris, les journaux eux-mêmes essayèrent de prendre la défense des karkhouns. Mais il fallut s'exécuter, et au bout de quinze jours, il fut remis au trésor plus de vingt-sept lakhs de roupies sais, ou environ sept millions de francs. Khunderao me raconta l'affaire en riant. Ses ministres, le croyant secrètement informé, étaient venus lui restituer des sommes sur lesquelles il n'avait pu compter."
Plus loin dans ce livre il raconte cette histoire de complot et son cruel épilogue.
"En dehors de ses possessions du Goujerate, le Guicowar possède la presque totalité de la vaste péninsule du Kattywar, comprise entre le golfe de Gambaye et le Rann de Katch. Une partie de ce pays est habitée par une race sauvage et guerrière, celle des Wâghurs, qui, poussée à bout par les gouverneurs envoyés de Baroda, s'est soulevée. La guerre dure déjà depuis plusieurs années et le roi actuel n'a pu réussir à y mettre fin. Il y a quelque temps un baron wâghur vint à Baroda pour parlementer; il fut très-bien reçu, mais Khunderao refusa d'entamer aucune négociation avec les rebelles. Le chef résolut alors de débarrasser sa patrie de l'oppression en assassinant le Guicowar; le roi fut informé du complot et le Wâghur, alors au palais, n'hésita pas à se précipiter du haut de la terrasse. Par un curieux hasard, il arriva à terre sans accident et monta sur un cheval qui l'attendait à la porte ; mais le Guicowar cria aux gardes arabes de le tuer et ceux-ci l'abattirent à coups de sabre. Le complot avait aussi pour but de faire évader de la prison d'État quatre chefs wâghurs qui y étaient enfermés depuis plusieurs années; ils s'échappèrent, mais les cavaliers du roi les reprirent avec celui qui leur avait ouvert les portes, un serrurier de la ville, Leur jugement fut court, les chefs furent décapités chacun devant une des portes de la cité et le malheureux serrurier fut condamné à périr par le « supplice de l'éléphant ».
"Ce supplice est un des plus affreux que l'homme ait imaginés. Le condamné, les pieds et les mains liés, est attaché par la ceinture à une corde fixée aux jambes de derrière d'un éléphant. Celui-ci est alors lancé au grand trot à travers les rues de la ville et chacun de ses pas imprime à la corde une violente secousse, qui fait bondir le corps du supplicié sur le pavé de la route. Le seul espoir qui reste au malheureux est d'être tué dans un de ces chocs; sinon, après avoir traversé la ville, il est détaché et, par un raffinement de cruauté, un verre d'eau lui est présenté à boire. Puis sa tête est placée sur une borne et l'éléphant bourreau l'écrase sous son énorme pied. "