« Il est clair que l'Allemagne a accompli un extrêmement bon travail au cours des dix dernières années environ, améliorant la compétitivité, exerçant une forte pression sur ses coûts de main-d'œuvre, explique-t-elle. Je ne suis pas sûre que ce soit un modèle viable à long terme et pour l'ensemble du groupe [de la zone euro]. Il est clair que nous avons besoin d'une meilleure convergence ». (C.Lagarde le 15 mars 2010). A l'heure ou l'Allemagne est matériellement prête à sortir de l'Euro, quelles sont les causes de ces divergences ? Comparons les deux systèmes pour comprendre pourquoi une telle convergence des politiques économiques et monétaires semble compromise.
Economie ouverte et balance commerciale
Nous sommes en économie ouverte. Le sens de l'histoire ne sera plus infléchi de manière durable par une fermeture des frontières : ni par l'exacerbation du nationalisme, ni par un retour au socialisme. Et ce même si ces deux modèles de société sont encore fantasmés par certains.
En économie ouverte les pays échangent des biens et des services : exportations et importations. Schématiquement, l'Allemagne exporte plus qu'elle n'importe et la France importe plus qu'elle n'exporte. La balance commerciale de l'Allemagne est de 224 milliards de $ en 2007 et la balance commerciale de la France -56,7 milliards de $ en 2007 (Source OCDE). Qu'est ce qui explique une telle situation ?
Des stratégies différentes
L'Allemagne s'appuie sur un réseau de PME-PMI innovantes qui exportent énormément, notamment dans le domaine de l'équipement. L'Allemagne a tourné son économie vers l'exportation de biens en mettant en place des politiques de salaires faibles pour réduire les coûts de production. Le gouvernement Social Démocrate de G. Schroeder y a principalement contribué en mettant en place des mesures pragmatiques. Il n'y a pas de salaire minimum, donc les coûts de production sont faibles et l'industrie allemande est très dynamique et ne se délocalise pas.
La France n'a pas le même tissu de PME-PMI innovantes. Notre culture jacobine centralisatrice héritée de la révolution s'est perpétuée dans notre modèle économique dessiné après le 2ème Guerre Mondiale, avec des politiques de grands projets comme le Concorde ou le TGV. Nous avons moins d'entreprises, mais elle sont de très grosse taille. Elles sont issues de fusions : GDF-Suez, Total, EDF, Vinci, Saint-Gobain, Bouygues, PPR, Renault, EADS... notre réseau de PME-PMI est en grande partie sous-traitant de ces grands groupes. Contrairement à l'Allemagne, la France a mis en place de nombreux processus de soutien à la consommation avec un salaire minimum, de nombreuses prestations sociales et de fastueuses dépenses publiques. Une forte pression fiscale et des déficits publics qui ne se comblent pas pour autant pèsent directement sur les coûts de production.
Les salaires sont faibles outre-Rhin, donc les Allemands ne consomment pas énormément. Angela Merkel perpétua cette politique en 2007 en augmentant la TVA (qui pénalise les importations et favorise les exportations). L'économie allemande repose donc sur l'exportation et un marché intérieur peu dynamique. Ce qui peut être un avantage en période de croissance quand la demande mondiale augmente. Ainsi en 2006 le taux de croissance de l'Allemagne était de 3% (contre 2,2% en France). C'est aussi un inconvénient quand la croissance mondiale ralentit. Avec la crise économique récente, les échanges mondiaux se sont réduits. L'Allemagne a donc subi de plein fouet ce ralentissement, contrairement à la France qui a pu se « reposer » sur un marché intérieur dynamique. (Récession de 5% en 2009 en Allemagne et seulement 2,2% en France).
Mais en période de croissance, la France paye au prix fort son système économique et social basé sur un soutien à la consommation. Les salaires sont élevés, donc les coûts de production sont aussi élevés, les prix sont moins compétitifs, donc les biens se vendent moins à l'exportation... et sur le territoire. Voilà le pilier de la désindustrialisation de la France et des délocalisations. L'Etat favorise les fusions (héritage jacobin centralisateur) et nos PME-PMI sont souvent des sous-traitants de ces très grands groupes. Quand la santé de ces grands groupes est fragile, c'est toute la chaine de sous-traitants qui vacille. Nos grands groupes, pour rester compétitifs, délocalisent leurs productions.
