Il est bien loin le temps où Inspectah Deck lançait à la face du monde ses lyrics tranchants qu’il matérialisait sous la forme d’une épée à la crosse dorée dans le clip « Da Mystery Of Shessboxin’ ». Car au début des 90’s, celui qu’on appelle aussi Rebel INS participe comme tous les autres membres à l’émulation bienfaitrice qui règne au sein du Wu Tang Clan et qui les propulse ainsi au rang de pointures inévitables du renouveau de la scène rap new yorkaise. Le morceau « C.R.E.A.M » révèle à l’époque un MC au flow fluide et redoutable avec lequel il gravera à jamais cette phrase imparable samplée à tout va : « Life as a shorty shouldn't be so ruff » qui résonne encore avec la même force plus de dix après.
Rappeur apprécié dans la sphère Wu Tang, Inspectah Deck a façonné son style durant les multiples collaborations qu’il entretient avec ses frères d’arme sur la plupart des solos qui paraissent durant l’apogée du groupe et au-delà même du noyau d’origine (on le retrouvera sur « Above The Clouds » de Gang Starr, « Tres Leches » avec Big PunSoul Survivor de Pete Rock). En parallèle, il s’essaie timidement à la production sur Wu Tang Forever, RZA As Bobby Digital In Stereo, Tical 2000 : Judgement Day, Supreme Clientele ou encore sur le titre éponyme « Beneath The Surface » de GZA. Ce n’est que tardivement et bien après la parution de nombreux opus des membres officiels et autres satellites (Sunz Of Man, Killah Priest, Killarmy, Cappadonna) que Jason Hunter sort enfin son premier opus Uncontrolled Substance en 1999, plutôt bien accueilli et qui tranchera nettement avec les prochaines réalisations que seront The Movement, The Resident Patient et le présent album Manifesto.
Venons en au fait, cette dernière galette de Rebel INS est loin d’être une réussite. Comme à l’accoutumée, le MC s’est accommodé d’une sortie discrète exempte de publicité criarde et de buzz médiatique abrutissant qui est l’apanage de certains. Manifesto aurait donc pu sortir dans une indifférence quasi-totale, si le titre « The Champion » produit par The Alchemist n’avait pas pointé le bout de son nez. Morceau majeur de cet opus insipide, le producteur californien se taille la part du lion en l’espace de quelques minutes où le flow serein de Deck repose sur des nappes vocales olympiennes. Le reste n’est malheureusement que productions vaines et maladroites, parfois à la limite de l’écoutable comme l’atteste le travail d’Agallah sur « The Neverending Story » au hook affligeant. Avare en réussites, Manifesto fait figure de véritable gâchis au vu de la liste alléchante des invités (Cormega, Raekwon, Billy Danze, Planet Asia...). Les titres peu convaincants s’enchaînent avec une régularité effroyable (« Born Survivor », « Luv Letter », « P.S.A », « We Get Down », « The Big Game » etc.) qui ne fait qu’enfoncer toujours un peu plus le MC dans la médiocrité des productions bancales et indignes de lui. Les quelques regains sont insuffisants et trop rares pour extirper l’album de cette glue musicale sans intérêt.
Là où Deck semble réussir le mieux, c’est donc sous une forme soulful plus traditionnelle connotée blaxploitation à l’exemple de « T.R.U.E », « This Is It », et « 5 Star G » qui nous démontrent les chemins que Manifesto aurait pu emprunter. Regrettons par la même occasion l’absence du band orchestral The Revelations et la touche personnelle de Fizzy Womack (aka Lil’ Fame) qui auraient été en mesure de donner à l’opus une authentique ligne artistique comme ce fut le cas sur Chamber Music. A la place, le résultat s’avère décevant et confirme l’immobilité de sa discographie depuis 2003.