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D'une vie à l'autre ou rupture...- Chap VII –

Publié le 08 juillet 2009 par Mariecriture
Chapitre VII –
Nous arrivons à Vennes. Service des urgences. Prise en charge immédiate. J’étais "un cas" ! Scanner à nouveau et …"artériographie" ! Une vraie partie de plaisir. On réalise une ponction de l'aine, à l'aide d'une aiguille et on y glisse un fil en acier très fin, "un guide", qui permet d'engager une sonde dans l'artère qu’il faut examiner. On vous demande, alors, de ne pas bouger et de ne pas respirer.
Je ne suis pas en mesure de donner mon avis sur le déroulement des opérations. Je les subis, un point c’est tout.
Après l’examen, le radiologue me pose un sac de sable sur l’aine et me dit de le garder pour la nuit, afin d’éviter une hémorragie.
- Réjouissant programme ! lui dis-je.
-L’artériographie confirme la rupture d’anévrisme. Vous serez opérée demain matin. C’est assez grave et je dois vous prévenir que c’est à risque. A tout moment, le caillot, qui colmate votre artère, peut céder, avant que nous n’ayons pu intervenir.
- Cela revient à dire que je peux ne pas me réveiller ?
- Hélas, oui, je ne veux pas vous le cacher !
Cela a le mérite d’être clair, même si c’est franc et brutal, sans fioritures autour, pour amortir le choc. Ce médecin ne fait pas dans la dentelle. Mais, au moins, je sais à quoi m’en tenir et ce qui me reste à faire, d’urgence, avant l’opération de la dernière chance.
On m’emmène dans la chambre qui m’est destinée. Le sac de sable sur l’aine. Ce sac ressemble plutôt à un mini- traversin… de béton. C’est lourd, inconfortable, astreignant. Mais incontournable, semble-t-il !
Je dois être opérée le lendemain. Le médecin chef et le chirurgien m’ont avertie que c’était sérieux. Je risquais de ne pas me réveiller. Traduction : je pouvais me transformer en feue Margot Morel, incessamment sous peu. Réjouissante hypothèse, verdict prévisionnel !
Ma participation, dans cette affaire, est purement morale : assistance impuissante à ma propre déchéance ! Je n’ai, physiquement, aucune possibilité de choix ! Rien à faire, rien à dire, subir !
Pendant toute la nuit, je vis un véritable cauchemar. Dans la chambre à côté, on joue gros : poker, accompagné d’alcool comme aide pour supporter les pertes.
Dans le couloir, potin épouvantable : je suis en face des cuisines et cela rentre, sort, claque les portes, va et vient.
Le sac de sable glisse et je dois passer la nuit à le remettre en place.
J’ai un petit souci, depuis toujours, dégradant dans une situation de ce genre. J’ai une vessie plutôt petite -- personne n’est parfait – et je dois me lever souvent, la nuit, pour aller aux toilettes. Et dans un moment comme celui-ci, cela ne s’arrange pas.
Le problème, majeur, dans un hôpital est le bassin. Cela paraît anodin quand vous êtes à l’extérieur, mais dans les murs… ne peuvent en parler que ceux qui ont subi ce supplice !
Une envie pressante vous prend, vous sonnez l’infirmière. Elle arrive, à un moment ou à un autre. On dit mieux vaut tard que jamais et c’est ce premier cas de figure qui prédomine. Le bassin finit par vous être apporté, après un véritable parcours du combattant. Ce n’est que le début. Vous appelez pour faire enlever ce bassin, car ce n’est pas un voisinage agréable. En vain !
Alors, ce soir là, je prends la décision qui s’impose : demande de bassin, mais pas de rappel pour l’ôter, je resterai vissée dessus, vaille que vaille.
Enfin, je glisse épuisée, dans un sommeil qui se voudrait réparateur. Une petite heure, sans plus, car je suis réveillée, illico presto. On doit me laver la tête avec un produit désinfectant, pour l’intervention future. Pas de mot gentil, minimum de communication, de consolation d’être humain à être humain, en souffrance. Les ordres, la routine, rien de plus. Dernière toilette, préalable à… Sensation horrible, la toilette de la condamnée, qui me fait penser à la reine Marie-Antoinette, avant de passer la tête sous l’échafaud.
