L’excitation provoquée par le pilote ne se retrouve pas à la fin de sa courte (huit épisodes) saison. L’enthousiasme, la fraîcheur se sont ternis d’un voile routinier, quand le numéro d’équilibriste des premiers épisodes avait l’arrogance des séries sûres d’elles. Le show ne s’est pas écroulé et le constat final assure sa part d’opinion favorable. Mais on ne peut s’empêcher de ressentir ce pincement de frustration, sorte d’amertume laissée dans la bouche, alors que le cocktail avait une saveur sucrée et rafraichissante.
On pourrait pointer, lister les éléments perturbateurs comme autant de symptômes d’une légère dégénérescence. Mais c’est davantage une impression générale qu’il suffit de décrire pour expliquer cette baisse d’enthousiasme. Quand au récit libre, fait d’à coup, débrouillard se superpose une structure. Quelque chose de tangible, répétée, un schéma. Et une évolution beaucoup trop rapide. Le pilot et les trois ou quatre épisodes suivants, laissaient entrevoir le parcours laborieux de deux jeunes wanna be. Les plans foireux, les galères, les échecs, toutes ces contrariétés qui entament l’enthousiasme, mais qui rendent plus fort, plus sûr, plus convaincu. Le résultat ressemble davantage à un conte de fée moderne, urbain, fashion. Au sac de nœuds que peut représenter l’aventure de deux jeunes new-yorkais dans la mode, les scénaristes tranchent, passent en force, libèrent la place pour étaler un parcours un peu trop parfait pour être tout à fait convaincant. La série n’a jamais caché son optimisme et sa désinvolture face à la dépression post-Crise. Mais de là à respecter le rêve américain à la ligne, il y a une limite que les auteurs n’auraient pas dû franchir.
Conséquences, Ben et Cam deviennent les victimes collatérales de cette position, et l’attention du spectateur se porte sur Rene et son commerce de boisson énergisante, Rasta Monsta. L’ex-caïd, tentant de se refaire une réputation légale, peine à s’imposer dans un marché surexploité. Campé par Luis Guzman, il grignote petit à petit du temps d’antenne et finirait presque par voler la vedette au duo en apesanteur. Le voir se débattre, malgré son assurance mafieuse, dans un univers qu’il ne maîtrise pas, ajoute un aspect comique. On sent bien l’homme frustré de devoir composer avec des chaînes aux pieds, quémander l’aide de sa communauté, quitte à être redevable. Cette rédemption qui passe par la réussite professionnelle (voir la rencontre avec Patrick Bauchau) correspond à l’image de la série, et la nourrit de façon plus convaincante que le parcours idéalisé de Cam et Ben.
A la question que pose le titre de la série, cette saison répond trop facilement. Avec pour réel contrepoids, le facteur chance : Au bon endroit au bon moment. D’un autre côté, c’est aussi révéler que les affaires possèdent ce côté imprévisible, où la réussite se développe sur des bases liée aux rencontres fortuites et/ou opportunistes. Provoquer sa chance et savoir l’apprécier se dégage de l’aventure Crisp (nom de la marque de Cam et Ben). Dans l’univers cyclique, aux modes éphémères de l’industrie du textile, la fulgurante réussite du couple new-yorkais n’est plus si improbable. On aurait juste aimé les voir vadrouiller un peu plus dans ce New-York, coller au rythme nocturne de la ville. De ne pas limiter leur présence à un seul contexte (la mode), mais de s’attarder davantage sur une existence au jour le jour. Et de ne pas exploiter, pour seul repos, une intrigue sentimentale plate à l’intérêt limité.
Quand la série ne se contentait pas de dresser des épreuves sur la route des deux hommes, on retrouvait une fraîcheur enivrante, sorte d’addiction immédiate face à un show qui ne racontait pas grand-chose, mais dont l’ambiance suffisait à vous entraîner. Procrastination dans un univers à la fois branché et en galère, où la précarité se dissout dans une ambiance « débrouille hype », loin de la réalité et en même temps, possédant une saveur, une caution « vraie ». Ce n’est qu’une fois rentré dans le rang, dans une suite d’évènements très définis (trouver un fabricant, un acheteur, renouer avec mon ex), que la série suffoque, perd son identité remarquable. Frustration, légère déception accompagnent le spectateur à l’issue d’une saison qui avait su provoquer, dès son démarrage, un engouement aussi surprenant qu’intensif.