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Tant de rêves ont fini, à coup de règles sur les doigts, inscrits au patrimoine de la mémoire.
Tu me regardes avec tes grands yeux ouverts et ardents.
Tu tentes de me persuader que mes rêves de démocratie et d’éducation ne sont bien que des songes…
Si jeune et si jolie et déjà désabusée…
Mais… Tant de nos utopies ont fini, à coup de triques par rendre gorge sur l’autel des profits…
Et te voilà qui m’invite à modérer mes ardeurs quand la colère me monte au nez.
Ce serait folie que de prétendre à un peuple informé et libre de se construire une opinion bien à lui…
Ce serait folie, oui.
Ce serait folie…
C’est notre folie que de nous être tant battus, jusqu’à épuiser notre sang en des manifestations de révolte.
C’est notre folie de n’avoir pas baissé les bras quand tout nous y invitait.
C’est folie d’avoir refusé de courber l’échine alors que pleuvaient les coups.
Mais au moins nous sommes restés debout et n’avons pas accepté comme fatalité la misère qui se répand.
Car la voici, la seule et véritable pandémie, celle que nul ne cherche à enrayer et qui pourtant sert de prétexte à toutes nos petites soumissions.
Si souvent, par peur du trottoir qui nous attend, nous plions les genoux devant les gradés des armées économiques.
Tu me regardes, avec tes deux grands yeux ouverts et ardents. Ma bouche prononce des mots insaisissables à qui n’a pas connu la fière révolte de la jeunesse.
Tu me regardes et mon âme flanche devant cette innocence qui fut aussi la mienne, qui demeure la mienne, bien que le poids des ans accomplisse son ouvrage, son outrage.
***
A genoux nous n’aurions su vivre
D’instinct nous nous sommes redressés
Les coups pleuvaient sur nos échines sanglantes
Nous retenions nos cris sous la morsure du fouet
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Vautrés nous n’aurions osé survivre
C’est là notre ultime fierté
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Manosque, 9 mars 2010
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