D'abord je n'ai pas compris ce que voulait mon corps, pourquoi il m'assommait la nuit et le jour de pensées et de ruminations. Je n'ai jamais voulu prendre le temps et le reprendre, mâcher et remâcher les mots que l'on a dits trop vite ou que l'on a tus par lâcheté, manque d'à propos, esprit conciliant.
Non, les mots étaient ou n'étaient pas.
Je n'y cherchais nul sens, nulle faute à expier, nulle fierté déplacée.
Adolescent, j'aimais les mots, ils étaient nuages, étoiles de mon firmament constamment lumineux, incandescent. Couverture de mohair, gorgées de lait en avril, les mots recouvraient la solitude et la difficulté à parler, ils emplissaient un vide, le nourissaient.
Un jour, comme l'enfant délaisse son nounours mâchonné, j'ai oublié le baume des mots, j'ai laissé moisir leur pouvoir, pensant qu'il fallait devenir fort, taire ma sensibilité, dominer les autres pour cesser d'être petit.
Le combat fut bref.
Les mots sûrs de leur suprématie et de leur revanche tardive, se sont carapatés dans un coin obscur de mon cerveau, boudeurs et parcimonieux.
Alors, comme un chat devenu sauvage, les mots venaient à moi par à-coups, quand je déployais des efforts pour les appâter, leur dire que j'avais besoin d'eux. Petit à petit, l'argent a pris le pas et j'ai commencé à faire semblant d'aimer les mots. Ces salopards on du le sentir et m'ont laissé doté d'un vocabulaire aussi terne qu'efficace. Je voulais sacrifier les mots sur l'autel du matériel? Bien m'en a pris....ce fut une descente facile, la seule qui ne me donna pas le vertige.
Alors, croyez-moi, quand les mots sont revenus en bandes, braillant, secouant leurs syllabes comme autant de barbares décidés à changer mon monde, j'ai souffert de névralgies, d'absences et d'abondances de mots. Le sens est devenu confus, touffus, pléthorique. Soudain je suis devenu non pas l'ami des mots mais leur instrument, leur esclave...