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La bonne main

Publié le 20 avril 2010 par Didier54 @Partages
La bonne mainPendant longtemps, chaque matin, je n'en revenais pas. Yeux épatés, mains délicates. Toucher l'objet, avec douceur, lenteur. Le renifler. Le couver du regard. L'englober.
J'avais devant moi le journal. Du jour.
Pas que des feuilles de papier noirci.
C'était comme un trésor chaque matin déposé.
Un miracle chaque jour renouvelé.
Et j'en étais un des acteurs.
Avaient pris forme dans la nuit les textes pondus, les idées développées, les échanges réalisés, les photos prises. Les imprimeurs avaient pris le relais. Des paquets avaient été préparés. Des camions chargés. Des kilomètres parcourus. J'appartenais à cette chaîne, j'en éprouvais mieux que satisfaction.
Je ne voyais pas le support à épluchures de pommes de terres ou l'allume feu.
Je voyais une œuvre collective, toutes les étapes qui avaient conduit à la création de cet objet, je savais le boulot des uns, des autres, cette convergence qui remettait chaque matin l'ouvrage sur le métier et qui chaque soir donnait naissance à un petit nouveau.
Il y avait un côté magique, vraiment.
En même temps que la douce sensation de participer d'une aventure majeure.
C'était un temps où le net ne dématérialisait pas l'information.
Un temps où le journal avait de la valeur.
Un temps où ceux qui le lisaient pensaient que c'était vrai puisque c'était dans le journal.
J'avais eu la chance de débuter ce métier au coeur de la fournaise. A deux pas de l'imprimerie. Les bruits, les odeurs, les différentes fonctions m'avaient été présentées, j'en avais partagé les temps, j'en avais compris les importances. J'adorais me sentir maillon de cette chaîne si efficace.
J'avais rédigé à une époque un rapport de stage pour la Fac et je l'avais intitulé Le miracle permanent.
C'était cela, pour moi, un quotidien. Un miracle permanent.
Je garde cette tendresse.
L'autre jour, préparant un barbecue, utilisant quelques pages du Telegramme, j'eus cette pensée : Désolé, les gars.
On se demande souvent si les objets inanimés ont une âme. Je crois que oui pour peu qu'on les regarde. Qu'on s'essaie à songer à celles et ceux qui ont permis à celui-ci d'être.
On y voit la (bonne) main de l'homme. Parfois des gouttes de sueur. Plus ou moins de talent. De la patience.
Regardant un bord de mer l'autre jour, un jardin, une maison en construction, une peinture, je me disais que chacun devrait pouvoir ressentir cela dans son domaine.

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