Un an - comme Au piano et Ravel - échappe au montage alterné.
Il est question ici d’une jeune femme, Victoire – encore ce prénom – qui découvre dans son lit le corps de Félix. Commence alors une fuite qui l’emmène d’abord à Saint-Jean-de-Luz. Elle trouve temporairement refuge dans un petit pavillon dont la propriétaire donne lieu à une description où, encore une fois, beauté de la langue et distanciation cocasse sont étroitement mêlées. Ce qui contribue à donner aux romans de Jean Echenoz une couleur et un rythme tout à fait particuliers :
Visage clair et vêtements clairs, lèvres souriantes et cabriolet corail ton sur ton, cette propriétaire nommée Noëlle Valade semblait flotter à quelques centimètres au-dessus du sol malgré son imposante poitrine mais il en est ainsi des imposantes poitrines, certaines vous lestent et d'autres vous exhaussent, sacs de sable ou ballons d'hélium, et sa peau translucide et lumineuse dénotait un végétarisme strict.
Dans son petit pavillon situé entre un golf et l’océan, Victoire reçoit les visites de son ami Louis-Philippe et entretient une relation intime avec Gérard qui finira par lui voler son argent. L’argent n’est d'ailleurs pas la seule chose qui disparaît. La jeune femme se fait aussi voler son vélo. Ces larcins ne l’empêchent pas de poursuivre sa fuite. Elle se rend ensuite à Mimizan, à Toulouse.
Cette femme qui fuit est en train de tomber socialement. Progressivement. Faut-il pourtant en conclure, comme l’avance Sjef Houppermans – cf chroniques précédentes – que Un an cloue au pilori les excès de la société postcapitaliste ? Je trouve que le commentaire est trop catégorique même si, en effet, l’auteur fait, comme d’habitude, quelques références à la société contemporaine en particulier lorsqu’il évoque les arrêts interdisant la mendicité.
Puis il advient que, dans nombre de municipalités, les citoyens moins que les élus se lassèrent de voir des vagabonds, souvent accompagnés d'animaux familiers, investir leurs cités bien peignées, vaguer dans leurs parcs, leurs centres commerciaux, leurs quartiers piétonniers, vendre leurs magazines misérables aux terrasses de leurs si jolies brasseries.
Victoire va commettre elle aussi quelques vols avec des personnages que l’on retrouve aussi par « couples ». Citons ici Gore-Tex et Lampoule – encore un questionnement sur l’identité dans nos sociétés – ou encore Castel et Zero Mostel Poussin (tous deux exilés à la campagne après avoir été licenciés de leur entreprise de composants électriques) en face desquels Victoire se retrouve à la suite d’un accident.
Castel et Poussin répondaient tous deux au prénom de Jean-Pierre donc il serait plus simple, envisagea Poussin tout en remontant l'oreiller de Victoire à son réveil suivant, pendant que Castel faisait cuire le lapin, de nous appeler plutôt par nos noms.
Plus tard, Victoire tombera à nouveau sur Gérard et Louis-Philippe qui lui annonce la fin de l’affaire Félix.
Nous retrouvons, nous, lecteurs, les références désormais connues au jazz…
L'installation quadriphonique délivrait, réglée au plus près, des arrangements de Jimmy Giuffre dans une odeur de cachou, de tabac de Virginie où s'immisçait un lointain parfum de femme disparue.
… ou encore à la rue de Rome :
Elle prit encore à gauche dans la rue de Rome qu'elle descendit, coups d'œil aux violons dans les vitrines, jusqu'à la gare.
La fin du roman est aussi la fin de la chute pour Victoire. L’auteur montre une nouvelle fois qu’il accorde une attention toute particulière au problème d’identité. Car Félix réapparaît, comme si de rien n’était. Et Jean Echenoz nous le remet en scène en un claquement de doigt, sans que jamais cela ne soit choquant. Comme si cette réapparition était on ne peut plus naturelle. Comme s’il tenait à rappeler avec humour la toute puissance de l’écrivain :
Victoire, souriant à Hélène, s'abstint de demander à Félix comment il n'était pas mort, ce qui eût risqué d'infléchir l'ambiance, et préféra commander un blanc sec.
Avec Jarry, j’ai découvert que la manière d’écrire était au moins aussi efficace que le récit dit Jean Echenoz dans Le Magazine littéraire – N°453 -.
Nous en avons là encore une preuve éclatante.
Je rejoins Sjef Houppermans lorsqu'il écrit que ce livre est davantage un témoignage qu'une biographie. Un témoignage de respect pour le patron historique des éditions de Minuit dont nous avons ici, indirectement, un aperçu de la personnalité :
Il donne des ordres et se permet d'imaginer qu'on ne les exécute pas.
Au fil des pages, on obtient quelques détails liés à la sortie de livres de Jean Echenoz. L'auteur raconte par exemple que, pour Cherokee, il a reçu de nombreuses lettres de protestation d'orthodoxes russes fréquentant la rue Daru. On n'apprendra pas grand chose sur la rencontre avec Beckett mais là n'est le plus important.
Je trouve en effet que l'humilité de Jean Echenoz apparaît pleinement ici. Ses premiers pas dans la maison d'édition parisienne sont racontés sans artifice, sans volonté, a priori, de refaire l'histoire. Il y a des hésitations, de la peur, de l'admiration, de la déception, de la joie. Il est fait aussi mention d'autres hommes de lettres dont j'aime les romans, comme Jean-Philippe Toussaint.
Si j'utilise ce mot d'hommes de lettres, c'est à dessin. On apprend en effet ici que Jean Echenoz n'aime pas le mot d'écrivain.
Tout cela me fait penser à la définition que Jean Echenoz faisait de lui-même dans le Dictionnaire des écrivains contemporains par eux-mêmes : « Jean Echenoz, né le 4 août 1946 à Valenciennes. Études de chimie organique à Lille. Études de contrebasse à Metz. Assez bon nageur. »
Les données factuelles sont fausses.
On y est habitué.