Les pulsions de la CGT

Publié le 19 avril 2010 par Copeau @Contrepoints

Aaaah, le syndicalisme en France … Tout un poème ! Pendant que certains rongent comme un cancer efficace la SNCM au point de la rapprocher tous les jours un peu plus du dépôt de bilan, d'autres s'attaquent à son pendant ferroviaire, la SNCF, pour lui faire rendre gorge à force de grèves. Mais le plus efficace, pour fusiller à la fois l'idée de service public et l'idée de syndicat, c'est de laisser agir le syndicat du livre CGT. Imparable.

Le Syndicat du Livre CGT, pour ce blog, c'est un marronnier, un peu comme un article de Foucart ou Huet (et leurs spécialités de Tripes & Volaille climatiques), ou une tribune de Rocard (dit Papy Poêle A Frire), ou mieux encore, une crépitante chronique de Joffrin, un de ces trop nombreux comiques que la France joviale peut se permettre de subventionner à fonds perdus.

Dans notre petite affaire du jour, tout commence il y a quelques décennies, au sortir de la deuxième guerre mondiale, qui voit l'entrée en vigueur de la loi Bichet. Pour ce qui nous occupe ici, on pourrait très bien imaginer que cette loi impose une police de caractère particulière pour les inter-titres de la presse, ce serait aussi pratique – ce n'est pas le cas, c'est simplement pour dire que le but ou l'historique de cette loi, lisible ici, n'est pas l'objet de ce billet.

En fait, cette loi règlemente la distribution de la presse, le principe des messageries de presse et la façon dont les distributeurs doivent se comporter avec les titres qu'ils reçoivent. Bref, passons.

Le temps était beau, calme et probablement propice à faire parler la poudre : voilà que le député Richard Mallié, des Bouches-Du-Rhône (et accessoirement premier questeur à l'Assemblée), se lance dans l'idée qu'il faut remettre à plat cette loi, voire l'abroger.

Pourquoi ? Il faut fouiller un peu sur l'interweb pour bien comprendre les enjeux. Entre une loi, écrite il y a 63 ans et remaniée avec le brio habituel de nos frétillants législateurs, plein de petits alinéas et de renvois, le résumé lapidaire à la Libération, ou l'interprétation larmoyante et lacrymogène de syndicalistes chevronnés dans le même quotidien, il est bien difficile de savoir exactement ce qui a motivé le député pour une action aussi scandaleuse.

Jugez plutôt ! Voulant expliquer à qui voudra le lire qu'abroger la loi Bichet, c'est super-méchant, notre secrétaire général de la Filpac CGT nous sanglote :

« Ce serait la fin de l'esprit coopératif, de l'esprit mutualiste, de la péréquation des coûts entre éditeurs, bien sûr. Mais surtout : qui aura les moyens d'être distribué le sera, sinon que sa prose reste à quai. Quelle régression ce serait ! »

Apparemment, donc, l'abrogation de la loi Bichet, c'est la fin des haricots pour des milliers de personnes puisque seuls survivront ceux qui auront les moyens de se faire distribuer. Comme … les yaourts par exemple. Et tout le monde sait que la Presse n'est pas une marchandise. Même si on en vend et que certains en achètent. Alors, obliger ses acteurs à se comporter comme s'ils vendaient du yaourt, ce serait la fin de l'esprit coopératif, de l'esprit mutualiste, du petit cheval et des haricots, je le redis.

Poignant.

En lisant l'article de Rue89, dont la conclusion n'est pas du tout partisane, on apprend en fait que derrière l'esprit coopératif, mutualiste, la diversité de la presse et sa nécessaire distribution égalitaire sur tout le territoire pour que chaque citoyen puisse accéder enfin au rêve ultime d'une information parfaite et en tout point équivalente à celle des autres citoyens, [respirez ici] derrière tout ce bastringue de mots badigeonnés d'une novlangue épaisse et sucrée se cache ceci :

« Autrement dit, les distributeurs seront désormais en mesure de refuser de diffuser un titre au simple motif qu'il ne se vend pas. »

Là, on en a le souffle coupé. C'est abominable. Épouvantable. Le distributeur va donc devoir agir rationnellement ! Avec l'abrogation de cette loi et d'après Rue89, il va donc devoir arrêter de distribuer un truc qui lui occasionne des pertes. Pire ! Il va devoir diminuer son empreinte carbone, réduire sa dépense énergétique, bref, devenir à la fois plus économique et donc plus écologique, réduire son impact dans l'environnement.

Et ça, c'en est probablement trop pour le journaliste de Rue89 qui, a contrario, aime quand le distributeur crame du fioul, du kérosène ou du gasoil pour acheminer des papelards qui ne se vendront pas et qu'il devra ensuite récupérer, puis détruire (ceci occasionnant de nouvelles dépenses énergétiques complètement superflues).

Mais comme je le disais en intro, à la limite, que cette loi pousse ainsi les distributeurs à cette très navrante efficacité écologique et économique n'est même pas le sujet de ce billet : la loi Bichet, ici, on s'en fiche. Le projet d'abrogation de Mallié, on s'en fiche aussi.

Ce qui est réellement préoccupant, c'est plutôt l'attitude des syndicats, de la CGT ici, face à ce projet d'abrogation : comme ils sont – bizarrement – contre, ils ont décidé d'utiliser le moyen tout à fait démocratique et légal de foutre en l'air la permanence du député.

Eh oui : à la CGT, ils véhiculent fièrement l'idée qu'ils doivent respecter les idées de l'autre et aboutir à des compromis, même en renonçant à certains de leurs propres intérêts et de leurs propres objectifs. En pétant la gueule de ceux qui pensent autrement.

Et ils le font d'autant plus facilement qu'ils connaissent toute l'étendue de la clémence de la justice française à leur égard.

Rappelons que pour le quidam moyen non-encarté, mettre à sac une permanence de député ou séquestrer des individus pendant plusieurs jours se traduit par de la prison.

Cependant, tout comme je le faisais remarquer dans un précédent billet, à force de tirer sur la chevillette, la bobinette cherra et emportera avec elle la situation confortable dans laquelle baignaient ceux qui l'asticotaient.

Les éternels grévistes finiront par agacer une fois de trop, et les nervis de la CGT du Livre vont, un beau matin, goûter de l'amère potion qu'ils distribuent volontiers à ceux qui ont le toupet de contrecarrer leurs petites affaires.

Avec la crise qui continue de se développer, ce jour-là approche.

Article repris avec l'aimable autorisation de l'auteur. Image : logo de la CGT. Tous droits réservés.