La réforme de la procédure pénale illustre bien la démarche sarkozyenne: une décision unilatérale de Sarkozy, une commission qui valide, une ministre qui rame; Le coup de grâce n'est pas encore venu. Mais la Cour de Cassation vient de désavouer, il y a trois jours, l'une des mesures phare de Nicolas Sarkozy.
Première étape, la surprise du chef
Lors de ses voeux au monde judiciaire en janvier 2009, le monarque surprend tout le monde en annonçant seul, et avant la remise des conclusions d'une commission, sa décision de supprimer les juges d'instruction. A force de réformes réduisant leur périmètre depuis des décennies, ces derniers n'instruisent environ 4 à 5% des affaires judiciaires, parmi les plus sensibles. Quelques mois plus tard, on apprend que Sarkozy entend aussi réduire le délai de prescription. Ou plutôt, il veut les allonger (de 10 à 15 ans pour les crimes et de 3 à 6 ans pour les délits passibles de peines d'au moins trois ans de prison), mais en les faisant débuter à partir du moment où l'infraction est commise, et non pas à partir du moment où elle est découverte.
En janvier 2009, Nicolas Sarkozy surfe sur des dérapages plus ou moins récents, comme le scandale d'Outreau ou l'affaire de Filippis (du nom d'un journaliste de Libération violemment arrêté). On s'interroge: qui suggèrerait de supprimer les médecins à cause des erreurs médicales ? Le monarque explique, devant des magistrats médusés, qu'un juge ne peut à la fois conduire une enquête et en garantir son impartialité. Soit. Entend-il pour autant confier une plus grande indépendance aux magistrats du parquet, actuellement sous les ordres du Garde des Sceaux et qui vont hériter de la totalité des instructions ? Que nenni ! L'avocat-blogueur Philippe Bilger, favorable à la supression du juge d'instruction, reconnaissait ainsi que «nous étaient proposées seulement une enquête sous l'égide du procureur, la création d'un juge de l'instruction et une audience collégiale pour le placement en détention provisoire. On passerait d'un inquisitoire entier à un accusatoire tronqué.»
Seconde étape, la commission valide
Rachida Dati, alors Garde des Sceaux, avait installé une commission d'experts, présidée par Claude Léger. En son sein, on y retrouve des proches du président français: Thierry Herzog, avocat de ... Nicolas Sarkozy; un adjoint au sous-directeur de la police judiciaire au ministère de la défense d'Hervé Morin; Me Hervé Lehman, avocat récent d'un sénateur UMP, et même Gilles-Jean Portejoie, avocat de Jacques Mellick, de Bernard Tapie, Kofi Yamgnane ... et de Johnny Halliday. Et deux autres membres ont été promus par le ministère de la Justice, depuis leur nomination à cette commission.
Cette commission a été complètement grillée par le Monarque. On appelle cela de la fausse concertation, une hypocrisie de communication. Sans surprise, la Commission valide en septembre les recommandations de Nicolas Sarkozy. Dans un grand élan d'indépendance d'esprit, elle précise qu'elle ne souhaite pas de rupture du lien hiérarchique entre pouvoir éxécutif et magistrats du Parquet. Elle émet également d'autres propositions comme l'allègement des procès d'assises en développant le "plaider-coupable", le renforcement du rôle de l'avocat dans les gardes à vue, le raccourcissement des détentions provisoires, ou la dépénalisation des violations du secret de l'instruction.
Troisième étape, la ministre râme.
Dati est partie, balayée par les élections européennes et l'impatience de son Monarque. Le 23 juin, Michèle Alliot-Marie la remplace. Elle reprend à son compte la réforme. . La Chancellerie peaufine son projet. Elle prend du retard. La gronde se poursuit dans le milieu judiciaire. Les polémiques se succèdent. La monarchie craint pour son scrutin régional, avec raison. On se rappelle un jugement de la Cour européenne de juillet 2008 sur un affaire de trafic de drogue. Cette dernière avait jugé, en première instance, que les procureurs français – hiérarchiquement dépendants de la Chancellerie – « ne sont pas une autorité judiciaire au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion » puisqu’ils leur manquent « l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif ».
On croit la réforme repoussée sine die. Au lendemain de l'échec des élections régionales, Sarkozy ne la mentionne plus dans ses réformes majeures de l'année. Obnubilé par sa propre survie politique, empêtré dans des rumeurs conjugales qu'il transforme en affaire d'Etat, il préfère parler retraites et insécurité. MAM s'entête, et poursuit ses consultations.
Vendredi 16 avril, la Cour de Cassation, la plus haute instance judiciaire, se prononce contre le projet de suppression du juge d'instruction. MAM est agacée, Sarkozy également. Le rapport de la Cour a fuité dans la presse. Les «plus hauts représentants des deux formations - siège et parquet - ont rendu un verdict sans appel». Ils considèrent que «l'avant-projet de loi de MAM «ne garantit pas suffisamment les équilibres institutionnels et l'exercice des droits de la défense et des victimes». Première critique, les magistrats du parquet sont insuffisamment indépendants du Garde des Sceaux. La seconde critique, conséquence logique de la première, porte sur la future procédure de garde à vue : «Le contrôle de la garde à vue ne peut dépendre de l'autorité de poursuite». Selon ces magistrats, un juge indépendant doit disposer du «pouvoir d'ordonner la libération de la personne gardée à vue. »
Troisièmement, le futur «juge de l'enquête et des libertés », qui sera chargé d'exercer un contrôle des enquêtes conduites par le parquet, devrait jouir d'une «permanence d'intervention », c'est-à-dire, pouvoir intervenir à toutes les étapes de l'instruction. Last but not least, les magistrats critiquent aussi la complexité de la procédure (et le risque de paralysie des enquêtes), et la réduction des délais de prescription, notamment en matière de lutte contre la délinquance financière.
Ce dernier point du projet de Sarkozy est un autre de ses cadeaux aux milieux d'affaires, en totale contradiction avec le discours sécuritaire et répressif habituel du Monarque. La ministre de la justice justifie sa position par l'insécurité juridique que subirait les entreprises, qui peuvent être rattrapées très tardivement par des affaires d'abus de bien social... En novembre dernier, l'association indépendante Transparency International considèrait que la France est un pays plus corrompu que les Barades, Sainte Lucie ou le Quatar, à peine mieux lotie que le Chili et l'Uruguay. A la même époque, nous rappelions que la France est aussi l'un des pays qui consacre la plus faible part de son budget à la justice, soit 53 euros par habitant (données 2006), à comparer aux 99 euros des Pays Bas, aux 109 euros des Allemands, ou aux 58 euros espagnols...