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Un maçon franc – récit secret (Christophe Bourseiller)
Ce livre n’ a rien d’un réquisitoire.. A l’inverse, il ne doit nullement être considéré comme un plaidoyer pro domo. Il ne s’agit ni d’un manuel, ni d’une hagiographie. Une troisième voie est-elle envisageable ? Bourseiller tente au fil des pages de l’esquisser. L’ouvrage narre vint années d’initiation, intimement imbriquées dans de multiples vies .
Au commencement
Bourseiller se demande comment il a pu occulter pendant des années sa vie de franc-maçon. La ferveur tenait de viatique. Le huis clos d’un monastère laïc lui semblait indécent. Il a appartenu à la franc-maçonnerie de 1984 à 2000. Il dit qu’il en est encore membre d’une manière passive et sommeillante. Il reste intié de façon indélébile. Il a cotisé à la GLNF et à la GLDF. Il a franchi les hauts grades du Rite Ecossais Ancien et Accepté. Son témoignage se veut celui d’une odyssée spirituelle. Quand il rejoint l’ordre en 1984, il cherche des repères mais ils sont abolis. Acteur insatisfait, producteur de radio, journaliste sans attache, il peine à se trouver. Sa génération a raté mai 68. Il lui reste les jeux vidéo, le rock alternatif, l’humour au second degré. Bourseiller s’éparpillait au cinéma, à la radio et à la télé. Il ne parvenait pas à imprimer une direction d’ensemble. Avec la franc-maçonnerie, il pensait enfin trouver une voie. Son livre est le récit de l’échec d’une initiation. Il a vécu simultanément le dégoût, l’ennui, la rage, le plaisir, l’étincelle et l’étonnement.
1 – En avant, doutes...
Bourseiller raconte son initiation en juin 1984. Il se demande pourquoi il s’est fourré dans un tel guêpier et s’il peut se retirer sans se blesser. L’immeuble de la GLNF manque de cachet. Bourseiller songe à une clinique privée avec des vagues relents hausmaniens. Ca sonne "faux vieux " , bourgeois. Il sonne, mais en vain. Il veut rebrousser chemin mais un gardien l’introduit dans une salle d’attente, semblable à celle d’un cabinet médical, trop sévère. Il porte un costume. C’est obligatoire. Il se demande s’il est déguisé en notaire, en député, ou en employé de bureau. Un homme vient le chercher. Celui-ci se montre amical et rassurant, mais on le sent prêt à mordre. Il bande les yeux de Bourseiller. Bourseiller enfile de longs couloirs qui semblent ne mener nulle part. L’idée d’un possible danger l’effleure. Son guide heurte par trois fois une lourde porte de bois. Bourseiller est introduit dans le temple et il éprouve l’intuition de l’obscur. Vingt ou trente personnes semblent l’attendre. Ce sont des hommes, il se taisent, mais leur présence est massive et oppressante. Il flotte dans l’air confiné un mélange de bougie, d’encens et d’after-shave. La figure surhumaine du franc-maçon traverse depuis toujours l’histoire familiale des Bourseiller. Sa mère leur leur tresse une glorieuse couronne de lauriers. Dans les dîners parisiens, elle les dépeint comme une élite morale. Elle est comédienne. C’est Chantal Darget. Elle pense que la franc-maçonnerie règne sur la planète entière pour le meilleur. La famille de Bourseiller était bohème et soixante-huitarde. C’est Armand, l’accordéoniste de la mère de Bourseiller qui était franc-maçon. C’est lui qui a parrainé Bourseiller à la GLNF. Bourseiller passe sous le bandeau. On le bombarde de questions. Pourquoi a-t-il choisi de frapper à la porte du temple ? Est-il guidé par l’appel des affaires ? Sa mère est gravement malade et c’est ce qui l’a conduit à trouver un cheminement spirituel. Il éprouve un désir de quête mais il prête également à l’ordre maçonnique une puissance matérielle. Il pense que la GLNF es un lobby intègre. Il cherche la lumière mai sans trop d’illusions. En 1984, il marche sans boussole, il est acteur, animateur. On lui parle peu, il ne répond rien. Il couvre l’actualité des radios libres dans Le Matin de Paris. Il se pense à gauche. Il imaginait le gouvernement de Mitterrand pur et sans tache. Sa critique contre le ministre de la communication provoque une censure de ses articles. Il quitte alors Le Matin et la plupart de ses convictions. On lui demande sa position sur la peine de mort, il est contre de part ses origines. Il a grandi au milieu des communistes et des gauchistes. On lui demande s’il envisage la franc-maçonnerie comme une forme d’élite. Il ne se sent guère d’appartenir à une élite. Il pense que nous sommes tous égaux. On le conduit hors du temple. L’espace d’une seconde, le doute le transperce. Il y a l’image d’une assemblée de clowns, de bouffons, de blaireaux avinés.
