Trois grandes trames parcourent le livre, du début à la fin.
1) L'histoire du Conseil Constitutionnel est d'abord l'histoire de sa lente et progressive institutionnalisation. Voulu par le Général de Gaulle comme un organe de contrôle de l'activité parlementaire trop précaire et dangereuse à ses yeux, le Conseil s'inscrit contre la tradition démocratique française. Protocolairement secondaire, fragile et soumis à la volonté du Général, le Conseil a fini par gagner son indépendance et par s'imposer comme un élément incontournable de la vie politique et judiciaire française.
2) La vie du Conseil est également celle de ses membres, des réseaux qu'ils fréquentent, des services à rendre, des amitiés passées. L'assemblée réunit les ennemis d'hier, les nouvelles fonctions créent de nouvelles relations. Le jugement en droit se fraie un chemin dans ce petit théâtre des nominations, des jeux de pouvoirs et d'influence, des compétences diverses de ses membres, les uns "politiques", les autres "juristes". Le plus intéressant est qu'il y arrive.
3) Enfin, et c'est peut-être cela le plus intéressant de tout le livre, Dominique Schnapper souligne avec brio le statut profondément hybride du Conseil Constitutionnel, au carrefour des institutions politiques (Parlement et représentation nationale) et des institution juridiques (Conseil d'Etat, Cour de Cassation). Les Conseillers sont nommés par les Présidents de la République, de l'Assemblée Nationale et du Sénat : ce ne sont pas des magistrats et le Conseil n'est pas à proprement parler une "cour de justice" contrairement à ses homologues étrangers. Mais le CC est un peu plus qu'un "club" et il participe de fait à l'élaboration du droit. Autant dire que le Conseil était, pour une sociologue, le poste de travail rêvé, exactement situé au point de rencontre des deux grandes utopies créatrices de la démocratie, l'utopie de la représentation (toute légitimité vient du suffrage universel du peuple souverain) et l'utopie du droit (le sécurité et la continuité du droit sont une protection contre l'arbitraire, et parfois le meilleur recours du peuple contre lui-même). Si tout pouvoir démocratique tire sa légitimité du suffrage universel, les institutions ne peuvent pas non plus dépendre uniquement des aléas des "humeurs" du peuple, sous peine de tomber dans une autre forme de despotisme. La conclusion du livre est à elle seule un petit bijou d'analyse et mériterait de paraître sous forme d'un article à part.