Cela fait, je demande l’octroi d’un téléphone, d’un bloc de papier et d’un stylo feutre, ce qui m’est accordé, immédiatement.
Il me faut joindre :
Paul, mon ex-mari pour lui dire ce qui se passe,
le mari d’une amie qui me doit de l’argent, pour une mission, accomplie, qu’il m’a confiée.
Je veux, aussi, établir un testament en faveur de ma mère, pour mes maisons en Bretagne. Je veux que mon fils en soit l’héritier, mais souhaite qu’elle en ait la jouissance, à vie. Usufruitière, en fait. Mon fils Rodolphe, auquel j’en avais touché deux mots, était d’accord sur le principe.
J’ai téléphoniquement et par écrit, une activité qui déplait à l’infirmière de service. Elle menace de m’enlever téléphone et bloc à écrire.
Je proteste et fais appeler le chef de service.
- Je vais peut-être passer l’arme à gauche, après mon opération. Je n’ai plus beaucoup de temps pour protéger ma famille, mon fils, ma mère. Aussi, je veux être libre de disposer du peu de temps qui me reste, sans qu’une infirmière intervienne, d’une manière aussi négative que stupide !
Le médecin abonde dans mon sens et en informe l’infirmière qui m’a passé un savon, précédemment. Elle prend un air choqué, offusqué, mais obtempère et me fiche, enfin, une paix, royale !
Le chirurgien arrive, avec ses assistants. On m’embarque sur un chariot. Le sort en est jeté ! Après l’opération, je reviendrai peut-être à la vie, ou peut-être pas !
Ce qui m’étonne, c’est la passivité, le détachement, qui m’habitent : je n’ai pas peur de mourir, je suis loin de tout cela. Je le vis comme si ce sort -- définitif et sans appel -- était destiné à une autre personne. Peut-être est-ce le résultat de la souffrance, morale et physique, qui m’habitent. Morale, pour l’avenir de mon fils, physique, pour les terribles douleurs endurées !
- Joël, réponds-moi. M’entends-tu ? Réponds-moi, je t’en supplie !
Je pense que je suis morte. Je suis dans un autre monde, cela est certain. Et j’entends une petite voix qui implore, toujours, et toujours :
- Joël, réponds-moi. M’entends-tu ? Réponds-moi !
Mes yeux ne s’ouvrent pas. Je plane dans un monde glauque, une sorte de grand tunnel, un peu sombre. Mais au bout de ce tunnel, une lueur, vive !
Tout m’attire, pour rejoindre le bout de ce tunnel, où m’attend, j’en ai la certitude, une félicité sans nom. J’amorce les premiers pas, pour accéder au "Nirvana" qui m’est promis. A l’extrémité, la lumière.
Mais, devant moi, se dressent mon fils et ma mère :
- Ne pars pas, nous avons besoin de toi, ne pars pas, reste avec nous!
Je m’étais déjà bien engagée dans cette galerie au bout de laquelle m’attendait le bonheur. Tout concordait pour que je me dirige dans cette direction, sans désir de retour.
Et puis, je me suis réveillée d’un coma très profond, apparemment (c’est du moins ce que l’on m’a dit par la suite). On sort du coma comme on sort du sommeil, c’est la sensation que j’ai éprouvée, pour ma part. Un matin j’ai ouvert les yeux et je me suis remise à exister, pour de vrai !
La partie consciente de mon cerveau reprenait du service. Etait-ce un bien pour moi ? Je ne pourrai jamais répondre à cette question !
Une infirmière s’écria à la cantonade :
- L’anévrisme a ouvert les yeux, et s’approcha de moi.
L’apostrophe était pour le moins cavalière, en ce qui me concernait. Mais il est vrai que c’était tout ce que j’étais pour elle, dans ma léthargie comateuse.
- Bonjour, vous m’entendez ?
