Comme beaucoup de gens, je l’ai découvert avec “The Bottle”, son seul petit succès. Je ne me souviens plus exactement, il devait se trouver sur une des compilations soul qui traînaient chez moi. Je n’ai pas l’habitude de nouer des liens affectifs avec les artistes, les personnes physiques derrière les morceaux qui me passionnent. J’pourrais pas être la biographe de Jack White par exemple, malgré mon admiration sans bornes. Je ne sais même pas quel âge il a, s’il est marié, comment s’est déroulée son enfance, etc. C’est pareil pour Gil Scott-Heron. Je ne me suis mise au courant de sa vie personnelle qu’il y a un an en visionnant le documentaire sur sa vie réalisé par Don Letts.
Pour moi, Gil Scott-Heron c’était (et c’est toujours) un sage soul, un poète éclairé et contestataire, un observateur de la société américaine, des médias, du ghetto, de la corruption, un homme qui passait du temps à avertir son public des dangers de l’alcool et de la drogue… Le voir complètement ravagé par l’héroïne, la cocaïne, le crack, ses multiples séjours en prison, amaigri, édenté et hagard, j’peux vous dire que ce fut un choc. J’avais gardé l’image et le son de cet homme d’une classe dingue, debout sur les planches d’une scène new-yorkaise, posant sa prose sur une musique funky, et cette voix. Ce baryton, les gens, c’est quelque chose.
Sur son treizième album, elle est toujours là. C’est juste que la cigarette, le crack et l’alcool sont venus détruire cet homme morceau par morceau, et que ses cordes vocales ne sont pas passées au travers. Mais l’idée de céder au pathos n’a même pas dû lui effleurer l’esprit. Sur I’m New Here il porte un regard sévère sur lui-même et sur ses erreurs. Toujours humble et toujours digne, sans jamais donner de leçon et sans jamais se plaindre.
Pas de funk ou de groove charnu sur cet album. Richard Russell a eu l’idée de génie de placer Gil Scott-Heron dans un décor musical moderne, fait d’électro minimaliste et de folk. Dans ce décor, la voix du vieil homme est au centre, comme sous une lumière crue qui expose à la vue tous ses défauts. La première écoute de “Me and the Devil”, premier extrait qui me soit parvenu, a été douloureuse n’ayant connu que sa voix d’il y a 20 ou 30 ans.
Cela aurait pu être une catastrophe, retirer le poète soul de son environnement musical habituel et le plonger dans un univers dubstep noir et étrange. Mais ce qui caractérise les précédents disques de Gil Scott-Heron est toujours présent dans celui-ci : l’immédiateté avec laquelle il absorbe toute mon attention dès les premières secondes de “ Coming From a Broken Home” est stupéfiante (sans jeu de mots). Le moindre doute sur la qualité du disque s’est envolé et à juste titre. 28 minutes plus tard, l’impression d’avoir écouté un grand disque n’allait pas me lâcher. La deuxième partie de “Coming From a Broken Home” sert de conclusion et laisse une note d’espoir, dernière surprise de la part d’un homme qui a pourtant toutes les raisons d’en vouloir à la Terre entière.
Je ne vois pas de raison de vous détailler chaque morceau, l’album formant un tout d’une grande consistance, certains morceaux vous parleront plus que d’autres. Les premiers morceaux me font beaucoup penser au travail d’un Burial, il y a aussi une reprise folk d’un titre de Smog, un morceau pianotant qui m’a foutu plein de frissons dans le dos, et un autre qui m’a carrément fait penser aux Kills. Vous découvrirez tout ça en écoutant l’album.
Je n’ai pas envie de parler de génie, d’icône, de mythe, car je sais que Gil Scott-Heron balaierait ces qualificatifs d’une phrase pleine de justesse et d’humour, mais ça ne m’empêchera pas de le penser. Grand album, grand bonhomme.
Album en écoute sur Grooveshark.com
www.myspace.com/revolutionwillnotbetelevised