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Jacques Julliard constate la mort de la Deuxième gauche

Publié le 20 avril 2010 par Argoul

Dans différents articles du Nouvel Observateur (le dernier au 15 avril 2010) et de Libération, le philosophe Jacques Julliard déplore, mais constate : la social-démocratie, appelée à la française la « deuxième gauche », est morte. Est-ce la « première » gauche qui l’a emporté, la gauche communiste ? Non pas, c’est le laisser-faire. Ce que Julliard en gôchlangue appelle « le libéralisme ». Qu’il relise donc le dictionnaire ! Le libéralisme n’a pas cette définition étroitement stalinienne de « tout ce qui ne pense pas comme nous ». Camus était deuxième gauche, comme Mendès-France, Rocard, Delors, Peyrelevade et Chérèque. Est-ce à dire qu’ils n’ont plus rien à dire ? Je ne le crois pas. Tout vient à mon avis de la définition tordue du capitalisme/libéralisme que fait Julliard. Comment penser droit avec des mots gauchis ?

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C’est la même chose à droite où l’on feint de confondre toutes les gauches dans un amalgame maladroit, étatiste et contraignant, aboutissant par pente naturelle à la terreur et au pouvoir de quelques-uns. Ce n’est pas faux si l’on considère l’histoire : Robespierre puis Lénine, Mao, Castro, Pol Pot, Kim il jung et tous leurs petits avatars ont joué les dictateurs. Croyant détenir la Vérité suprême, ils ont sacrifié le présent et les gens concrets à l’avenir et à l’homme nouveau. Avec les massacres au nom du Bien que l’on sait. Mais cette gauche-là est la « première » gauche, la stalinienne, la marxiste bornée traduite en principes d’action par Lénine et en slogans par Mao. Au vu des scores du Parti communiste français et même de sa branche trotskiste Besancenot, cette gauche-là, bien archaïque, est morte.

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Reste la « deuxième » gauche qui bouge encore. Jacques Julliard la définit ainsi :

· Parler vrai, « notre pensée même » ;
· Primat de la société civile sur l’Etat et le tout politique ;
· Autogestion et mœurs libertaires, autonomie de la société civile sur les morales d’Etat et d’église ;
· Etat régulateur mais pas producteur ;
· Correction des dérives naturelles vers l’inégalité et l’exploitation ;
· Donner « aux ouvriers » (je dirais plutôt à tous les hommes !…) « la science de leur malheur » et « la maîtrise de leur travail ».

En bref, il ne s’agit pas de changer le monde mais de l’adapter à l’homme. Choisir le réformisme constant et négocié, pas la révolution brutale et sanglante. Ni contrainte d’Etat, ni impérialisme colonial, ni centralisation administrative en excès (« la France une nation gouvernée en pays conquis »). Ce combat pour un « réformisme radical », ce refus de l’étatisme caporaliste centralisé, il est le mien. Jacques Julliard dit qu’il n’existe plus, je ne l’approuve pas. Peut-être le philosophe s’enferme-t-il dans des préjugés et des définitions tordues ? Cela fait, s’il me le permet, tourner en rond son raisonnement.

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Tout d’abord, le libéralisme n’a rien à voir avec l’égoïsme du laisser-faire intégral et de la loi de la jungle. Cette idée vient de la propagande stalinienne qui voulait convertir tout le monde à sa vulgate en accusant tout chien sans collier rouge d’avoir la rage. Il suffit d’aller voir chez Adam Smith, Alexis de Tocqueville, John Maynard Keynes (eh oui, Keynes était libéral !), Albert Camus, Raymond Aron, John Rawls et même Barack Obama (eh oui, ce président est un ‘liberal’) pour comprendre que le libéralisme n’a rien à voir avec la jungle (ça, ce sont les libertariens des ‘tea parties’). Pas plus que le darwinisme social n’a à voir avec Darwin ou le marxisme avec Marx ! Le libéralisme est un mouvement des Lumières qui promeut le parler vrai, le primat de la société des individus sur les corporatismes, église et partis, la méfiance envers l’Etat et sa raison totalitaire (l’affaire Dreyfus !). Donc le contrôle de l’Etat par des contrepouvoirs pour assurer les régulations politique, économique et sociale. Le libéralisme est un mouvement vers la responsabilité des personnes et l’autonomie sociale avec, pour idéal, que chacun épanouisse ses talents dans une société apaisée. Exactement ce que veut la « deuxième » gauche.

