Le constat est amer : à la sortie de l’université, rares sont ceux qui maîtrisent le français, ou même l’arabe. Une catastrophe qui frappe la nouvelle génération. La génération des analphabètes bilingues. Tous diplômés, personne ou presque n’est en mesure de tenir une conversation en français « correct ». Et attention, je n’ai pas dit un français parfait, mais un français correct. La faute à qui ? Au système éducatif qui a arabisé l’enseignement au collège, diraient certains nostalgiques de la langue de Molière. Le problème, c’est que même la langue arabe souffre.
Je n’exagère pas si je dis que 80% des diplômés de l’université sont incapables de rédiger une lettre de motivation sans fautes. Tous diplômés, tous ou presque sont nuls en français ! Lisez un peu les lettres de motivation, vous allez certainement rigoler : « Désirant vivement avec mes compétences professionnelles actuelles, et suite à l’offre, Je veux bien que vous m’accorder le poste d’un Commercial », ou encore, « Maîtrisard en gestion de l’institue des hautes études commerciale, je vous pose ma condidature pour ce poste ». Et encore, ce ne sont pas les plus mauvaises, il y a bien pire…
Un constat calamiteux, il n’y a qu’à voir les copies des étudiants. L’annulation devient la nullation, l’accord du participe passé c’est chose enterrée, le « est » et le « es », c’est du pareil au même… A qui incombe la responsabilité ? Le système éducatif? Les enseignants ? Le manque de lecture ? Tout cela à la fois.
Entre des heures passées sur Internet (et j’entends par là Facebook, MSN et jeux vidéos), les programmes télévisés inratables, à savoir les feuilletons égyptiens, libanais et turques traduits en libanais, et les émissions de télé-réalité où l’on découvre la face cachée d’une société décidément voyeuriste et tarée, les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas assez de temps pour lire ou même pour regarder un programme intéressant. Résultat des courses : nuls en français et nuls en arabe.
Mis à part une « élite sociale » qui maîtrise la langue française et veille à bien la conserver, la masse de la population tunisienne s’engouffre dans un bilinguisme désastreux. Explication :
- Pour ce qui est de l’arabe, il y a la langue maternelle qu’est notre dialecte tunisien. Sinon, l’arabe classique, est limite considéré comme du latin et rares sont ceux qui le maîtrisent.
- Pour ce qui est du français, ce n’est pas uniquement le français littéraire qui cède le pas, mais même le langage familier se retrouve amputé : « en cas où » pour dire « au cas où », « comme même » pour dire « quand même », « le plus pire » pour dire « le pire », « je suis hésité » pour dire « je suis hésitant », « gabaré » pour dire « gabarit », « barbuche » pour dire « barbiche », « crème échantilly » pour dire « crème chantilly »,… il y’a de quoi avoir mal à la tête.
Et il ne faut pas croire que je parle des non instruits ou de ceux qui ont quitté l’école à mi-chemin, je parle bien des ingénieurs, des gestionnaires avec un bac +4 et plus, et des étudiants bientôt professeurs de français. Comment a-t-on pu en arriver là?
Le recul flagrant de la maîtrise de la langue française et sa marginalisation a du mal à se justifier. En effet, même si une politique d’arabisation a été introduite il y a quelques années, le français demeure la première langue étrangère en Tunisie. Obligatoire, elle est enseignée dès les premières années de l'école primaire, c’est la langue des matières scientifiques, des échanges et même du travail (excepté quelques documents administratifs). Et bien que je rejoins le linguiste américain Noam Chomsky sur le fait que l’apprentissage de la langue étrangère soit une question de facteurs culturels et sociaux et pas uniquement d’enseignement à l’école, j'ai quand même du mal à comprendre une évolution technologique parallèle à une dégringolade sans précédent de la première langue étrangère enseignée. Et cet état de fait, loin de nous rassurer sur le développement de la société, fait figure de dérive sociale.
Publié initialement sur Tuniscope