II Un état de grâce
En juin 1984, Bourseiller professe au quotidien un agnosticisme sceptique. Bourseiller et sa mère appartiennent au sérail. Ils reçoivent des artistes et des administratifs en été dans la maison de la mère de Bourseiller. Il a peur de perdre sa mère qui a un cancer du sein. Il bascule un jour sur la plage, il a vu dieu, il a vécu quelque chose et en a eu honte. A l’heure où la gauche dit oui au libéralisme, Bourseiller frappe à la porte du temple dans le dessein bien illusoire de grandir et d’atteindre enfin l’âge adulte. Il entre à la GLNF sans rien savoir des obédiences et de leurs interminables chamailleries. Pour lui tout se vaut. Même s’il a lu des ouvrages sur la maçonnerie et sait que le GODF est à gauche et la GLNF à droite. Ce n’est pas lui qui a choisi la GLNF, c’est elle qui l’a choisi.
III L’épreuve du chausson
On glose bien souvent dans les magazines sur les mérites virtuels des familles recomposées. Bourseiller n’a connu qu’une lente et inexorable décomposition des liens et des valeurs. Il a grandi dans le théâtre d’avant-garde. Trois mois après son passage sous le bandeau, il se présente au siège de la GLNF. Lors de son initiation, il ne peut nier la lourde histoire familiale, du théâtre, de ses outrances, de ses folies, du ridicule qui ne tue pas. On le convie à jouer son propre rôle. Il trouve l’initiation longue. Il se trouve aventureux de rallier un groupe d’inconnus dont il ignore les mobiles profonds. Le doute l’assaille, mais une force le pousse. Deux officiants en tenue viennent le chercher dans la salle d’attente. Il s’apprête à vivre l’heure la plus importante de son existence. Pour lui, l’initiation est comparable à une seconde naissance. Il va avoir conscience de lui, des autres, de la transmission et de la transcendance. Il médite dans le cabinet de réflexion. Il médite dans le cabinet de réflexion. Il rédige son testament philosophique. Il évoque l’absolue sincérité d’une démarche qui ne peut apparemment se passer d’échanges. Il est aiguillonné par une insatiable curiosité. Il n’y a pas que la quête spirituelle. Il est peut-être fasciné par un hypothétique pouvoir occulte. Il s’apprête à jouer devant son nouveau public. Le grand expert prend le testament de Bourseiller et le pique au bout de son épée. L’impétrant doit enlever une chaussure et enlever sa chemise partiellement et se trouve ridicule comme s’il jouait une pièce de Feydeau. Le maître des cérémonies lui tend un chausson. Bourseiller se sent ridicule et se demande si l’initiation passe par l’épreuve du chausson. On lui bande les yeux. Il serre les dents en entendant le ton ridicule du maître qui frappe à la porte. Il se souvient ensuite d’un chahut drolatique assorti de montagnes russes. Quand on lui retire le bandeau il est ahuri par ces hommes encravatés portant des tabliers de toutes les couleurs, des sautoirs, des fanfreluches. Il est myope et comme on ne lui a pas rendu ses lunettes alors il ne peut répondre quand on lui demande s’il reconnaît un ennemi. On brûle son testament et on lui remet les cendres qu’il garde encore aujourd’hui. L’orateur insiste sur la dimension élitaire. Bourseiller a vécu l’initiation comme une pièce de théâtre.