Je l’entendais, mais mes lèvres n’arrivaient pas à articuler une réponse. Je fis oui de la tête.
J’eus droit à un sourire ravi, s’épanouissant dans une face joviale et fleurie se penchant sur moi, me touchant presque.
- Vous allez quitter le service de réanimation et être transférée dans une chambre à deux. Vous serez avec une dame qui vient de subir la même intervention que la vôtre.
J’essayais de sourire aussi, mais mon visage restait figé, je le sentais. Mes muscles faciaux refusaient de m’obéir et je dus faire une grimace affreuse car l’infirmière me regarda bizarrement.
Le temps ne compte pas, dans les hôpitaux et j’attendis…un certain temps avant de me retrouver dans la chambre annoncée.
Dans l’intervalle, mes lèvres avaient consenti à se mouvoir un tantinet et quand l’infirmière s’approcha de moi, pour m’enlever quelques tuyaux, je lui demandai, articulant comme une personne qui a "la gueule de bois" :
- J’ai entendu plusieurs fois une voix qui suppliait : "Joël, réponds-moi. M’entends-tu ? Réponds-moi !" –Ai-je rêvé ?
- Non, vous n’avez pas rêvé, c’était la réalité. Un jeune garçon qui est dans le coma, après un grave accident de mobylette. C’est sa mère que vous entendiez.
- S’est-il enfin réveillé ?
- Non toujours pas, mais si cela arrive, je viendrai vous le dire, car je vois que cela vous tracasse.
- Oh oui, merci, c’est gentil à vous, répondis-je, touchée par cette attention venant d’une bonne brave grosse brute.
Brute, car elle n’y va pas de main morte, pour me débrancher. C’est un début prometteur pour la suite des soins. Je souhaite vivement, en mon for intérieur qu’elle ne soit attachée qu’au service "réa" et non à celui des chambres.
Mon transfert a lieu, enfin. Je passe du lit à une sorte de brancard roulant, puis du brancard à un autre lit. Déplacée en cela par un immense infirmier, dont la douceur des gestes contraste avec l’apparence fruste.
J’ai encore tout un tas de tuyaux, branchés dans tous les orifices et aussi dans les bras. Pas vraiment agréable tout cela !
Une fois bien "enfournée" dans mon lit -- et c’est vraiment le terme qui convient, emballée dans draps et couvertures au carré, barrière de sécurité me cernant de toute part, comme dans un lit de bébé -- je crois avoir enfin un peu de repos.
Mais non, ce n’est encore pas fini. Une infirmière entre dans la chambre. Voix agréable, belle femme, pour ce que j’en perçois dans le brouillard de ma vision.
- Bonjour madame, nous allons vous enlever quelques engins de torture, dont les sondes. Mais nous allons devoir vous brancher sur une machine qui vous délivrera un puissant antalgique, à heures fixes, pour soulager vos douleurs. Votre voisine a la même chose.
Je n’ose plus essayer de sourire, mais je hoche la tête et murmure d’une voix peu audible, à l’articulation défaillante :
- Merci madame, je souffre beaucoup. On m’a dit que c’était le liquide méningé qui causait ces douleurs terribles.
- Effectivement, c’est bien la raison. Et puis votre opération n’a pas amélioré les choses, car vous avez subi une importante intervention. Votre vie ne tenait plus qu’à un fil.
Apparemment, le fil ne s’était pas rompu, mais il s’en était fallu de peu.
- Le médecin chef du service passera vous voir, demain matin, avec le chirurgien qui vous a opérée. Reposez-vous maintenant. Nous allons vous laisser les barrières de sécurité pour cette première nuit dans votre chambre et nous les enlèveront demain.
Je n’ai pas encore aperçu ma voisine. Je me tourne de son côté :
- Bonjour madame.
- Bonjour voisine, alors on vous a branchée aussi sur la machine "dite anti douleur". Cette machine sonne quand le produit vous est dispensé et vous réveille brusquement, quand vous dormez, enfin, un peu. Si nous avons de la chance, nos machines ne sonneront pas en même temps et nous allons nous réveiller mutuellement, plusieurs fois dans notre sommeil.
