J.M. Erre, Série Z

Par Clementso

Félix Zac vit avec Soso. Ou Sophie. L’appellation au gré des circonstances. Ils occupent le même toit qu’un ignoble chat, nommé Krasucki, obèse comme il se doit, ainsi qu’une petite fille. Zoé. Personnellement, je l’aurais baptisée Peste, ou Abomination, mais ton narrateur, pour peu clément qu’il soit à ton, lui a donné un petit prénom mignon. D’ailleurs, il doit rire, et même pas sous cape, en racontant ton histoire, tant tu ne ressembles à rien, mon cher Félix.
Parce que ta seule passion, c’est le cinéma bis. De genre. De genre merdique. Ou du moins très mauvais. Celui que les gens normaux ne regardent qu’avec dédain. S’ils lui font l’honneur de le regarder. Tu lui as même dédié un blog : Les Zélucubrations du Docteur Z. Tu y parles de tout ce qui a trait avec L’attaque de la moussaka géante, ou Le retour des tomates tueuses (première apparition de Georges Clooney au ciné, authentique !) et ainsi de suite. Du nanard bien gros, façon Ed Wood, avec des effets anti-spéciaux et des scénarios ratés. Par définition.
Puis, vient le jour où tu t’es décidé de piquer le scénar qu’un illustre - selon tes critères - réalisateur t’a envoyé. Il est mort deux jours après. Ou trois. Alors aucun risque. Tu étais le seul à le détenir. Tu as cru que ta carrière pouvait décoller. Et pour ne pas changer, tu t’es planté. Dans les grandes lignes. Parce que depuis, l’hospice pour acteurs de troisième zone retraités qui campe le décor de ce film, il s’est avéré vrai. Et la police te tombe dessus. Parce que la réalité a dépassé la fiction, et que les morts succombent pour de vrai, dans le vrai hospice décrit par ton vrai scénario. Qui n’est pas de toi.

Et là, t’es dans la panade.
À la différence du lecteur qui lui va plonger dans un bon gros livre de série Z. Et s'en prendre plein les dents de clichés du genre. On nous embarque dans une aventure rocambolesque, où le potache, la grosse farce et le ridicule ne tuent pas, mais font rigoler à grandes goulées. Du bon, du bon, Dubonnet, avec situations cocasses, voire huluberluesques (quand Félix cherche sa fille… sur le plafond de sa chambre, par exemple) et surtout une énorme dose d’auto-dérision.
C’est du Flaubert, pour l’ironie et l’absurde, du Bordeaux Chesnel pour les rillettes avec un supplément tentacules et du Goetlib pour l’humour crade.
Mais tout le bluff du livre, c’est de nous emporter dans une aventure que le narrateur malmène sans douceur, avec ses interventions intempestives, mais toujours motivées. Et de nous faire atterrir sur un conte moderne épatant de profondeur et d’humanité, là où l’on n’attendait qu’une affreuse grosse blague d’adolescent. Au milieu de tous ces petits vieux, Félix, perdu et seul, cherchant une raison de vivre autant qu’un bon motif de ne rien en faire, de sa vie...

Peut-être une trentaine de pages de trop, qui, éparpillées un peu partout dans le livre auraient pu disparaître – dommages collatéraux – sans que l’on n’en soit particulièrement affectés. Mais rien qui fasse hurler au scandale.
Une Série Z qui rend un hommage brillant au genre et lui donne, en l’espace de trois lignes à la fin du livre, une toute autre dimension. Celle qui fait basculer la lecture d’un bouquin légèrement risible vers une improbable et inattendue fable sur la vieillesse. Étonnant. Et délicieux.
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