Si vous ne connaissez pas les écrits de Christoph Hein, voici un aperçu rapide de quelques-uns de ces romans édités chez Métailié.
Le personnage principal se prénomme Claudia. Cette femme de 39 ans, divorcée, exerce le métier de médecin dans la République Démocratique Allemande. Le choix de Christoph Hein de choisir un personnage principal féminin est donc assez ancien.
Claudia entretient une relation avec son voisin de pallier, Henry, un architecte marié. Sans parler de huis-clos, on peut dire que ce roman se focalise sur un nombre très restreint de personnages et de lieux. Il y a assurément ici une dimension théâtrale très forte, ce qui n'est pas surprenant en soi puisque Christoph Hein est n'est pas que romancier. Il est aussi dramaturge – et essayiste -.
Claudia est un personnage qu'il est assez difficile à appréhender. L'auteur la décrit comme animée d'une espérance qui rend patient. Mais espérance de quoi ? D'une rencontre, d'un lien social ? Pas sûr, à lire les lignes suivantes :
Je n’ai plus envie de sonder jour après jour des visages, qui n’ont pour tout lien avec moi que leur présence permanente. Immuable intimité qui me tient à sa merci. Je préfère mon rapport plus discret avec les meubles de mon appartement. Ils ont moins d’exigences. Leur présence a le charme de la noblesse. Mais cela aussi m’est égal.
C'est le roman où j'ai le plus senti la référence à la défunte RDA et à son climat pesant, angoissant, étouffant. Et pourtant – et c'est un tour de force chez cet auteur – tout est effleuré. Christoph Hein n'a pas besoin de signifier en permanence que l'action se déroule en Allemagne de l'Est, un état dont je lis une critique très fine ici :
La vie considérée comme un état clinique : des mots, des gestes, des sentiments jugés exclusivement comme une déviance du comportement au regard de la terminologie d’une norme abstraite qui prétendrait tout expliquer.
Plus loin, il y a cette phrase de Claudia qui me semble poser une interrogation subversive – si l'on se remet dans le contexte de l'époque – sur la dualité de la liberté – collective, sous-entendu respectueuse de l'ordre établi et individuelle, autrement dit petite-bourgeoise selon les codes en vigueur à l'époque en RDA - :
J’étais en colère parce que je constatais que j’étais prête à renoncer à moi-même.
Un passage m'a fait penser à Paula T. une femme allemande. C'est quand Christoph Hein interroge la notion d'art...
Le seul sujet en art qui vaille la peine, c’est l'asocial, le marginal.
... au point que j'ai pensé, comme d'autres lecteurs, qu'il pouvait y avoir une parenté possible entre Claudia et Paula.
Voici le genre de personnage dont je n'aimerais pas croiser le chemin. Le narrateur, Manfred Wörle, est un avocat. Accusé du meurtre d'un certain Bernhard Bagnall – pour lui, il s'agit d'un homicide nécessaire - il écrit à celui qui va assurer sa défense lors du procès, tout en lui laissant le soin d'utiliser le moyen de défense qu'il juge nécessaire.
Le récit est un flash-back sur la vie de Manfred Wörle, homme bien peu scrupuleux et prêt à tout au seul principe que la fin justifierait les moyens. Ce retour sur son itinéraire personnel permet de comprendre ses origines : un père qui tenait une usine de confiserie à Stettin, sa fuite vers l'ouest et le refuge chez un cousin qui refuse d'accueillir ce parent. Et puis Wörle raconte la naissance d'un demi-frère, qu’il ne cessera d'appeler le bâtard. Tout cela a « construit » le jeune homme qui cherche constamment son profit immédiat.
Et maintenant je voulais jouer, je ne voulais pas travailler à l’amélioration des règles.
Dans la même veine, quelques pages plus loin :
En ce sens un sportif est aussi un joueur. Il se présente pour gagner, mais la victoire elle-même n’a pas de valeur pour lui, car elle confirme quelque chose qui dans l’instant suivant est remis en jeu.
Ce joueur qui veut avant tout connaître le goût de l'échec s'engage en politique. Plus exactement, il travaillera avec des hommes politiques.
Il s'agit d'un portrait sans concession d'un individu sans limite et à la recherche permanente de plaisir ludique puisqu'il aime jouer avec la vie des autres. Une fois son procès gagné, le narrateur décide alors de s’attaquer à son avocat.
Un homme retrouvé mort dans un bois. 5 narrateurs évoquent le défunt et montrent à travers leur récit leur courage, leur lâcheté, leur renoncement, leur petitesse ou leur héroïsme. Kruschkatz le maire, le docteur Spodeck, Gertrud Fischlinger, Marlène et Thomas font parfois penser aux protagonistes de Six personnages en quête d'auteur. En fait, ils ressemblent davantage à ceux que nous croisons tous les jours. A moins qu'ils ne finissent par former un seul et même individu dans ses contradictions, sa bassesse, sa hauteur. C'est peut-être un miroir de ceux que vous et moi sommes en fait : des personnalités dangereusement contradictoires.
Incontestablement le chef d'œuvre romanesque de Christoph Hein.
Ancien ingénieur licencié, Willenbrock s'est reconverti dans le commerce de voitures d’occasion. Avec sa femme Suzanne qui tient un commerce florissant, Willenbrock arrive à joindre les deux bouts. Mais tout change dans cette l'Allemagne orientale qui vient de passer sans transition du communisme au capitalisme le plus sauvage.
Willenbrock va être victime de vols répétés de voitures. Christoph Hein montre comment le sentiment de violence naît progressivement chez un homme qui ne comprend pas les changements sociétaux. Le personnage principal va d'abord faire appel à un vigile qui s'avèrera bien impuissant face aux receleurs.
C'est une « merveilleuse » histoire sur la période qui suit l'écroulement du Mur de Berlin. Certains critiques littéraires ont d'ailleurs qualifié l'auteur de « chroniqueur d'une époque incertaine ». Et cette époque incertaine, qui de mieux qu'un Allemand de l'Est pouvait la décrire aussi finement ?
Dans ce livre, d'autres personnages jouent un rôle important comme Jurek, l'assistant de Willenbrock, un Polonais et bien sûr Krylow, un client russe qu'on imagine volontiers appartenir à une petite mafia locale, quand on l'entend prononcer, sans vergogne, ces mots :
La vie économique est pleine de miracles.
Dans ce monde nouveau, Willenbrock croise Geissler et Feuerbach, des anciens collègues de travail qui font maintenant de la politique. Feuerbach, oui, un homme qui, en son temps, avait fait un rapport en haut-lieu sur Willenbrock, l’empêchant ainsi de pouvoir se rendre à l’étranger.
Christoph Hein excelle ici dans l'art de passer au scanner une société qui prend des airs de jungle sans foi ni loi.
Un livre à conseiller à tous ceux qui étaient en âge de comprendre cet immense bouleversement que constitua, dans l'histoire contemporaine, cette fameuse année 1989.