- Cela nous promet d’agréables nuits ! lui répondis-je en essayant d’articuler correctement ma phrase.
Chaque parole sortant de ma bouche était pour moi un travail laborieux de prononciation, d’articulation. Je ne maîtrisais pas vraiment mon élocution. Un ivrogne, avec une bonne vieille cuite, n’aurait pas fait mieux !
Mon cerveau fonctionnait correctement, mais le reste de mon corps n’avait pas l’air de vouloir suivre. Mes yeux ne distinguaient pas grand-chose, des formes vagues, qui se mouvaient dans un univers cotonneux. Mes oreilles percevaient les sons, mais de manière amortie. Mes bras, mes jambes, endoloris étaient sans force. Mon côté droit me semblait à moitié paralysé. Tout mouvement m’était effort.
La première nuit dans cette nouvelle chambre ne m’apporta ni sommeil réparateur, ni apaisement de mes maux. La machine nous prodiguait un soulagement passager, mais entre deux distributions du produit, il s’écoulait un trop long moment et les douleurs reprenaient force. C’était intenable. Pas un espace de corps qui ne fût zone de souffrance.
Ma voisine était logée à la même enseigne. Nous échangions quelques mots, sur nos misères respectives.
Le lendemain matin, on m’enleva les barrières de sécurité. Puis j’eus la visite du chef de service et de son staff, accompagné du chirurgien et aussi du frère de Pierre-Henri, Jean-Jacques Cardon, grand spécialiste de la greffe du foie. Pierre-Henri et Jean-Jacques Cardon étaient des amis de longue date, que j’avais connus quand j’étais adolescente.
- Bonjour madame, je vous présente le professeur Bardoit, qui vous a opérée avec succès.
- Bonjour docteur.
- Nous avons une bonne et deux mauvaises nouvelles à vous annoncer, me dit le professeur Bardoit.
- Je vous écoute, docteur.
On ne me l’avait jamais faite, celle là : une bonne et deux mauvaises. Je m’attendais au pire.
- La bonne nouvelle est que l’opération a réussi et que l’artère endommagée est clipée et ne vous fera plus de misères. Tout danger est donc écarté.
Je n’étais pas sûre que cela fût vraiment une bonne nouvelle. Peut-être aurais-je dû mourir, cela aurait résolu tous mes problèmes.
- Et les mauvaises nouvelles ?
- Pendant l’opération, est survenue une paralysie faciale, "a frigore". Elle est parfois causée par un refroidissement important, son origine est inconnue et nous la supposons virale. Et votre volet frontal, droit, s’est effondré, après votre trépanation.
Trépanation, j’avais subi une trépanation ! J’étais pétrifiée, horrifiée par ce mot fatal à mes oreilles de petite fille de médecin !
Le tableau brossé était charmant, mais je ne mesurais pas trop l’impact exact -- sur le moment -- de cette série de catastrophes qui m’atteignaient de plein fouet. La claque magistrale, le seul mot qui m’importait, était la trépanation.
Mon ami Jean-Jacques se pencha pour m’embrasser, après m’avoir adressé une petite phrase sibylline, se voulant rassurante. Mais je devinais de la pitié dans sa voix.
Je dois être joliment amochée !
- Je voudrais être débranchée de tous ces tuyaux, c’est possible ?
- Je vous assure que cela sera fait demain, mais seulement pour une partie. Vous garderez encore quelques jours la pompe à morphine. Vous pourrez demander à l’infirmière de service de vous en séparer entre les heures où elle ne fonctionne pas.
– Je pourrai donc me lever pour aller aux toilettes ? Je ne supporte pas le bassin.
- Vous pourrez vous mouvoir avec la tringle supportant les perfusions. Mais je ne vous conseille pas de vous lever trop tôt. Vous êtes encore très faible, votre équilibre sera instable et votre démarche sera mal assurée.
Cause toujours mon vieux, pensais-je. Dès que la tuyauterie non indispensable aura disparu, je me lève, envers et contre tout ou tous !
