Jour après jour, malgré des critiques parfois injustes, l’Opéra comique reprend sa place, et son rôle particulier dans le paysage lyrique parisien. Un rôle qui tient d’abord à la défense d’un répertoire. Certes, le patrimoine français d’opéra comique est inégal, mais il comporte aussi quelques chefs-d’œuvre que cette maison peut seule espérer tirer de l’oubli. Et Mignon d’Ambroise Thomas est de ceux-là. Le hasard a voulu que de ce compositeur à succès de la fin du XIXe siècle, on retienne surtout aujourd’hui son Hamlet, une œuvre de qualité, mais pas aussi riche que Mignon. Sans doute les morceaux de bravoure du baryton ont-ils poussés quelques stars comme Thomas Hampson à redonner tout son lustre à cette partition, ce que bien peu de gens avaient pris la peine de faire pour Mignon.
C’est chose faite avec cette nouvelle production de Jean-Louis Benoit, et de fort belle manière. D’aucuns reprocheront sans doute à cette mise en scène une forme de classicisme, qui tient d’abord à l’indigence des décors. Budget de crise, sans doute ? Mais elle est largement compensée par une direction d’acteur qui sent le grand professionnel du théâtre. Certes largement aidé par une distribution presque entièrement francophone, Jean-Louis Benoît a manifestement travaillé sur le problème fondamental de l’opéra comique, l’articulation entre dialogues parlés et airs chantés. Et donne à l’ensemble un véritable intérêt théâtral, au service d’une histoire un peu triviale, mais pas déplaisante.
L’univers musical de cet ouvrage valable et méconnu frappe d’abord par sa richesse et sa variété. Et dans ce domaine, on peut compter sur le chef François-Xavier Roth pour tirer de l’orchestre philarmonique de Radio France des couleurs riches et foisonnantes, même dans cet effectif restreint. Pas sûr que l’idée de tourner le chef d’orchestre vers la salle apporte grand-chose au résultat. Les équilibres orchestraux n’en sortent pas bouleversés, même si les distances relatives au public des cordes se trouvent mécaniquement inversés par le fait qu’elles tournent le dos au public. Le prétendu retour au source qui fonde cette inversion n’est pas plus un argument que d’habitude. Seule pourrait la justifier une différence en terme d’acoustique qui, en l’occurrence, ne m’a pas frappé. Reste la gêne relative d’avoir sans cesse dans son champ visuel les gesticulations d’un chef qui, malgré une relative sobriété d’ensemble, cède parfois au tic d’entonner lui-même les paroles des chanteurs, et dont l’étrange juxtaposition avec les chanteurs crée une perturbation pas franchement nécessaire.
Le plateau de chanteur est dominé par la véritable révélation qu’est la Mignon de la mezzo-soprano française Marie Lenormand. Dotée d’un authntique don pour le théâtre, elle confère à ce personnage facilement terne une personnalité évolutive et touchante, passant du garçon manqué, farouche et gauche à la féminité éclatante. Marie Lenormand réussit le tour de force de rendre profondément crédible ce drame un peu attendu. Et tout cela est servi par une voix dont le médium est la principale force, un registre particulièrement sollicité par ce rôle sombre. Une voix qui de surcroît épouse parfaitement les spécificités du lieu, les dimensions réduites de la salle lui permettant une approche subtile et nuancée, presque intimiste. Son « connais-tu le pays » de l’acte I est sans doute l’air le plus marquant d’une œuvre qui regorge pourtant de refrains entêtants.
A ses côtés, l’ensemble de la distribution est digne à honorable. La virevoltante Philine de Malia Bendi-Merad possède une technique extrêmement propre et un talent de diction qui lui permettent de se jouer des difficultés de son rôle, avec une aisance qui ne va pas sans rappeler quelques gloires de la salle Favart comme Renée Doria. Le seul non-francophone de la bande, le ténor espagnol Ismael Jordi, joue assez finement ce statut à part pour se construire un personnage un peu décalé, certes moins touchant que celui de Mignon mais non moins crédible.
Le Lothario de Nicolas Cavallier et le Laërte de Christophe Mortagne sont chacun doté d’une belle voix sonore, mais peinent, à la différence de Marie Lenormand, à prendre la mesure d’une salle et d’un soutien orchestral qui n’ont pas besoin d’une telle puissance. La chose est particulièrement gênante dans les ensembles où ces voix nobles tendent à écraser la fragile élégance de l’héroïne.
Comme toutes les redécouvertes réussies, celle de Mignon a suffisamment de charme pour rendre justice à l’œuvre, mais suffisamment de défauts pour faire rêver d’une mise en scène plus moderne, avec des décors plus travaillés. Mais ce premier jet est déjà un bonheur.
Mignon d’Ambroise Thomas à l’Opéra comique, jusqu’au 18 avril 2010.