On se souvient des souffrances que portait l’âge industriel : la dureté de l’usine, le harassement des gueules noires, l’angoisse déjà à l’apparition des premiers chemins de fer mais aussi l’enthousiasme devant ce monde nouveau que célébraient Cendras et les futuristes, relayé par l’idéologie du Progrès et revendiqué par le Socialisme.
On n’a sans doute pas mesuré combien l’entrée dans l’Ère technologique nous coupait de ce modèle ancien, que, par exemple, la politique, ne pouvait plus être ce qu’elle était depuis le Siècle des Lumières. Et pourtant nous ne possédons aucun autre modèle identifiable d’un système politique. Voici ce qui devrait pourtant être le centre des préoccupations de nos philosophes et ce sur quoi devraient réfléchir ceux qui nous gouvernent.
Car le monde occidental, en s’aliénant toujours d’avantage à la technologie, souffre de ne plus être arrimé à un réel perceptible par l’homme. L’écart s’accroît entre notre capacité d’imaginaire et la vitesse des sciences qui nous donnent ce sentiment de ne plus rien maîtriser, surtout quand le réel revient en force dans nos vies par l’impact de la nature ou du social. Le virtuel supplante le réel, l’avenir lui-même est corrodé par les supputations, le vertige des possibles quand l’humain et la nature demeurent cette réalité ultime qui s’impose, fragile et de plus en plus frappée d’angoisse au fur et à mesure que les technologies deviennent plus pointues et échappent à toutes nos tentatives d'interprétation, d'anticipation et même de représentation.
Historiquement, le point de rupture intervint sans doute avec l’énergie atomique et cette intuition que désormais l’homme pouvait être dépassé, voire anéanti, par ce qui germait dans ses éprouvettes. D’où ce réflexe de peur dont l’écologie fut le symptôme. Une peur d’autant plus mesurable qu’elle n’était plus liée à un au-delà mais bien à une réalité tangible qui, paradoxalement, nous échappait de plus en plus : la relation de l’humain à la nature.
Un certain nombre d’événements récents traduisent l’incapacité des politiques à gérer les conséquences d’une technologie qui leur est devenue a-synchronique. Ils peuvent s’en servir, il peuvent, écologistes ou pas, en discuter les bienfaits ou les dangers, ils sont tous déroutés, hors circuit quand la réalité s’impose : Les tremblements de terre, les tsunamis et le volcanisme sont hors contrôle et les désordres climatiques, liés ou non à la pollution, sont de peu d’importance par rapport aux caprices de la Terre. Quid d’une éruption par rapport à la destruction de la couche d’ozone ?
La nature n’a que faire de nos programmations et de notre orgueil technologique. Elle nous renvoie le miroir de notre humanité refoulée dans un individualisme dévastateur, celui des écrans, des tablettes tactiles, des codages et des flux. Le "Tout communiquant" n’apparaît plus que comme une cellule d’isolement dans laquelle nous sommes confinés dans une sociabilité virtuelle, où le buzz fait fonction de discours politique, où le fond disparaît devant la puissance de la forme, les coups de butoir de la marque, du look, du paraître. Impossibilité de penser désormais en terme de société mais seulement en terme de groupes individuels, de tribus, de lobbies. Comme si la culture était fractionnée par l’assaut de ces communautarismes et nous interdisait désormais tout idéal commun, tout intérêt collectif.
Nos politiques traduisent parfaitement cet affolement par rapport à un futur sur lequel ils n’ont plus aucune prise sauf à utiliser la peur de l’avenir en disant n’importe quoi pour servir les intérêts bien présents de quelques-uns. Le débat faussé sur les retraites nous en fournit l’exemple. Mais on pourra remarquer leur désarroi et leur mutisme quand la technologie menace et que la nature se rappelle à eux. Gesticulations verbales ou surréaction sont les seules réponses qu’ils apportent. Ainsi en fut-il pour le « bug informatique » de l’An 2000, pour la récente gestion de la grippe A, vis-à-vis des ondes, des nanotechnologies, des OGM, du clônage et autres « menaces » dont chacun est incapable de mesurer les conséquences. Comme si l’univers technologique s’était emballé au point d’exister virtuellement en pouvant, presque idéalement, s’abstraire de toute dimension humaine.
Voici donc nos politiques condamnés à avancer en aveugles, claudiquant entre l’alarmisme ou la confiance, ballotésEvoquant un jour le principe de précaution, le lendemain faisant marche arrière. Les errances caricaturales du sarkozime sont aussi la vérité de l’ensemble de la classe politique, et partout dans le monde. Et d’ailleurs, même si on le voulait, pourrait-on sortir de l’ère technologique ? La fin de la mondialisation afférente serait aussi une régression terrifiante dans le domaine de la santé et de la nutrition.
Comment donc gérer cette ère technologique face à l’incapacité des Etats à trouver des points de convergence quand les modes et niveaux de développement sont tellement inégaux ? La politique à laquelle personne ne croit plus vraiment tant nous sommes abandonnés par elle et prisonniers de nos individualismes, doit se reformuler, penser, parler, anticiper, proposer. Il ne s’agit pas de fixer un cap mais, de façon beaucoup plus ambitieuse, de donner une nouvelle écriture à l’Histoire.
Nous en sommes loin. Tellement loin que ces mêmes politiques sont incapables d’être les gestionnaires de la première crise venue. Qu’un volcan mette en péril le trafic aérien, qu’il menace l’économie et là où nos politiciens sont d’ordinaire si volubiles, libéraux, socialistes ou écologistes, on ne les entend plus. Comme si, jamais, ils n’avaient pris en cause la dimension humaine de la nature. Comme si enfermés dans leur choix ou leurs convictions, oscillant entre pessimisme ou optimisme, réalisme ou messianisme, ils étaient incapables d’agir sur un monde technologique.
Peut-être parce qu’en elle-même l’ère technologique interdit le politique. On a voulu détruire les Etats, laisser libre cours aux « flux » commerciaux devenus financiers, casser services publics et solidarités sociales. Il faudrait donc désormais se plier à ce flux technologique qui deviendrait une loi en soi, une forme fantasmée de nature double dans laquelle l’humain ne serait plus même nécessaire.
La disparition du politique peut venir d’un volcan. Ou, sa résurgence, dans cet étrange morceau de l'Internationale... "La raison tonne en son cratère. Nous ne sommes rien soyons tout."
entre leur conscience morale et des intérêts bien réels et souvent égoïstes.