Christelle est une aide-soignante qui ne travaille pas trop loin de la Gare d’Austerlitz, sûrement à Pitié-Salpétrière, mais on n’en sait rien. L’auteur ne le précise pas et, ce n’est pas important. Son travail, qu’elle exerce avec beaucoup de dévotion, lui permet de s’extraire du tourment de sa vie personnelle. Elle est un être blessé par la vie, qui chemine vers sa gare pour retourner à sa banlieue paumée.
Et la rencontre eût lieu :
Elle flâna un peu sur le boulevard de l’Hôpital encombré de passants et d’autos. C’est en traversant le pont d’Austerlitz qu’elle me vit pour la première fois. Elle fut tout de suite attendrie par mon air de profonde tristesse, Christelle me croyait perdu dans un rêve. Le poing sous le menton, je scrutais les détritus gelés que charriait la Seine en ce mois de février. Christelle m’identifia comme un homme seul au milieu de rien, recroquevillé dans sa peau, avec la tête qui aurait préféré disparaître entre les épaules.Page19, Edition Actes Sud
Ce petit passage illustre la première difficulté que j’ai eue en rentrant dans ce texte. Le narrateur, Clovis Nzila parle pour deux. Si bien qu’on a un peu l’impression qu’il lit dans les pensées de Christelle.
La deuxième difficulté réside dans l’attitude de Clovis. Sans-papier traqué par les services de police, légèrement paranoïaque, il tombe dans une forme de fascination excessive pour cette femme qui en quelque sorte le secourt, mais surtout porte une attention à son histoire, s'attache à lui.
L’amour, l’amour.
Un peu naïf. Mais alors que le lecteur que je suis pense s’enfermer dans un roman à l’eau-de-rose, plein de bons sentiments, les différents personnages se dénudent, se révèlent avec tous les risques que peuvent engendrer un tel dévoilement.
Les blessures de Christelle dans un premier temps. La relation gémellaire de Clovis, un poil incestueuse. Son itinéraire de vie, fait d’exclusions, de violence, de clandestinité… Marcelline apparait.
L’amour, l’amour.
C’est un texte sur la rencontre, mais surtout sur l’écoute, sur le silence, sur les non-dits, sur l’espoir, sur la rédemption ou pas. On sent que cette démarche est importante chez Wilfried N’Sondé. La voix du sans-papier ne peut être entendue que dans le cadre d’une relation passionnée, tendre. L’espoir prend source dans la confiance que Christelle accorde à Clovis alors qu’elle ne sait rien de lui. La police, elle, traque et réprime. La rencontre avec cette dernière est donc brutale, implacable. Reste celle que l’auteur propose aux lecteurs et aux lectrices. Rencontre avec un sans papier qui ne signifie pas être celle avec un sans histoire. Paradoxe. Plus la narration progresse, moins les bons sentiments ont prise et ils laissent la place au doute, à l’inquiétude, à la nuance, à l’horreur.
L’amour, l’amour.
Un texte qui ne laisse pas indifférent tant par sa forme que par son fond. Allez, je vous laisse ces quelques mots venus de Marcelline, la jumelle de Clovis.
La colère et la vengeance, sœurs en gestation dans un cœur meurtri, jaillirent du ventre de Marcelline alors qu’elle souffrait atrocement. La rage et le malheur s’échappèrent de son esprit. Dans son imagination ils prirent la forme de deux magnifiques chiens célestes, immatériels, beaux et rapides qui foncèrent et allèrent traquer Stanislas dans son repos nocturne. Ces prédateurs invisibles déversaient toute l’amertume de Marcelline dans la poitrine de son ancien amant. Ils dansaient et se tordaient dans ses cauchemars, l’écume à la gueule, ils réveillaient Stanislas en sursaut, lui interdisant tout repos.Pages 112, Edition Actes SudBonne lecture!Wilfried N'Sondé, Le silence des espritsEdition Actes Sud, 170 pages, paru en 2010Voir également la critique de Boniface Mongo Mboussa sur Cultures Sud