Je suis immédiatement frappé par le faible nombre de personnages par rapport aux deux précédents romans. L’histoire débute sur la volonté d’une femme, Nicole Fischer, de revoir deux de ses anciens prétendants. Le premier s’appelle Charles Pontiac, un SDF. Le second : Jean-François Pons. Ce dernier s'occupe d'une plantation d'hévéas en Malaisie dont le propriétaire, originaire de Tulle, vient de s'éteindre. Arrivent alors les héritiers auxquels Pons, surnommé Duc, veut mener la vie dure afin de ne pas être écarté de son « royaume ».
Les couples affluent encore dans ce roman : Pons-Pontiac, Laure-Justine – la fille de Nicole -, Raymond-Luce Jouvin – les héritiers -, Toon et Van Os – deux malfrats -… Le livre raconte comment Pons essaie de faire acheminer des armes dans la plantation malaise. La mutinerie s’échafaude à Paris. Malaisie-France : deux endroits, deux territoires, deux histoires qui n’en font qu’une.
Dans cet ouvrage paru en 2006, Christine Jérusalem parle de L’équipée malaise comme le deuxième volet d’une trilogie. Laquelle débuterait avec Cherokee – référence au roman policier – et s’achèverait avec Lac – référence au roman d’espionnage -. L’équipée malaise fait plutôt référence au roman d’aventure.
On notera que cette aventure ne se déroule pas le mieux du monde. Jean Echenoz nous le signale d’ailleurs quand il fait embarquer certains de ses personnages dans un bateau répondant au nom de Boustrophédon. Il s’agit d’une écriture primitive dont les lignes vont sans interruption de gauche à droite et de droite à gauche. On appréciera ce mouvement qui aboutit au surplace. Les personnages, dont certains sont très ridicules, ont le côté attachant des losers comme cette Odile Otéro – une victime d’un hold-up qui a des cousins à Pontault-Combault -. Odile Otéro : OO. Double zéro.
Pour reprendre les mots de Christine Jérusalem, les personnages se déplacent mais font du surplace dans l’enquête. Le mouvement est contrarié. Signalons à ce propos que le terme de « malaise », dans le titre, peut être pris dans sa seconde acception puisque la traversée tourne court. Les plans semblent contrecarrés pendant une partie de l’histoire. Une mutinerie éclate en effet à bord, qui n’est pas sans évoquer une autre révolte tout aussi connue, celle de l’équipage du Bounty.
On retrouve d’ailleurs de nombreuses références au cinéma – rappelons tout de même que Jean Echenoz a coécrit le scénario de Le rose et le blanc de Robert Pansard-Besson, un film de 1978 -. Cinéma encore quand Paul attend Justine – près d’une salle – ou encore ici avec cette comparaison très pince sans-rire :
un faux air de Randolph Scott leucémique
Référence au 7è art, référence aussi, comme dans Cherokee, au petit écran. L’un des personnages, Bob, fait en effet une apparition dans une émission de télévision. Tout cela conduit Christine Jérusalem à dire que le réel est obstinément perçu à travers le prisme d’images télévisuelles et cinématographiques. Elle parle même du portrait d’une société mise en spectacle. Jean Echenoz joue avec cela pour interroger – peut-être – la notion d’identité dans nos sociétés.
J’ai goûté avec délice certains détails distillés par l’auteur. Ainsi quand Paul consulte un géomancien ayant pour patronyme Bouc Bel-Air qui lui annonce une prochaine rencontre avec un homme blond. Hommage, toujours, au cinéma, à son mythe, la blondeur – on retrouve cela dans de nombreux romans – selon Christine Jérusalem pour qui Jean Echenoz donne au vrai l’apparence du faux. Les détails hautement irréalistes sont ; ajoute-t-elle, des images plus fortes que les images réelles. Les limites du réalisme seraient donc repoussées.
Dans la prose d’Echenoz j’aime – j’en ai déjà parlé – décidément les incises du narrateur qui semble vouloir se rappeler avec tact à notre bon souvenir. Un narrateur qui sait aussi jouer aussi avec son propre rôle :
Charles sortit de sa poche un des paquets de tabac qu'il lui tendit avec une boîte – des petits pois je crois.
Et qui semble vouloir rétablir la vérité après nous avoir emmenés sur une fausse route :
Passons sur la surprise, passons sur les prophéties de Bouc.
Le dialogue entre le narrateur et le lecteur fonctionne à merveille.
Je l'ai su par Briffaut. On aurait pu le voir avant, Briffaut, il gagne à être connu.
Le rétablissement des faits, de la vérité peut se faire en quelques mots seulement. Comme s’il était clair depuis le début que le narrateur sait que le lecteur sait depuis longtemps :
Pas plus de Bergman que de.
Plus loin :
Tout sera vraiment réglé dans quelques jours.
J’éprouve toujours un doux abandon à la lecture de Jean Echenoz. Doux comme le jazz qu’il nous donne à écouter, cette mélancolie cool pour reprendre les mots de Sjef Houppermans dans un ouvrage auquel je ferai référence dans une prochaine chronique.