Faut-il supprimer, réformer, amender le bouclier fiscal ? Est-ce un symbole du sarkozysme ou un simple instrument de justice fiscale ? Réponses du sénateur Philippe Dominati et du député Philippe Vigier, lors du cinquième petit-déjeuner « Les Débats du Cri », le mercredi 14 avril dernier.
Alain Dumait : Le bouclier fiscal n’est pas une question aussi simple qu’on le dit, ne serait ce que parce qu’il il y a une différence entre le revenu fiscal et le revenu réel.
Philippe Dominati : Rappelons le contexte du débat. D’abord la France est le pays du G20 où les prélèvements fiscaux et la dépense publique sont les plus importants. Cela grève notre compétitivité. Par ailleurs le bouclier fiscal est un engagement politique fort de Nicolas Sarkozy. Depuis l’échec des régionales, le débat est relancé. Cela ne m’empêche pas d’être favorable à son maintien, de même qu’à la suppression de l’ISF.
Philippe Vigier : Le bouclier fiscal a été institué par Rocard en 1989. Dominique Strauss-Kahn l’a fixé à 70 %, Dominique de Villepin à 60 % et Nicolas Sarkozy à 50 %. Certes le bouclier fiscal est un symbole. L’un des arguments consistait était de faire rentrer les gros contribuables que notre niveau d’impôt avait fait fuir. Eh bien force est de constater qu’ils ne sont pas rentrés !
Que proposons-nous ? Au Nouveau Centre, nous n’avons jamais changé d’avis : nous avons toujours dit qu’il fallait exclure la CSG et la CRDS du bouclier fiscal. Mesure qui doit s’intégrer à une vraie réforme fiscale : il faut réviser les bases locatives, auxquelles on n’a pas touché depuis 1953 – dans ma bonne ville de Cloyes-sur-le-Loir, un habitant sur deux ne la paie pas ; il faut supprimer l’ISF, obstacle à notre compétitivité ; il faut hausser la dernière tranche de l’impôt sur le revenu ; il faut donner un bon coup de rabot sur les niches fiscales, qui représentent 93 milliards d’euros.
Il faut savoir que le coût du travail, en France, est de 10 % supérieur à ce qu’il est en Allemagne.
Alain Mathieu : Notre dépense publique rapportée au PIB est supérieure de 9% à ce qu’elle est en Allemagne. Si nous avions le même taux de dépense publique, nous n’aurions pas besoin d’augmenter les impôts. Il faut donc baisser les dépenses.
Philippe Vigier : Je crois qu’étant donné les circonstances actuelles, il y a un effort ponctuel à faire partager à ceux qui gagnent le plus. En ce qui concerne les dépenses, oui, il faut les baisser. L’Etat a commencé à le faire avec la révision général des politiques publiques (RGPP). 100 000 postes de fonctionnaires ont été supprimés, ce n’est pas négligeable.
Philippe Nemo : Il faut toujours de l’argent public en plus ! Quand l’Etat cessera-t-il de voler la société ? L’impôt progressif a été imposé par la franc-maçonnerie au début du siècle dernier : cela entraîne une régression de la France. Vous parlez de circonstances particulières, mais il y a toujours des circonstances particulières !
Emmanuel Sala : Si vous avez la curiosité de jeter un coup d’œil à votre feuille de paie, vous verrez mentionner la CET : la contribution exceptionnelle temporaire. Elle a été instituée… il y a quinze ans ! Méfions-nous des impôts temporaires.
Gilbert Ribes : Le bouclier fiscal a été mis en place pour ne pas s’attaquer à l’ISF. Si l’on supprime l’ISF, plus besoin du bouclier fiscal!
Philippe Dominati : La suppression du bouclier fiscal ferait la part trop belle à nos adversaires. C’est un symbole fort de notre politique, il ne faut pas revenir en arrière.
Philippe Vigier : Un mot sur les niches sociales. Elles représentent 30 milliards. A peu près le coût des 35 heures. Là-aussi il faut un coup de rabot.
François de Lacoste Lareymondie : Des réformes fiscales depuis 50 ans, il y a eu beaucoup. Alors on bricole. D’où une fiscalité incohérente. Quand on parle du bouclier fiscal, il ne faut pas oublier la taxe foncière, qui rapporte 23 milliards.
