Chapitre V – (extraits de début et de fin)
Le lendemain matin, grand bleu, le soleil est éclatant, la mer, au loin, est turquoise. Belle journée pour mes projets de bricolage.
Petit déjeuner bien consistant sur la terrasse. Pauline a sorti tables et chaises.
- Margot, j’irai bien dîner à la Taverne ce soir, qu’en penses-tu ?
- J’en pense, ma chère Pauline, que c’est une excellente idée.
- On appelle Franck et aussi Pierre-Henri, car il est seul ce soir, sa femme et son fils sont à Paris chez une amie.
- Bien sûr Pau, plus on est de fous… Tu te charges de la réservation de la table.
Franck et Pierre-Henri sont de vieux copain, le premier est un célibataire endurci, qui nous emmène souvent à la pêche sur son bateau et le second est dentiste, marié et père d’un charmant jeune garçon, serviable et très bien élevé. Il a une femme qui est un remarquable "cordon bleu" et les dîners chez eux sont de véritables délices pour les "fines gueules".
La taverne, comme son nom l’indique peut-être, est un endroit à l’irlandaise, parfaitement enfumé, bruyant, animé, sombre. Il y a un coin "tables", où se retrouvent les habitués, pour des repas à plat unique, certains soirs, changeant selon l’humeur et l’inspiration du "tavernier chef". C’est plutôt bon, en général et l’endroit est sympathique. On est certain d’y retrouver les amis qui vivent en Bretagne à l’année, où ceux qui y séjournent ponctuellement. C’est un lieu de rendez-vous informel. Cette taverne est située dans une petite bourgade, voisine de Saint-Guirec.
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- Pauline n’est pas avec vous ?
- Elle est là sans l’être, n’est-ce pas Franck.
Franck rit mais ne répond rien.
- Là et pas là, que veux-tu dire ?
- Qu’elle est près de nous, écroulée dans ma voiture et qu’elle a commencé sa nuit !
- Comment cela ?
- Elle a un peu forcé sur le "pastaga", en t’attendant, interfère Franck en souriant.
-Ah bon, alors tant pis pour elle, nous dînons.
Le repas se passe bien, même sans ce "boute en train" de Pauline. Franck a beaucoup de connaissances et Pierre-Henri nous raconte les anecdotes cocasses de son cabinet dentaire.
Ce sont d’agréables compagnons et j’en oublie presque mon mal de tête, à les écouter parler. Plaisanteries habituelles, vieux souvenirs qu’on égrène, le temps passe vite en leur compagnie.
Dessert fini, notre "Tavernier" vient s’asseoir à notre table et me dit qu’une amie me cherche, qu’elle m’attend près de la cheminée, si je veux aller la retrouver.
C’est une fille que j’avais perdue de vue depuis de longues années, sympathique et drôle. J’abandonne un instant les garçons et me dirige vers le fond de la pièce. Elle m’accueille d’un :
- Salut ma vieille, je suis heureuse de te revoir.
Nicole n’a pas changé, toujours aussi chaleureuse. Nous parlons de choses et d’autres, elle de son divorce et de son remariage, moi de mon fils.
Concernant mon propre divorce, je ne tiens pas à aborder cela avec elle, mais elle entre carrément dans le vif du sujet. Force m’est faite d’engager la conversation sur ce thème, de parler de mon ex époux (qu’elle a l’air de connaître mieux que je ne le pensais) et de choses du passé que je tenais à rayer de ma mémoire, ou à ranger dans des cases du cerveau bien hermétiques.
Tout est passé en revue, mon mariage, la naissance et la mort de ma fille, le mal que nous avons eu à avoir un deuxième enfant, la naissance de mon fils, le départ de son père me laissant seule avec mon nouveau-né. Elle sait tout, sur tout, elle raconte à ma place.
Et elle parle et elle parle ! Cela remue en moi des tas de souvenirs enfouis et me bouleverse un peu !
Et tout à coup… c’est le chaos ! Quelque chose a craqué dans ma tête, dans mon corps. Je suis dans le coton, je n’entends plus grand-chose, les bruits sont amortis et me parviennent comme des murmures inaudibles. Je vois la bouche de mon amie articuler des paroles, mais aucun son n’arrive plus à mes oreilles.
Une souffrance fulgurante envahit mon corps, tous mes membres deviennent douloureux. Mon dos est raide, j’ai dû mal à bouger. Chaque mouvement est un effort. J’essaye de murmurer une vague excuse et je fuis mon interlocutrice, pour rejoindre mes amis à notre table.
- Franck, Pierre-Henri, il vient de m’arriver quelque chose de grave. J’ai l’impression que j’ai une hémiplégie, emmenez –moi chez le médecin, je souffre trop.
L’un et l’autre essaye de me rassurer, avec des paroles apaisantes, en vain
-Sortez-moi d’ici, vous dis-je et emmenez-moi chez Dominique. C’est un ami commun qui est médecin généraliste à Saint-Guirec.
Mes deux amis semblent enfin réaliser qu’il m’arrive un "pépin".
Nous partons dans la voiture de Pierre-Henri. Chaque geste est pour moi un véritable calvaire. Marcher, m’asseoir, bouger un bras, un doigt… C’est à chaque fois une douleur effroyable.
Nous arrivons chez Dominique, non à son cabinet, mais à son domicile. Chaque pas sur le sol inégal est un effort terrible pour moi. J’ai l’impression d’être un pantin, désarticulé.
La femme de Dominique, que nous réveillons, nous ouvre, en tenue de nuit et nous dit qu’il est absent, parti pour une régate de trois jours. C’est un passionné de voile, il y consacre tous ses loisirs.
Nous repartons donc et je me déplace tant bien que mal et plutôt très mal que très bien.
Pierre-Henri m’emmène chez le médecin de garde. Avec Franck et lui nous attendons assez longtemps en salle d’attente. Le médecin me fait entrer dans son cabinet, m’examine.
- Ce n’est pas grand-chose, une simple douleur cervicale, une entorse très probablement. Je vous prescris ce qu’il faut et dans un jour ou deux, il n’y paraîtra plus.
Je suis un peu sceptique, à ce sujet, mais c’est lui le médecin, pas moi. Il me faut donc le croire sur parole.
Nous repartons donc, en trio, vers la pharmacie de garde. Je souffre toujours affreusement, à chaque geste, mais me serais fait tuer sur place, plutôt que me plaindre aux garçons. Ils me prendraient pour une douillette. Comment expliquer une douleur pareille !
- Mon Dieu, et Pauline !
Nous nous regardons, atterrés. Elle est enfermée dans ma voiture depuis 9 heures du soir et il est…2 heures du matin !