IV Le théâtre et son double
Bourseiller explore une planète inconnue. Les frères décorés lui font penser à des rombières californiennes exhibant leurs bijoux. Les femmes sont bannies des temples de la GLNF et ce sont les hommes qui dévoilent en ce monde interdit une troublante féminité. Il est saisi par le contraste existant entre le contre-jour flamand des temples et le grand hall ou le bar violemment éclairés. En tant qu’apprenti, il ne sait dissimuler son allégresse. Il voit dans l’initiation une naissance aux symboles. Mais la théatralité de bazar le gêne au plus haut point. Pour lui, le rituel maçonnique se trouve chargé et apparaît quelque peu suranné. Il y voit une singerie de religion. Il déteste le manque d’esthétisme des décors. Sa loge est petite et le temple est dégarni. Ses frères sont des vieillards chevrotants ou somnolents. Il découvre un vocabulaire baroque, "planche ", "tenue ". Il doit se taire pendant un an. Ce qui le stupéfie c’est que tout marche par trois alors qu’au théâtre le 3 porte malheur. L’oeil dans le triangle représente dieu à la GLNF et cela gêne Bourseiller car dans sa famille on craint le mauvais oeil. L’oeil c’est le regard du diable. Ce qu’il aime c’est l’union des frères réunis par la veste et le tablier. Cela le console car il a peur de voir sa mère mourir. Bourseiller est très dur vis-à-vis de la franc-maçonnerie. Pour lui, dans la maçonnerie, le sublime côtoie le minable. Ainsi, l’idéal se fracasse-t-il parfois sur le mur de la banalité. Un chanteur inconnu lui demande de le pistonner car Bourseiller présente une émission de variétés, ""Jour J ". Ce copinage est pour lui synonyme de mafia. Pour lui la fraternité a bon dos devant la morale. Pourtant il cède mais si cette demande d’entraide ressemble à une injonction. Il ne sait quel comportement adopter car il vient d’arriver. Mais lui-même sent que sa démarche n’est pas limpide et non dénuée d’arrière-pensées. La franc-maçonnerie est pour lui la recherche de la lumière mais également un réseau de pouvoir. Il est question ici de réussite sociale, de travail et d’argent. Bourseiler se demande si en aidant chanteur inconnu il sera protégé à son tour par une kyrielle d’amis. Bourseiller donne le 45 tours au producteur de son émission qui le trouve mauvais et le refuse. Bourseiller est soulagé. La fraternité des services n’est pas pour lui. Bourseiller se voit comme un naïf, un rêveur égaré dans un monde de brutes. L’apprentissage s’apparente à une revisitation de l’enfance. L’apprenti est assujetti au second surveillant qui veille à son éducation. Celui de Bourseiller est une jazzman qui a composé le générique d’un feuilleton télévisé des années 60 mais qui depuis a végété est est devenu aigri. Il ne survit que par la franc-maçonnerie. Dans les loges il occupe de hautes fonctions. Le second surveillant est intègre et il méprise les frères affairistes. Mais le second surveillant aime et hait Bourseiller car il ne supporte pas le succès des autres alors que lui a raté sa carrière. Il conseille à Bourseiller de lire Antoine Faivre, Mircéa Eliade et Isha Schwaller de Lubicz. Le second surveillant ne jure que par Guénon. Avec le second surveillant, Bourseiller vit enfin la fraternité comme un rêve poétique.
V la doctrine de la foi
La loge de Bourseiller n’attire que que 15 frères. Bourseiller est étonné de voir le second surveillant réciter les Evangiles par coeur alors qu’il croyait que les francs-maçons prétendaient lutter contre l’obscurantisme. Ils réfutent les crédo totalitaires et les explications globalisantes. Ils proposent une voie progressive de libération individuelle sans un cadre collectif. On observe pourtant une certaine récurrence des tournures de pensée. Le second surveillant apparaît de facto comme le gardien d’une orthodoxie évidente. Bourseiller évoque in frère médecin qui s’est lancé dans l’auriculothérapie. C’est un excentrique mais la loge ne prise guère les initiatives individuelles et Bruno, le médecin, développe a contrario des conceptions dérangeantes. Bourseiller parle des autres frères de sa loge, un opticien généreux, un homme d’affaires roublard, un marchand d’armes sans état d’âme, un chanteur d’opéra, un autre médecin, un accordéoniste, le vénérable, un jeune professeur de théâtre qui intéresse Bourseiller. Gilles, le second surveillant ne cache pas son antipathie envers Bruno. Bruno prône une troublante et périlleuse voir magique. Gilles est un doctrinaire, un rationaliste. Bourseiller avait deux tenues par mois, le mardi. Sa loge pratiquait le REAA alors que la GLNF pratique surtout le rite français et le RER. Il explique que le rituel vise à placer les frères hors du temps profane, dans l’espace immuable du sacré. Pour Bourseiller, le rituel maçonnique évoque à certains une caricature de rite religieux. Bourseiller se sentait ridicule en l’accomplissant. L’ouverture des travaux est marquée par la lecture de l’Evangile de Jean. Quand les bougies sont allumées, que la Bible est ouverte et que le Grand Architecte de l’Univers est célébré alors seulement l’univers s’abolit. Bourseiller se sentait hors du monde, dans une autre réalité, plus intense que celle des sens. Cela n’empêche pas les questions diverses comme l’état des finances. Bourseiller reconnaît que les planches sont des exposés de haute volée sur des sujets philosophiques comme dans une université du savoir. La tenue se poursuit par les agapes et Bourseiller découvre l’existence à Paris d’un réseau de tables maçonniques. La planche délivrée en loge est alors commentée. Comme l’assemblée est exclusivement masculine, les blagues sont souvent salaces. Une santé est proposée à l’honneur du Président de la République ce que Bourseiller ne comprend pas dans une assemblée où la réflexion est d’ordre mystique. Profane et sacré s’entremêlent en une valse curieuse. Certains frères de la GLNF ne cachent pas leurs sympathies pour la droite.