Je pense que la fiscalité sur le capital devrait être à base large et à taux réduit – comme d’ailleurs l’impôt sur le revenu, payé aujourd’hui par la moitié des Français.
Quant à la CSG et à la CRDS, ce ne sont pas des cotisations sociales, malgré leur nom, ce sont des impôts sur le revenu. Il ne faut donc pas les exclure du bouclier fiscal.
Michel de Poncins : La réforme de la fiscalité ne peut être générale. Elle ne peut passer que par la suppression de tel ou tel impôt. Même chose pour la réduction des dépenses publiques.
Renaud Dozoul : A entendre les hommes politiques, on a l’impression qu’ils attendent d’avoir l’accord de la gauche pour agir. Non ! La France n’est pas à gauche. Les électeurs n’ont délaissé la droite que parce qu’elle n’est pas à gauche.
Catherine Nemo : Je vais sortir de cette réunion encore plus accablée que je n’y suis arrivée ! Les parlementaires de la majorité me semblent très en retrait par rapport à leur électorat, ils ne se réclament pas des valeurs de la droite. Ces valeurs, ce sont l’effort, le travail, le risque. Contrairement à ce que l’on croit, la majorité des gens y sont attachés. Mais ils sont écrasés par les valeurs de gauche, en particulier la redistribution.
Philippe Dominati : J’ai des convictions libérales ! Je n’ai rien à voir avec les valeurs de gauche. Mais la France évolue, plus vite que par le passé, et plus vite qu’on ne le pense. Quant à nous, hommes politiques, il nous faut conserver le pouvoir. Sinon on ne peut pas agir.
Olivier Bertaux : Le bouclier fiscal ne prend pas en compte de nombreux impôts : les impôts sur la consommation, les droits d’accise, les taxes sur l’alcool, le tabac, l’essence, les timbres, j’en passe… Par ailleurs, on a dit que le bouclier fiscal n’a fait revenir personne : c’est vrai, mais ce n’est guère étonnant. C’est en raison de l’insécurité fiscale. Les contribuables qui sont partis ne l’ont pas fait sur un coup de tête. Avant de revenir, ils y réfléchissent à deux fois, et voient que la moindre mesure fiscale favorable peut être remise en question à tout moment, en outre par la même majorité ! Il ne faut pas s’étonner de ne pas les voir revenir !
Jacques Vigier : Il ne faut pas négliger tout ce qui a été fait par la majorité. Beaucoup de chantiers ont été ouverts : carte judiciaire, carte militaire, non remplacement d’un fonctionnaire sur deux qui part en retraite, etc. La protection sociale coûte cher, 350 milliards d’euros, mais qui est prêt à y renoncer ?
Alain Mathieu : Nous avons affaire à deux parlementaires qui ont déposé des propositions de lois contre l’ISF. On peut les féliciter !
Faut-il augmenter la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu ? Non, car ce n’est pas possible ! Une comparaison internationale permet de le comprendre. C’est en France que cette tranche est la plus basse : elle commence à 70 000 euros. Au Royaume Uni elle est à 168 000 euros et en Allemagne, 500 000 euros pour un couple (250 000 pour un célibataire). Par ailleurs il faut lutter contre la fraude sociale. L’UMP l’avait promis, messieurs les parlementaires, vous devez le faire !
Propos recueillis par Amédée Dubuis
Les intervenants
Philippe Dominati, sénateur UMP-CNI, membre de la Commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat, vice-président du conseil de surveillance de SR Téléperformance
Renaud Dozoul, architecte, membre du groupe de réflexion « Liberté et République » et du conseil d’administration de Contribuables Associés
Alain Dumait, fondateur de Contribuables Associés, responsable de la publication du Cri du Contribuable
François de Lacoste Lareymondie, vice président de la Fondation de service politique
Alain Mathieu, président de Contribuables Associés, chef d’entreprise
Philippe Nemo, philosophe, auteur des Deux républiques françaises (PUF, 2008)
Michel de Poncins, président de Catholiques pour les libertés économiques, directeur de www.libeco.net
Gilbert Ribes, ancien cadre dirigeant de sociétés internationales
Emmanuel Sala, conseiller national du Parti libéral-démocrate
Philippe Vigier, député d’Eure et Loir, membre de la commission des finances, porte-parole adjoint du Nouveau Centre
Le bouclier fiscal : 5ème déjeuner du Cri
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