Le cortège des médecins, chirurgiens et carabins sortit de ma chambre.
La journée et la nuit suivante ressemblèrent étrangement à la journée et à la nuit précédentes. Pas d’amélioration, de soulagement, si minime fut-il. C’était épuisant, à la longue, cette douleur continue, incontrôlable, incontournable. Pas une minute de répit, sauf, peut-être, pendant les deux premières heures après la prise de morphine ou l’intensité du mal diminuait jusqu’à devenir presque supportable.
Après le petit-déjeuner, l’infirmière -- qui avait assisté à mon réveil, après mon coma – apparaît dans la chambre. Je la reconnais à sa silhouette lourde et courtaude.
- Je viens vous apporter une bonne nouvelle : le petit Joël vient de se réveiller de son coma, comme une fleur. Sa mère en pleure de joie.
- Oh merci, comme c’est gentil à vous !
Elle repart aussitôt et je me dis : enfin un peu de couleur, dans ces sombres journées de malade.
Je décide alors de me lever ce matin là et que rien ni personne ne m’en empêchera. Je sonne l’infirmière pour me défaire de la pompe à morphine. Elle le fait avec réticence. Elle était plutôt bourrue, pas très causante, mais efficace. Son amabilité, si elle en avait, n’était pas très perceptible à l’oreille. Elle devait bien la cacher.
- C’est stupide, vous n’êtes pas encore en état de marcher.
- Je vais essayer. Je veux aller aux toilettes par mes propres moyens, je déteste le bassin !
- Mais il n’y a pas de toilettes dans votre chambre, elles sont en face, dans le couloir. Ce sera trop pénible, dans votre état, de vous y rendre.
Qu’à cela ne tienne, j’irai. J’attends le départ du dragon et m’embarque pour mon périlleux voyage, saisissant mon attirail à roulette de la main gauche et tâtonnant un peu pour effectuer mes premiers pas. Sortir de la chambre ne fut pas trop compliqué, mais naviguer dans le couloir se révèle une autre paire de manches. Je dis naviguer, car cela s’apparente plutôt à de la navigation qu’à de la marche. Le sol est mouvant et passablement incliné, les murs menacent de me tomber dessus. Cela tangue pas mal, autour de moi, dans ce couloir, pourtant étroit, me semble-il. Une traversée à risques s’annonce, empêtrée que je suis par tout le barda que je dois traîner dans mon sillage !
L’infirmière a eu raison, j’ai trop présumé de mes forces. Mon équilibre a disparu. Mais, "alea jacta est", j’ai commencé, je continue !
J’ouvre la première porte en face de ma chambre, légèrement décalée par rapport à notre propre porte. C’est la bonne, coup de chance, une fois n’est pas coutume !
Une fenêtre au fond, à gauche, diffuse une lueur suffisante pour me permettre de me déplacer en chancelant, et en m’appuyant sur tout ce qui se trouve à ma portée : porte serviettes (heureusement robuste et bien ancré dans son support), lavabo, tabouret, chaise et, enfin la poignée de porte des toilettes. Ce fut laborieux, cette séance de pipi-room, quand c’est si simple habituellement. Une station compliquée, dans cet endroit peu spacieux, avec mon attirail.
Je ressors, enfin, de ce réduit exigu et me dirige vers le lavabo pour me laver les mains. En m’approchant au plus près, j’aperçois une espèce de monstre dans le reflet du miroir.
Je me retourne pour voir qui est derrière moi, qui possède visage si ravagé. Il n’y a personne d’autre…que moi. C’est mon propre visage ! Le monstre, c’est moi ! Les cheveux rasés en partie sur l’avant du visage, une balafre sanguinolente qui part du milieu de la figure et va jusqu’à l’oreille droite, la bouche tordue, partant sur le côté, les yeux asymétriques en hauteur, une créature du docteur Frankenstein. Quasimodo était un top modèle, en comparaison !
Mon visage n’avait plus rien d’humain. Ce n’était plus qu’un masque, celui de la dernière grimace de la jolie femme que j’avais été.