Ensuite, il ne faut pas confondre, comme le fait Julliard par facilité de clan, capitalisme et libéralisme. A mettre tout dans le même sac, la tentation est grande de jeter l’ensemble à la Seine sans plus y regarder. Donc de n’y rien comprendre et d’en revenir par dépit d’avoir été floué à la « première » gauche stalinienne de l’Etat autoritaire seul détenteur du Vrai. Le capitalisme n’est pas une idéologie mais une technique. Né sous la féodalité dans les cités italiennes de la fin du moyen-âge, il s’est développé sous les rois absolus avant de prendre son essor après les révolutions. Il agit aujourd’hui aux Etats-Unis présidentiels comme au Royaume-Uni parlementaire, sous la social-démocratie suédoise ou le fédéralisme suisse, en Chine communiste comme en Russie oligarchique ou dans la France de cour et de castes. Le capitalisme est une technique économique qui fait de l’efficacité l’objectif : produire le plus et le mieux avec le moins. Sur une planète où les besoins explosent tandis que les ressources se raréfient et le climat se fragilise, cette technique est probablement d’avenir.

Mais les dérapages, me direz-vous ? Les besoins artificiels suscités par le marketing, les ravages de la pollution, la spéculation financière, les travailleurs considérés non comme des humains mais comme des rouages ? Bien sûr que tout cela existe et doit être combattu ! Mais faut-il se jeter dans les bras de l’Etat, ce monstre froid et anonyme qui impose son irresponsabilité et sa gabegie, au prétexte que tout n’est pas parfait dans le monde civil ? Toutes les expériences étatistes ont échoué, de la soviétique à la française. Et la Chine n’a pu enfin se développer que lorsqu’elle a jeté l’idéologie aux orties avec ce slogan capitaliste : qu’importe qu’un chat soit rouge ou noir, s’il attrape des souris ! A la société civile de faire pression sur la société politique (qu’elle nomme et révoque en démocratie !) pour cantonner le chat aux aires où l’efficacité de sa griffe fera merveille.

Julliard appelle cette pression « la contestation du désordre établi » par la mobilisation populaire et l’opinion éclairée contre l’hyperfinance et Government Sachs. Je veux bien. Mais à condition de ne pas jeter bébé avec le bain. Il ne s’agit pas – vraiment pas ! – de remplacer les actionnaires par des fonctionnaires. Ni d’en revenir à la morale d’Etat (le politiquement correct) pour la façon de vivre. Le capitalisme anglo-saxon, dont Julliard fait le nouveau dragon à combattre, est à l’agonie. Ce serait se tromper d’époque que de voir en lui l’ennemi. Le nouveau capitalisme est asiatique : plus clanique, plus étatiste, plus soucieux du service et du besoin. Cette nouvelle efficacité là est en train de gagner la planète, bien loin de cette « concurrence effrénée » qui n’a jamais vraiment existé. Il n’est que de voir le énième appel d’offre de l’armée américaine pour ses avions ravitailleurs, voué à favoriser Boeing quels que soient les autres, ou la xénophobie des actionnaires de Mercedes, persuadés que leurs voitures sont meilleures et moins polluantes que les Renault-Nissan ! Julliard milite contre un moulin à vent. La nouvelle efficacité capitaliste s’appelle le national-étatisme des clans asiatiques, version renouvelée du « capitalisme monopoliste d’Etat » tellement honni par la gauche française il y a 35 ans !

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A nous, donc, d’adapter cette technique d’efficacité économique à notre monde et à nos valeurs : un peu plus de protectionnisme bien compris au niveau européen (sur les normes sanitaires, la taxe carbone aux frontières, le passeport des hedge-funds), beaucoup plus d’éducation, de formation et d’encouragement à la recherche et à l’inventivité (eh non, ce n’est pas la même chose !). Surtout moins de contraintes d’Etat, de centralisation d’Etat, de mêle-tout d’Etat. Croyez-vous que le « débat public » soit juste et efficace sur les zones inondables ? Cet Etat-là, autoritaire, autiste, infantilisant : on n’en veut pas. Qu’il encourage plutôt l’initiative ou, au moins, ne la décourage pas, comme l’URSSAF et l’autoentreprise – ou le refus de voir des chômeurs enseigner quelques heures à l’université faute de vouloir payer les charges sociales !

Oui, la « deuxième » gauche a encore de l’avenir – plus que jamais ! A condition de ne pas tordre les mots comme libéralisme ou capitalisme, et de « parler vrai » en ce qui les concerne !


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