Déficits publics et zone euro
L'Allemagne est donc fortement industrialisée et base son économie sur l'exportation. La France a fait le choix social de soutenir la consommation. Pour soutenir cette consommation, l'Etat dépense beaucoup (en 2003 : 53,4% des dépenses totales en France, 48,4% pour l'Etat Allemand 43,2% pour le Royaume-Uni Source INSEE).
La maitrise des dépenses publiques est une différence fondamentale entre l'Etat Allemand et l'Etat Français. L'Allemagne maitrise l'équilibre de ces comptes publics alors que la France semble ne rien contrôler du tout.
La crise de la Grèce met en lumière les limites de la solidarité européenne. Les bons élèves dont l'Allemagne fait partie n'ont pas envie de payer pour ceux qui n'ont pas réussi à maitriser leurs dépenses. La France n'est pas le plus mauvais élève, mais elle n'est pas du tout bien classée. Les Allemands ont déjà fait des efforts, ils se sont déjà serrés la ceinture, pourquoi le feraient-ils une deuxième fois pour financer leurs voisins, qui eux, ne l'ont pas fait. Ce serait une sorte de double peine.
Là où la situation devient ironique, c'est quand les mauvais élèves donnent des leçons aux bons élèves. Imaginons deux frères, l'un trader golden-boy qui paye des tournées champagne en boite de nuit ; et l'autre architecte bon père de famille surveillant ses dépenses. Le golden-boy est libre de faire ce qu'il veut de son argent, mais il serait inconcevable qu'il vienne donner des leçons de gestion à l'architecte… le jour où il est lui même sur la paille !
La France c'est ce golden-boy qui ne se rend pas compte qu'il prend de très gros risques en jouant avec le feu et qui donne des leçons à son frère architecte bon père de famille responsable.
La France c'est ce golden-boy qui ne se rend pas compte qu'il prend de très gros risques en jouant avec le feu et qui donne des leçons à son frère architecte bon père de famille responsable.
Inutile d'expliquer pourquoi l'Allemagne a peur de se laisser entrainer par les mauvais élèves de la zone euro dans une nouvelle crise.
Des solutions pour combler les déficits
Je ne doute pas une seule seconde de la bonne volonté des gouvernements successifs de gauche comme de droite ces trente dernières années, ni de leur courage. On sait à quel point la France est difficile à reformer, comme les conservatismes et les peurs paralysent le système.
Mais comme j'aime le rappeler : « Il n'y a de fatalité que pour ceux qui n'ont pas le courage d'appréhender l'avenir ». Si j'étais pessimiste je ne me serais pas engagé en politique. Il y a des raisons d'espérer. Les électeurs renverront bientôt dos à dos ceux qui entretiennent cette vieille méthode de faire la politique. Ceux qui auront un discours de vérité seront enfin entendus. Ce jour verra la fin des promesses électorales intenables et non-tenues.
L'Etat Français essaye de gérer un peu tout, mais il gère tout un peu. C'est la cause profonde de nos déficits. Il en oublie le contrat social qui le lie à ses citoyens.
L'insécurité a-t-elle véritablement baissé ces trente dernières années ?
La justice est-elle rendue rapidement et dans les meilleures conditions qu'il soit aujourd'hui ?
Avec les dépenses engagées, les jeunes français sont-ils mieux préparés et formés que dans les autres pays ?
Les politiques successives ont-elles fait baisser le chômage et la peur du déclassement ?
Je crois en un nouveau contrat social entre l'Etat et les citoyens. Un contrat à la fois juste et honnête.
Je crois en un Etat qui est à la hauteur des attentes de ses citoyens dans ses compétences de bases (justice, sécurité, santé et éducation) et qui fait confiance à la société civile et à la responsabilité individuelle dans tous ces champs d'action où il est aujourd'hui inefficace. C'est en se concentrant sur ces missions de bases qu'on réduira nos déficits.
Ce jour-là, nous maîtriserons nos dépenses et peut-être serons nous à même de montrer à nouveau l'exemple. Ce jour-là, nul doute qu'un pacte de confiance européen pourra être à nouveau scellé.
Article repris avec l'aimable autorisation de son auteur. Photographie d'Angela Merkel et Nicolas Sarkozy à la conférence de Munich sur la sécurité en 2009. Licence CC, auteur Sebastian Zwez.