Je suis prise de nausées et vomis d’horreur et de dégoût dans le lavabo.
Je répare les dégâts causés, tant bien que mal, en rinçant le lavabo, puis me lave les mains, machinalement.
Je reviens à la chambre, tanguant et chancelant encore plus qu’à l’aller. A mon manque d’équilibre s’ajoute une profonde répulsion et un tremblement incoercible s’empare de mon corps.
Je regagne mon lit, cahin-caha. Et me couche, effondrée, anéantie, par ce coup du sort. J’aurais préféré être morte, plutôt que vivre pareil moment.
Je claque des dents sans pouvoir m’arrêter et ma voisine doit comprendre qu’il se passe quelque chose d’anormal de mon côté.
- Cela ne va pas ?
- Je viens d’apercevoir mon visage dans un miroir. Je suis devenue un monstre !
- Ma pauvre petite ! Vous avez du subir un choc ! Vous retrouverez un visage à votre convenance, mais il vous faudra de la patience et de nombreuses séances de rééducation.
Nous avions été débranchées de la pompe à morphine, ma voisine et moi, pour éviter une accoutumance, néfaste, à ce produit. Nous avions maintenant des produits antidouleur moins puissants et le résultat n’était pas d’une grande efficacité.
Dans ces conditions, il était difficile de dormir, d’avoir un seul bon moment de vrai repos. Et si par le plus heureux des hasards, la fatigue avait raison de nous, nous étions réveillées, aux aurores par une trompe tonitruante. Notre chambre donnait sur une voie de chemin de fer. Des employés de la SNCF travaillaient sur les voies et des surveillants sonnaient de la trompe pour les avertir de l’arrivée imminente d’un train.
Je n’avais jamais connu un hôpital aussi bruyant. La voie de chemin de fer à gauche, les couloirs aux portes qui claquaient, du matin au soir, à droite. Je n’en pouvais plus de fatigue.
La nuit qui suit la suppression de la pompe à morphine, je somnole, quand une envie urgente me prend. La soupe de légumes du dîner, liquide à souhait et servie dans un bol, fait son effet. Pas question de sonner l’infirmière, ni d’utiliser le bassin.
Je me lève avec précaution, pour ne pas réveiller ma voisine. Je récidive dans ma périlleuse traversée du couloir. J’ouvre encore la bonne porte, cherche la lumière. Tout se passe comme la fois précédente, regard dans le miroir en moins, quand je me lave les mains.
Je repère la porte de ma chambre, l’ouvre le plus discrètement possible -- dans le noir le plus total, contrastant avec la lumière crue du couloir -- et me glisse, non sans mal, dans mon lit. Enfer et damnation, ma jambe gauche vient se plaquer sur une autre jambe, qui ne m’appartient nullement et …terriblement velue.
Je me suis, tout simplement, trompée de chambre !
Si l’homme se réveille, je suis mal ! Il va hurler en voyant le monstre qui s’est glissé dans son lit, crier au viol et provoquer une véritable émeute !
Tout l’hôpital va rappliquer et qui croira mon histoire d’erreur de porte !
Je m’extirpe avec les précautions les plus grandes, du lit de mon voisin de chambre, angoissée à l’idée qu’il puisse ouvrir ne serait-ce qu’un œil ! Heureusement, il dort profondément, se mettant même à ronfler. Que ne l’a-t-il fait avant. J’aurais compris mon erreur plus vite, car ma voisine ne ronfle pas.
Ces ronflements me permettent un retrait sécurisé, couvrant le léger bruit de la porte qui s’ouvre.
Dans le couloir, je suis prise d’un fou rire magistral ! Je hoquette et je pleure. J’essaye de me calmer car je vais réveiller tout l’étage. J’entends des pas au fond du couloir et je rentre, le plus rapidement qu’il m’est possible de le faire, dans ma chambre, du moins je l’espère. Cette fois c’est la bonne, je retrouve mon lit. Il n’y a personne d’autre que moi dedans et sur ma table de nuit, je repère à tâtons des objets familiers.
A peine suis-je étendue, que la porte s’ouvre et une infirmière passe la tête. Je fais mine de dormir. Elle repart sans rien dire. Je l’ai échappé belle !
Les nuits sont dangereusement vécues, dans cet hôpital !
Malgré ma peine de me savoir si défigurée et les souffrances dans tout mon corps, je suis reprise d’un fou-rire silencieux. Ma voisine, que je croyais profondément endormie, me demande :
- Vous avez-eu des ennuis ?
- En quelque sorte. Je les ai surtout frôlés de très
très près.
Et je lui conte ma mésaventure. Elle est prise, elle aussi, d’un énorme fou-rire.
- J’imagine la tronche de l’homme singe en vous découvrant dans son lit !
- Il est certain que je lui collais des cauchemars, pour le reste de son séjour, à ce pauvre type !
La porte s’ouvre à nouveau sur l’infirmière :
- Quelque chose ne va pas, mesdames ?
- Tout va bien, répondons-nous à l’unisson, en nous étranglant de rire.
L’infirmière hésite, puis referme la porte sur elle, en ayant esquissé, auparavant, le geste de se vriller la tempe. Elles sont folles, ces deux là, a-t-elle dû penser.
Cette crise de fou-rire fut une des dernières dont j’ai le souvenir. Car je suis restée de longs mois avant de pouvoir retrouver l’envie de rire, ni même de sourire. Ne serait-ce que parce que le sourire ne m’était plus permis, physiquement parlant : cette jolie expression de joie étant devenue une horrible grimace, sur ma face ravagée !
La sortie de l’hôpital s’annonçait. Il n’était pas question que je rentre chez moi, malheureusement. J’allais devoir subir de très longues et pénibles séances de rééducation, dans un établissement spécialisé.
Un premier bilan des dégâts est établi. Je ne produis plus assez de larmes et mes yeux risquent de s’infecter, se retrouvant dans un milieu asséché. La journée, j’allais avoir des gouttes dans les yeux pour compenser cela, mais, la nuit, il me faudrait avoir les yeux collés sous un bandage, par protection. Une nouvelle forme de cécité allait m’être imposée, alors que ma vision était déjà si affectée.
Esthétiquement, mon volet frontal ne se remettrait pas en place, les nerfs de ma joue droite s’étaient rétractés,
Autour de la trépanation, interne ou externe, cela se résorbait plutôt bien. Le clip était en place, solidement fixé sur l’artère antérieure. Quelle bonne nouvelle !
Mon articulation était laborieuse et difficilement audible. J’avais le visage déformé, les yeux de guingois, le nez excentré, la bouche vers l’oreille. Un vrai Picasso !
Je voyais que les gens peinaient à me regarder en face et baissaient les yeux plus souvent qu’il n’était de coutume de le faire !
Mon corps n’était que douleur, le liquide méningé n’étant toujours pas évacué.
Mes amis Bernard, pêcheur spécialiste des bigorneaux et crevettes et Jean-Jacques, médecin à l’hôpital passèrent me voir. Je me retournai face contre l’oreiller, refusant de leur montrer mon visage ravagé. Je sanglotais désespérément en leur disant de partir, que j’aurais dû mourir au lieu de survivre à ce cataclysme qui s’était abattu sur moi.
Ils tentèrent de me raisonner, mais je ne voulais plus rien entendre.
Ma famille ne s’était pas manifestée. J’aurais pu être morte sans recevoir signe de vie de leur part, auparavant ! Ce qui prouve combien je comptais à leurs yeux !
Une de mes amies, que j’aimais beaucoup, débarqua un matin. La veille de mon départ, en fait, pour la maison de rééducation, accompagnée de ma sœur Blandine, qu’elle avait convaincue de l’accompagner. Corvée dont ma sœur se serait bien passée puisqu’elle me croyait toujours une quasi simulatrice. La froideur de Blandine ne m’apporta aucun réconfort et me plongea, bien au contraire, dans le désespoir le plus complet, s’ajoutant à tout ce qui venait de se passer !
Et je n’étais pas encore au bout de mes découvertes !

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